STAUTH & QUEYREL 

Les artistes C. Queyrel et P. Stauth ont souhaité qu’Éric Mangion, directeur du FRAC contribue au projet DCPM sous la forme d’une interview. Celle-ci a été conduite par écrit, sur une période de trois mois, par Jean-Charles Agboton-Jumeau, critique d’art.

INTERVIEW / ÉRIC MANGION

Paris, le 20 Septembre 1994
Jean-Charles Agboton-jumeau
: Soit P1, la proposition d’exposition (monographique) que le F.R.A.C. P.A.C.A. adresse aux artistes Queyrel et Stauth ; et P2, la proposition d’exposition (collective) par laquelle ces derniers vous ont répondu, en éditant une affiche qui proclame expressément : « Des Costumes Pour Marseille », - titre générique de l’exposition prévue pour janvier 95 – « est une proposition ».
Or, il semble résulter de cette reconduction de votre proposition (P1) au second degré (P2), deux conséquences :
a) l’exposition, d’une certaine manière, a déjà commencé sous forme de propositions ou d’exposés (affiche inaugurale et bulletins périodiques) ;
b) en outre, si P1 + P2 = Pn, alors P s’expose à une inconnue « n » (par exemple, nombre et qualité des intervenants, puisque la contribution à l’exposition relève de la libre intelligence de la proposition, comme l’annonce l’affiche).
Dans ces conditions, en tant que directeur de FRAC, à quelle(s) inconnue(s) « n » vous paraît s’exposer d’une part la collection dont vous avez la responsabilité (ou C1), par rapport d’autre part, à « Des Costumes Cour Marseille » comme projet de collection (C2) ? Autrement dit, pouvez-vous nous révéler la libre intelligence que vous avez de la collection en tant que
C = C1 sur C2 ?


Marseille, le 22 Septembre 1994
Éric Mangion
: Premièrement P1 n’existe pas dans le sens où en invitant Claude Queyrel et Pascale Stauth je savais et je souhaitais que l’on aboutisse pas à une exposition de type monographique au sens où nous l’entendons traditionnellement.
Deuxièmement, P2 existe encore mais, car il ne s’agit en aucun cas d’une exposition collective même si effectivement plusieurs artistes sont associés au sein de la manifestation (note des clavistes C. Queyrel et P. Stauth, tirée de l’affiche-manifeste : « la proposition s’adresse à toute personne physique ou morale »). Toutefois, si P1 et P2 n’ont pas lieu d’être évoqués, je vous rejoins dans l’existence de Pn mais surtout de « n » que vous appelez si poétiquement « l’inconnue ». Pour tenter d’aller à l’essentiel, je vous répondrais que « n » me paraît ce qu’il existe de plus excitant dans ce bas monde. Savoir c’est échoir.
Quant à votre question liée à C1 et à C2, sous le couvre-feu de leur adéquation, je vous rappelle que C1 n’est pas une collection (réunion d’objets de même nature) mais un fonds (capital de ressources) alors que C2 s’apparente plus à une collection temporaire.
Leur adéquation est donc incompatible (N.D.C. : « La collection est à exposer et à vendre ») et puis sincèrement je ne m’en suis jamais préoccupé.
Un C1 n’implique pas forcément un C2. Et puis surtout je trouve cette histoire de P1, de P2, de C1 et de C2 absolument inepte et inexpressive.
En attendant la Q2

Paris, le 4 octobre 1994
J.-C. A. J.
: Pourriez-vous, avant de poursuivre notre entretien, rétablir ce qui semble être une faute de frappe dans votre phrase commençant par : “Deuxièmement...” et qui donne lieu à la juxtaposition de « mais, car » ?
Pour en revenir à notre « proposition », si nous admettons que P 1 n’existe pas, cela signifierait-il que vous auriez, à l’avance, deviné le projet des artistes ? Et comment qualifieriez-vous donc une exposition « associant plusieurs artistes » autrement que de collective ?


