Contrepoint.
Une exposition de Gérard Traquandi et de la collection Albers-Honegger à l’Espace de l’Art Concret, Centre d’art contemporain, Mouans-Sartoux, 2020
Commissaire invité : Gérard Traquandi
Photographies Denis Prisset
Gérard Traquandi
Ensemble de 95 dessins, 1988/2018
Techniques mixtes, dimensions diverses
Courtesy de l’artiste, Galerie Laurent Godin et Galerie Catherine Issert
Gérard Traquandi Sans titre, 2010
Céramique, 53x42x5 cm, 50x40x7 cm, 60x40x7 cm
Herman de Vries Frottages de terres, 1991
Ensemble de 18 frottages de terre 21x16,4cm
František Kupka Quatre histoires de blanc et noir, 1912/1926
Fac-simile, édition RMN 2018, n°15/300, 25x(20x15cm)
Gérard Traquandi Saint-Véran, 2009
Huile sur papier japon 139,5 x 110 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Jean-Pierre Bertrand Sans titre, 1988
Peinture acrylique sur papier miel et papier sel, 289x82x2,5 cm
Gottfried Honegger Tableau-Relief P 1133, 1993
Plaque aluminium et peinture sur toile tendue sur châssis, 200x150 cm
Gérard Traquandi The Mound 2, 2014-2015
Huile sur toile, 230 x 410 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Gérard Traquandi Villa Riberolles, 2010
Huile sur toile, 230 x 410 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Gérard Traquandi La Grotte Rolland, 1995
Gomme bichromatée et résino-pigment type, 224 x 178 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Helmut Federle Basics on composition IV, 1989
Huile sur toile, 40x50x2 cm
Gérard Traquandi Sils Maria, 2012
Huile sur toile 230 x 160 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Henri Michaux Sans titre, 1981
Encre de Chine sur papier, 72,5 x 110 cm
Imi Knoebel Schlachtenbild, 1990
Laque sur bois, 209,5x150x8,5 cm
Marcel Wyss Progression 4 x 2, 1953
Laque sur bois, 60x60 cm
Ulrich Rückriem Sans titre, 1985
Granit, tirage de 10 exemplaires, 64x32x32 cm
Gérard Traquandi Montagne 10/12, 2/12, 5/12, 12/12, 6/12, 2001
Pointe sèche, 38 x 29 cm, 3/30
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Olivier Mosset Strike 2, 1987
Acrylique sur toile, 210x200 cm
Gottlieb Soland Sans titre, 1953
Acrylique sur toile, 40x100 cm
Niele Toroni Empreintes de pinceau n°50 répétées à intervalles de 30 cm, 1975
Acrylique sur toile cirée, 378 x 138 cm
Josef Albers Far off-Study for Homage to the Square, 1958
Huile sur isorel, 76,3 x 76,3 x 2,5 cm
Aurelie Nemours Ostie, 1975
Huile sur toile, 80 x 80 cm
Adrian Schiess Flache Arbeit, 2014
Laque industrielle sur panneau aluminium, 109 x 299 x 2 cm
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile, 46 x 32,5 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile, 46 x 32,5 cm
Courtesy de l’artiste
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile, 33 x 22,5 cm
Courtesy de l’artiste
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile
46,5 x 33,5 cm
Courtesy de l’artiste
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile, 33 x 46 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile, 45,5 x 32,5 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Imi Knoebel Maria, 1991
Acrylique sur bois, 50x35x9 cm
Gérard Traquandi Sans titre, 2019
Huile sur toile, 300 x 225,5 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Catherine Issert
Gérard Traquandi Sans titre, 2011
Huile sur toile 230x410 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Gérard Traquandi Lipsi, 2019
Huile sur toile, 300 x 225,5 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Catherine Issert
Gérard Traquandi Enna, 2016
Huile sur toile, 300 x 180,5 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Marcia Hafif Purple, 1991
Émail sur bois, 47,5 x 47,5 x 4 cm
John McCracken Lumina, 1990
Résine de polyester sur fibre de verre et bois, 15,5 x 300 x 17,5 cm
John McCracken Comet, 1988/1993
Résine de polyester sur fibre de verre et bois, 234 x 34 x 3,2 cm
