Masahiro SUZUKI 

La Chave, 2021
Vidéo, 19’50
Maison Tarvelle, lieu-dit La Chave, Saint-Jean-Chambre
 
 

C’était une proposition de la résidence croisée « art et architecture » de Maison Tarvelle, située dans le nord de l'Ardèche, de travailler avec une paysagiste, Charlotte Némoz, diplômée en architecture, pour confronter nos pratiques pendant deux mois.

Nous avons développé un projet dans un des lieux de Maison Tarvelle, dit « La Chave », situé dans la commune de Saint-Jean-Chambre. C’est un milieu montagneux et très rural avec la prairie, une forêt de châtaigniers, une ancienne ferme en ruine, etc. À partir de recherches à la fois tâtonnées, archéologiques, botaniques, scientifiques, historiques, nous avons découvert quelques fragments, une flaque d’eau, la biodiversité, la géologie ardéchoise et le sens du savoir-faire, comme la pierre sèche, en regard de ce milieu spécifique. Nous avons aussi rencontré les habitants en tant que témoins de la mémoire de La Chave. Lors du processus pratique, nous nous interrogeons : comment pouvons-nous entretenir la ruine ou assister à la ruinification ?

En termes d’architecture, il y a une philosophie de l’aménagement du lieu et de la construction architecturale établie pour la pratique humaine subordonnée par l’écosystème du milieu, appelée « bon sens d’architecture ».

  Nous avons construit un mur entouré d’une flaque d’eau, des escaliers, une passerelle. Nous avons aussi aménagé les chemins que nous traçons pour aller au chantier et les micro lieux où nous jetons nos regards. Tous les passages qui avaient pu enraciner les histoires précédentes portent de nouveaux sens pour nous.
Ainsi, ce projet a été finalisé en tant que parcours guidé avec le texte Toponymie de La Chave, que nous avons écrit pour parler de notre vécu avec le lieu. Quelques micro lieux ont été nommés à la façon des Apaches occidentaux de Cibecue, qui joue un rôle polyvalent : à la fois une description du paysage, une évocation historique, une affirmation de valeur éthique, un conseil pratique, un partage et un soin du sentiment, etc. La toponymie apache possède la sagesse du lieu au sens très large. Nous nous la sommes ré-appropriée pour transmettre le passé, le présent, et le futur de La Chave. À la fin du parcours, le texte La pierre qui nous contemple est lu à haute voix. Il décrit notre vécu, comment le projet s’est déroulé, le regard sensible que nous avons pris sur le milieu, notamment à partir d’une pierre ronde mystique appelée La pierre qui nous contemple. Dans un autre lieu de la résidence de la Maison Tarvelle à Vernou-en-Vivarias, les spectateurs peuvent regarder la vidéo La Chave et les recherches faites pendant la résidence, après avoir effectué le parcours guidé.


Toponymie de La Chave


Le grand tilleul appelé Kaça qui protège la mémoire de la maison de La Chave

La ruine de La Chave où les traces signent le pliage du temps des Rousson jusqu'aux Demoulin :
La cascade en pierre
Les frênes se baignant
La paradis des mousses
La chute musicale des poutres
L'affleurement rocheux ombragé

Le lavoir divisé par le vide et la terre entretiennent le frêne et l'alisier

L'ombre du châtaigner tombé à la forme d'un bateau, entretenu par les houx

La bifurcation du châtaigner sous la roche de l'ancien chemin

Le bassin salamandre ombragé par les renouées persicaires à la zone de molène

Le tunnel d'eau sous les racines de frères frêne sous la garde des ronces

La grange de bouse séchée et de foin bâtie avec la pierre rose orange de La Chave

L'escalier de jeune sureau noir à l'accès d'un tronc de cerisier

L'ombre empierrée entoilée à la vasque de la pluie qui sourd

L'abri du chêne des pierriers pour le travailleur

La pierre qui nous contemple

La forteresse de chenilles processionnaires

La fôret flûtée par les châtaigners qui tiennent le sol rocheux de La Chave


La pierre qui nous contemple


Après la lutte contre le fil plastique enraciné
Prise à l'air sur le ventre de La Chave
Mon obsession frustrée sur la ruine
Emportée par le souffle du vent méditerranéen

La pierre garde l'entrée de la forêt flûtée par les châtaigners
Qui tiennent le sol rocheux de La Chave
Devant la forteresse de chenilles processionnaires
Leur nid stationné au sommet du pin sylvestre

Face à la colline de Saint-Jean-Chambre
La pierre blanche grise couverte par lichen et mousse
Entourée de quelque genêt à balais
A vu tous les passagers sur La Chave
Sa forme arrondie surgit du poids de son temps vécu

Le pic-vert sur le châtaigner, le milan sur la braise
Orchestrent l'écho entre les vallées
Creux résonnent pour émerger la source saisonnière

La pierre qui a fondé ce lieu dévoile son œil à nous parler
Personne ne l'a nommé, mais sa présence dit tout
En dessous de son axe
De la voie principale de la pluie dans La Chave

Mon pas révèle une flaque d'eau dissimulée dans les herbes
Le moment arrive de chaver, creuser le sens du lieu guidé par l'eau
Décelé le cœur de la pierre qui nous contemple


octobre 2021, Maison Tarvelle
Masahiro Suzuki
 
 
 
 
La pratique apache occidentale consistant à "parler avec les noms" illustre précisément ce type d'envergure et de polyvalence. […] (1) offrir une image mentale d'un site géographique spécifique ; (2) évoquer des textes passés tels que des contes historiques et des sagas ; (3) affirmer la valeur et la validité des préceptes moraux traditionnels (c'est à dire le savoir ancestral) ; (4) afficher une attention délicate et courtoise envers des aspects aussi bien positifs que négatifs ; (5) communiquer des sentiments de préoccupation charitable et de soutien personnel ; (6) offrir des conseils pratiques pour faire face à des circonstances personnelles perturbantes (c'est à dire appliquer le savoir ancestral) ; (7) substituer à la détresse causée par des préoccupations excessives des pensées plus agréables marquées par l'optimisme et l'espoir ; (8) soigner les esprits blessés.

Keith BASSO, L'eau se mêleà la boue dans un bassin à ciel ouvert : Paysage et langage chez les Apaches occidentaux, Paris, Zones sensibles, 2016, pp. 130-131
 
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