Elvia TEOTSKI 

Il y a tout juste un an
dans la région de San Rafael au Mexique,
dans l’état du Veracruz
je gravissais les sommets de pyramides
alors recouvertes de bananiers.
Des monticules de terre, vestiges des civilisations anciennes totonacos.
A leurs pieds : des trésors enfouis

Ici, dans la région de Marseille
de nouveaux monticules s’offrent à moi
 
 
Une flore de friche les recouvrent : le millepertuis,
les micocouliers, ces maigres arbustes qui triomphent au sommet
Les escargots s’agglutinent autour de ces herbes sèches,
la végétation reprend le dessus.
Une botaniste me parle de l’histoire industrielle du quartier 
La roquette libère son parfum sous nos pas
En contrebas, les Aygalades, un ruisseau paisible
Sur l’autre berge, une végétation plus verdoyante.
 
 
C’est ainsi que je découvre le premier terril de boues rouges en périphérie de Marseille, aux abords d’une route que j’ai très souvent empruntée.
La couleur de cette colline désormais me saute aux yeux ! je l’identifie, cette terre rougeoyante, riche en oxyde de fer, déposée là au siècle dernier, puis ensuite abandonnée.
Ce minerai, dont on extrait l’alumine, produit autant de déchet que de métal convoité.
 
 
Ici, aucun trésor enfoui,
seulement les traces d’une civilisation moderne,
des vestiges industriels, peu à peu déplacés.
Le minerai aussi voyage,
à l’origine des Baux-de-Provence,
ensuite d’Australie,
aujourd’hui de Guinée, la bauxite est acheminée
par cargos et voies ferrées.
Disséminée,
les collines se forment,
aujourd’hui elles donnent du relief à notre territoire urbain.
Crassier de la Barasse Montgrand,
crassier de la Barasse Saint-Cyr,
crassier Saint Louis ..
Coincé entre une voie ferrée et l’Huveaune, entre un centre de tri et les Aygalades,
ou recouvert de terre et revégétalisé.

Zone d’éco-patûrage ou aire de pique-nique.
 
 
Dans ces nouvelles vallées vertes
la boue décante, les collines s’érodent,
la couleur s’échappe.

Une voiture s’arrête,
des oreillettes autour du cou, une dame s’approche :
- mais que faites vous donc ici ?
- ah euh… je m’intéresse à la végétation du bord de l’Huveaune.
- Vous n’avez rien à faire ici…
- Très bien, je m’en vais !
Je reprends ainsi mon appareil photo et poursuis ma route,
je continue mon cinéma
« De la science-fiction ! », répondis je naïvement au garde du site de stockage de Gardanne : un lieu de tournage idéal pour une fiction martienne.

Au pied du Stadium à Vitrolles, sur le site de Mange-Garri, sur tous ces sites,
je découvre des paysages férocément beaux, toxiquement envoûtants.
Le spectacle est continue :
des vallons se ferment, des collines se déplacent,
les camions déchargent,
les tuyaux recrachent,
les jets d’eau s’élancent, puis s'étirent
le ballet démarre !
 
 
Spectatrice, botaniste, réalisatrice de science fiction, artiste agronome
les casquettes multi-facettes enfoncées sur la tête
je prélève.
Les paroles des pêcheurs,
celles des riverains,
des activistes,
des optimistes,
des sociologues.
Un été marseillais ne suffira pas
à recueillir toute cette matière,
cette boue lourdement chargée
celle-ci même qui englue les filets des pêcheurs
colore les museaux des caniches
encrasse les carreaux des fenêtres
s’infiltre dans les sols calcaires
referme le canyon de Cassidaigne
décante, distille… dilue

chrome, mercure,
plomb, uranium, arsenic
soude et autres résidus
la liste est longue
les analyses quasi-inexistantes
l’objectivité tout à fait relative

Inertes sont les déchets, disent-ils.
Invisibles, les pollutions.
Elles s’éparpillent soulevées par le vent, lessivées par les eaux de ruissellement, entassées dans les vallons,
A ciel ouvert ou en pleine mer.

Je décide alors de prendre l’empreinte de ces paysages
de suivre le parcours de ces boues rouges
et tente de les prélever.
Les riverains collaborent, je pose alors des grandes vitres sur leur terrasse, dans leur jardin, contre leur grillage ou des arbres, sur des grues de chantier, au cul d’un camping car.
Tout au long de l’été, nous observons leur recouvrement, très lent, selon les caprices du vent.
 
 
Alors que mes amis érigent des châteaux de sable sur la plage, se prélassent sous les cascades glacées, bouquinent à l’ombre des pins, partent en colonie de vacances, je patauge dans la boue et remplit mes sceaux à coups de grosses pelletées dans ces anciens lieux de dépôts largement ouverts, très facilement accessibles.
 
 
Selon la technique de l’adobe, expérimentée au Mexique pour sédimenter des résidus agricoles, je me lance dans un grand chantier de fabrication de briques en terre crue à partir de ces nouveaux résidus récoltés et de la végétation cueillie sur place.
 
 
Les briques ?
Ce n’est pas mon idée
mais bien celle de l’entreprise :
recycler les rejets en matériaux de construction
bâtir des maisons en pisé.
Je l’ai testée,
les briques sont solides,
inoffensives ?
Apparemment, des briques pour noyer le poisson.
Tout comme cette idée de recouvrir le site par un bassin à vagues,
Après tant d’années et d’efforts pour ne pas en provoquer…

Quel été !
l’année prochaine, c’est décidé, je pars en Bretagne !
 
 
Discussion entre Clélia Coussonnet et Elvia Teotski
 

Des terrasses arides, l’eau s’étire, 2020
Video HD, sonore, 8’30’’
Contribution spéciale pour la plateforme ocean-archive.org

Entre vidéo documentaire et vidéo d'art, témoin d'une expérience d’investigation et d'action autour du bassin de stockage des boues rouges sur la commune de Bouc-Bel-Air.
Ici l'arrosage automatique limite le soulèvement des poussières, de bien fines particules rougeâtres qui se déposent très fréquemment sur les terrasses voisines au gré du vent. Les riverains luttent avec cette pollution salissante colorant façades et mobilier extérieur.
Le ballet démarre : les jets s'élancent puis s'étirent, enfin, l'eau s'évapore et s'infiltre.

 
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