Gérard Traquandi Sans titre, 2019
Huile sur toile, 276 x 216
Courtesy de l’artiste
Gérard Traquandi Sans titre, 2018
Huile sur toile, 250 x 202
Collection Gilles et Marie-Françoise Fuchs
Gérard Traquandi Schinoussa, 2019
Huile sur toile, 340 x 240 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Laurent Godin
Entretien entre Fabienne Grasser-Fulchéri et Gérard Traquandi
Février 2019
Fabienne Grasser-Fulchéri
L’eac. accueille la collection Albers-Honegger, mais celle-ci dépasse largement le spectre de l’art concret. Elle est beaucoup plus hétérogène qu’il n’y parait. Comment as-tu abordé cette invitation à dialoguer avec elle ? Gérard Traquandi
Derrière l’invitation qui m’est faite, de dialoguer avec les collections, s’en cache une autre qui consiste à inclure ce dialogue dans le bâtiment de Gigon-Guyer, contexte historique et contexte architectural étant indissociables, à mon sens. Soit dit en passant, en cela je rejoins ici Max Bill, convaincu de « la nécessité logique d’une synthèse des arts articulée autour de l’architecture, les arts ayant pour fonction de bâtir un espace approprié à l’épanouissement de l’homme. » Là s’arrête ma parenté avec l’art concret mais ce n’est pas la moindre des choses. J’ai donc commencé par choisir les œuvres des artistes qui me sont chers, mais c’est en parcourant et en apprivoisant l’espace que j’ai pu affiner mes choix et donner un sens à l’ensemble.
Fabienne Grasser-Fulchéri
Cette exposition s’intitule « Contrepoint », peux-tu nous expliquer ce choix ? Gérard Traquandi
En musique l’art du contrepoint consiste à superposer deux mélodies, la combinaison des deux étant tout aussi importante que la qualité de chacune d’elles. Ce qui me semble être la proposition qui m’est faite ici. Autant dire que ce projet ne manque pas d’ambition, ni de votre part de me le proposer ni de la mienne de l’accepter.
Fabienne Grasser-Fulchéri
Tu as coutume de dire que l’art concret et l’architecture sont intimement liés. Qu’entends-tu par là ? Gérard Traquandi
À considérer leur formation, Théo Van Doesburg et Max Bill, l’initiateur et le rénovateur de ce mouvement, affichent tous deux une même polyvalence (architecte, designer, peintre, théoricien de l’art). Et tous deux placent l’architecture au centre d’un vaste projet qui consiste essentiellement à qualifier notre environnement pour l’épanouissement de tous. Tout cela est très louable mais la place qu’ils laissent à la peinture me semble être celle du «coloriage» du bâti. C’est dans ce sens que j’interprète le divorce entre Théo Van Doesburg et Mondrian pour qui la fonction sacrée de la peinture devait garder tout son sens. Selon moi, le projet humaniste que portent les artistes de l’art concret touche ici sa limite. Faire coïncider programme architectural et programme pictural comme l’art médiéval (si souvent invoqué par les artistes modernes les plus éclairés) a su le faire reste un modèle qui, doit-on le regretter, n’a plus trouvé d’équivalent. Les fondations des cathédrales n’étant pas que de pierre.
Fabienne Grasser-Fulchéri
Tu connaissais déjà assez bien la collection mais en l’étudiant plus attentivement as-tu été surpris ? As-tu fait des découvertes inattendues ? Et si oui, lesquelles ? Gérard Traquandi
Je connaissais en grande partie la collection, j’ai donc eu peu de surprises. Elle offre un panorama largement plus étendu que son intitulé l’insinue. À partir d’elle, l’art concret apparaît plutôt comme une question que comme une réponse formelle. Aux frontières de l’art concret pourrait être l’intitulé du véritable contenu de cet ensemble. Je ne sais pas si ces termes auraient plu à Gottfried Honegger et Sybil Albers mais la part romantique et sentimentale de cette collection me saute aux yeux. L’intellect et le sensible sont ici convoqués simultanément. Je tente de rendre compte de cette complexité.
