Au départ, le parcours d’Elvia Teotski ne la destinait pas à la pratique de l’art. Son cursus s’est d’abord inscrit dans le champ scientifique et, plus précisement, dans le domaine de l’agronomie, qu’on situe d’habitude à la frontière des sciences dites dures, comme la biologie ou la physique, et molles, comme l’anthropologie ou la sociologie. Outre les apports d’une telle formation au plan méthodologique et expérimental par exemple, cette initiation a aussi constitué le terreau d’une démarche fondée sur l’appréciation «culturelle» de phénomènes «naturels».
Forte de ce préalable, son incursion dans l’univers artistique s’est révélée aussi tardive que rapide. De fait, pour un familier de l’art contemporain, le travail produit par l’artiste - malgré sa condition de jeune diplômée d’une école d’art - peut être reçu comme celui de quelqu’un qui en connaît déjà bien les codes et les diverses manipulations, qu’elles soient conceptuelles, processuelles ou relevant de la présentation du travail. Nous nous trouvons là devant un art qui n’est pas innocent ou, autrement dit, un art informé.
Le vocabulaire plastique employé ici relève en effet d’un lexique déposé dans l’histoire de l’art depuis une quarantaine d’années, que nous pourrions qualifier de vocabulaire de l’entropie matériologique. D’abord énoncé par une poignée de dadaïstes, mai principalement manié par le land art américain, certaines catégories de l’art conceptuel et l’arte povera, le changement d’état et la désorganisation qui qualifient l’entropie sont ici appliqués à des phénomènes de mutabilité et de modification subis par les matériaux (dessèchement, pourrissement, décomposition, etc.) travaillés par un passage du temps qui, somme toute, détruit inexorablement. Considérant la fugacité de ces processus délégués et les limites de leur présentation, ces artistes ont paradoxalement éprouvés le besoin de les figer par l’intérmédiaire d’une captation photographique ou plus généralement filmique.
Avec conscience et malice, cette stratégie contradictoire est reprise par Elvia Teotski dans Résistance des formes, où l’on devine que des formes visiblement fragiles sont mises à l’épreuve d’un parcours entamé par le dévalement d’une pente et continué par un séjour prolongé dans un cours d’eau. Tout en revisitant la mémoire historique d’une certaine matériologie et de certaines pratiques, les formats modestes de ses réalisations, la résistance restreinte des matériaux employés, leur relative préciosité et qualités ornementales distinguent précisément le projet de l’artiste de ceux de ses prédécesseurs, plutôt caractérisés par une forme de brutalité conditionnant aussi leur radicalité. On a à faire ici à un art «post», clairement citationnel, comme en témoigne encore Pas levés (unleavened open cubes) dont l’inscription dans une filiation conceptuelle est amenée avec l’humour, la légèreté et le raffinement qui s’imposent, par le biais d’un matériau (la feuille azyme) cependant imprévisible en la circonstance.
Édouard Monnet & Iann Simms
Up to date
To begin with, Elvia Teotski did not seem to be destined to be an artist. Her path started out in the scientific field and, more precisely, in agronomics, which are usually positioned on the border of so-called hard sciences, like biology or physics, and soft sciences like anthropology or sociology. In addition, for example, to the methodological and experimental contribution brought by such training, this initiation also prepared the ground for an approach founded on the ‘‘cultural’’ appreciation of ‘‘natural’’ phenomena.
Bolstered by this previous experience, her incursion into the artistic world turned out to be as late as it was fast. Indeed, for someone who is familiar with contemporary art, the work produced by the artist - despite the fact that she is a young art school graduate - could be taken to be that of somone who is already well aware of the codes and various manipulations in art, whether they be conceptual, procedural or regarding the presentation of work. Here we are faced with art which is not innocent ; in other words, we are faced with informed art.
The art vocabulary used here is in fact taken from a glossary which has been part of art history for about forty years, and that we could call vocabulary of materiological entropy. First outlined by a small number of dadaists, but mainly adopted by American land art, certain categories of conceptual art and Arte Povera, the change of status and the disorganisation that characterize entropy are applied here to phenomena of mutability and modification that the material go through (drying out, rotting, decomposition etc), material affected by the passage of time, which itself inexorably brings destruction. Considering the ephemeral nature of these processes and the limits of their presentation, these artists have paradoxically felt the need to capture them by taking a photographic shot or more usually by filming them.
In Résistance des formes, Elvia Teotski knowingly and maliciously takes up this contradictory strategy. Here we see noticeably fragile shapes being tested with a path that begins by hurtling down a slope and then continues with an extented period in water. Although revisiting the historical memory of a certain materiology and certain practices, the modest size of her productions, the restrained resistence of the materials used, their relatively precious aspect and decorative quality are precisely makes the artist’s project stand out from those of her predessors, which are more characterized by a form of brutality conditionned also by their radicality.
We are dealing here with an art ‘‘post’’, clearly quotational, as reflected again by Pas levés (unleavened open cubes) whose adherence to a conceptual filiation is introduced with appropriate humour, ease and refinement, through a material (the unleavened sheet) wich is however unpredictable in the circumstances.
in Semaine 21.15 (Analogues Edition) : Up to Date, Musée d’Art de Toulon
text written by Edouard Monnet and Ian Sims |