La taupe ne s’y fait pas prendre
Au premier abord certains indices nous mèneraient à penser que nous ve- nons d’entrer dans une confiserie contemporaine, une de celles où se profi- lent des expériences nouvelles avec autant de matières ragoûtantes et su- crées. En effet, tout y est : gélatine et autre gluanteries, sucre vivement co- loré, spongiosité, fragilité des combinaisons, copeaux et poudre de choco- lat, odeur de sucre et formes identifiables du moule à gâteau.. même le pe- tit napperon de grand-mère qui nous inviterait à partager le thé, prétexte à plus de gourmandise.. La tentation est située, mais bien mal nous y pren- drait d’aller croquer ces formes. Succomber à la tentation ne serait que ré- compense âpre et amère, au mieux insipide.
(La taupe ne s’y faisait pas prendre..)
En effet, le savant confiseur auquel nous avons affaire ne semble pas être dans cette séduction gustative, mais dans le piège visuel : les formes qu’il nous propose, aussi précaires et instables qu’elles peuvent l’être, ont toutes leur histoire et une forme actuelle qui les fait exister dans le présent. Mais à ne pas en douter, chacune d’elles porte aussi en cette forme son propre concept, son propre process..
Le temps d’une exposition, ces formes ont marqué un temps d’arrêt dans leur évolution. Elles se montrent dans cet entre-deux, s’associant et communiquant entre elles. Elles suggèrent, le temps de cette rencontre, le fruit de leurs conversations et de leur copinage visuel.. sans rien nous dire de plus, elles s’immiscent dans notre mémoire vive et notre nuage inconscient pour nous faire refaire nous même la conversation, ou plutôt, nous faire faire la conversation à nous-même.. d’un bout du tunnel à l’autre, d’un oeil à l’autre, d’un orifice à l’autre, avec ou sans courant d’air..
Les formes en présence nous interrogent autant sur leurs consistances que sur leurs contre-formes, leurs moules, s’il y a, leurs cheminement vers forme, pleine ou creuse, flasque ou solide, et sur leurs façons d’avoir été. Ce qui les uni est peut-être cette capacité à la résistance et à la confusion, leur désir de perdurer, même lorsqu’elles évoquent une idée de rature ou de déchet, ce qu’il y a à prendre est ailleurs. Défiant la pierre, le verre, le caoutchouc ou le plastique, elles ne sont plus de l’ordre du déchet, elle l’incarnent et le transcendent, et peuvent ainsi s’associer sans complexe ni pudeur avec d’autre objets recueillis ci ou là.. Elles gardent en leur sein la forme ingrate que leur ont imposé les phénomènes extérieurs et luttent pour la conserver. Elles parasitent le réel et le factice en incarnant elles- même ces deux notions.. d’où notre confusion entre ce qui a légitimité ou non.
Heureusement, les éléments naturels nous le rappellent ou remettent le sceptique et le flambeur de formes à leur place : nous ne pouvons qu’ajouter et associer, faire se confondre. Nous n’avons pas la main, sinon la perdons vite... Ne restent que quelques copeaux à l’odeur de mine ou tubes mous pour seules perspectives entre l’entrée et le bout du tunnel. Les taupes s’y font parfois prendre.
Jérémy Laffon