Fabienne Grasser-Fulchéri
Comment as-tu pensé ce parcours ?
Parmi les œuvres de la collection qui ont particulièrement retenu ton attention il y a l’étude de Josef Albers et la toile d’Aurelie Nemours. Tu évoques à leur sujet la question du défaut de clair-obscur et de contraste. Comment tu te situes par rapport à cela ? Gérard Traquandi
J’aime beaucoup la façon qu’a cette architecture de s’adresser à la nature qui l’entoure. Depuis l’extérieur, les grandes baies vitrées reflètent la végétation mais la structure et la couleur du bâtiment lui disent sa différence, c’est dissonant et excitant comme un accord plaqué par Thelonious Monk au cœur d’une de ses compositions. Une fois franchi le seuil, le parcours apparaît plus baroque que la structure extérieure le laissait présager.
Le sens de la visite n’est pas évident, plusieurs choix sont possibles et impliquent le visiteur, à qui il est demandé plusieurs fois de revenir sur ses pas. Cela provoque un sentiment d’immersion favorable à la complicité avec les œuvres, on se sent invité plutôt que touriste de passage, c’est assez rare pour être souligné. Quant aux grandes ouvertures, elles nous offrent depuis l’intérieur, le spectacle des pins environnants depuis leurs racines jusqu’à la canopée et même dans la dernière salle jusqu’au ciel. Habiter ce lieu est une responsabilité et un vrai bonheur, il en va de même pour mon dialogue avec la collection.
Au niveau du sol se trouvent les œuvres qui font l’éloge de la matière. L’artiste herman de vries dont je ne connaissais pas l’œuvre y a trouvé tout naturellement sa place. C’est également à ce niveau que le dessin fondateur auquel je suis si attaché y a trouvé la sienne. Au premier étage, place est faite au noir et blanc qui met en évidence le mode sur lequel le peintre aborde son matériau. Les griffures d’Imi Knoebel ou les tracés d’Henri Michaux voisinent avec les aplats géométriques d’Helmut Federle ou les tracés géométriques de Marcel Wyss. J’ai trouvé légitime d’installer là mes premiers tableaux d’empreintes. Arrivent ensuite des œuvres où la couleur est prédominante. Un tableau de Josef Albers et un autre d’Aurelie Nemours inaugurent ces espaces. Ces deux œuvres sont une vraie déclaration de guerre au clair-obscur en cela ils renouent avec la beauté des œuvres pré-renaissantes où la couleur est préférée à la valeur des œuvres qui excluent les ténèbres, où la lumière triomphe. Il est peut-être question ici d’un héritage impressionniste dont Theo van Doesburg se méfiait tant. Pour la suite, j’espère que l’exposition tient la promesse que ses œuvres portent. Les visiteurs en jugeront.
Fabienne Grasser-Fulchéri
Quand nous avons commencé à travailler ensemble sur ce projet, il y a des noms qui sont immédiatement apparus comme John McCraken et Imi Knoebel par exemple. Qu’est-ce qui t’intéresse dans leur travail ? Gérard Traquandi
Le manifeste de l’art concret appartient à une époque où une forme de dogmatisme s’imposait aux artistes pour se créer une légitimité afin d’incarner la modernité. Je regarde cela sans nostalgie. Je me sens éloigné de tout dogme ou d’idéologie en ayant conscience que cela m’isole. Exclure toute mimesis avec la nature faisait partie de leur position, le temps est venu de relativiser cette posture.
La collection de Gottfried Honegger et Sybil Albers en est paradoxalement le témoignage. Voila pourquoi je me sens très à l’aise dans ce paysage esthétique. La plupart des artistes réunis ici, Imi Knoebel, Helmut Federle, John McCracken, Jean-Pierre Bertrand et Adrian Schiess font partie de la famille que je me suis choisie. Avec eux, je me sens moins seul. Leur capacité à produire tant de beautés avec si peu de moyens, plus que jamais me les fait aimer.