Marseille, le 17 octobre 1994
É. M.
: Il est évident que je n’ai rien deviné. Le terme serait plus impulsé. Il y a près d’un an, j’avais invité Claude Queyrel, Pascale Stauth, mais aussi Judith Bartolani et Claude Caillol à dîner chez moi et leur avais soumis l’idée de monter un projet en commun. Ce qu’ils ont refusé clairement. Ceci étant, je leur avais demandé à tous de sortir des sentiers battus et pour Pascale et Claude précisément, je leur avais confié que ce qui m’intéressait le plus dans leur travail c’était leur façon de décloisonner l’archétype traditionnel de l’exposition. Par ailleurs, je leur avais fait part de mon souci d’ouvrir le FRAC à la ville et à d’autres créateurs. J’avais même employé le mot de syndicat d’initiative quant au rôle que je souhaitais jouer au sein de notre structure.
Quant au terme collection, il signalise ce qui réunit, qui concerne simultanément plusieurs personnes. Alors qu’ici on ne réunit personne. On demande seulement à des énergies de produire un objet dans le cadre d’un thème singularisé. Je ne vois aucun collectif entre Tom, Reebok, les Winners*, Simmons, Colonna et compagnie (N.D.C. : « L’exposition est un lieu commun »). je ne vois que des gens qui ont été invités à produire une pièce. Cette exposition n’est pas une messe, mais un challenge. Il en est de même pour Marseille qui ne ressemble pas à un collectif mais à une fresque chaotique où le seul lien demeure notre joie d’appartenir
- même temporairement - à cette cité.

*Les artistes travaillent avec le groupe des Thunderbirds.

Paris, le 18 octobre 1994
J.-C. A. J.
: Si j’extrapole légèrement ce que vous dites de Marseille, oserons-nous dire que « la joie d’appartenir à cette cité », est d’emblée un costume ? Et si tel est le cas, le challenge que vous évoquez pourrait être ainsi résumé : tenter de faire demeurer cette joie, malgré le voile institutionnel dont il faut bien la revêtir, étant donné qu’elle élira domicile au FRAC dont vous avez la charge. Pourriez-vous nous dire un mot sur la manière de mettre en œuvre cette pudeur d’un type particulier ?
Et si vous y voyez le seul lien réunissant les protagonistes de cette exposition à venir, que pensez-vous de la réaction épidermique de ceux qui, malgré l’ambition universelle du projet affichée dans le numéro 1 du bulletin « Des Costumes Pour Marseille » (citations, entre autres, de Wittgenstein, Miró...), n’y voient qu’une manifestation de régionalisme soi disant typique des Marseillais ?


Marseille, le 24 octobre 1994
É. M.
: La joie que nous évoquons n’est pas incompatible avec un centre d’Art Contemporain. Il est certain que toute action liée à une institution lui donne un caractère officiel souvent dénué d’enjouement. Mais c’est à nous - et surtout à moi - de briser cet état de fait classique et rigoureux. C’est pour cette raison que nous essayons de donner au projet de Pascale et Claude les moyens d’une réalisation atypique : la réalisation du catalogue encarté dans le magazine Citizen K en est l’exemple même. Le problème dans ce cas de figure, c’est que l’originalité se paye et que les moyens du FRAC sont conséquents en achat d’œuvres mais limités en production. C’est un paramètre que je ne dois en aucun cas négliger mais qui ne doit pas non plus nous empêcher de travailler. C’est pour cette raison que des contacts sont pris avec Reebok, Pernod, Haribo, Go Sport et Citizen K.*
Quant à la seconde question, elle me semble capitale et cruciale. Je ressens moi-même des doutes à ce sujet. Rien ne m’irrite plus que la défense régionaliste et précaire du patois, du cassoulet ou de la bouillabaisse avec ce culte imbécile et tronqué des cultures locales (N.D.C. : « Le monument de Marseille c’est son peuple ») que défend par exemple Ben. Il est donc normal que le projet de Pascale et Claude puisse susciter ce type de réactions épidermiques - et je le conçois. Par ailleurs, même si vous en êtes à l’origine (N.D.C. : « DCPM est une révélation »), je ne crois pas que l’on puisse donner une ampleur universelle à ce projet (N.D.C. : le costume dans l’exacte mesure où tout le monde s’habille ») pour le défendre : la citation ne sauve rien, elle rajoute même de l’anecdote à l’anecdote. Mais ce qu’il faut expliquer à ceux qui ressentent un trouble, c’est que notre soi disant régionalisme n’en est finalement pas un. Il n’y a pas de culture proprement dite marseillaise. Ici, justement, on en a marre de notre image pagnolesque, au goût d’anis et de poisson. Le propre de notre culture est de se nourrir d’un tas d’affluences : arabes, juives, arméniennes, italiennes, corses, vietnamiennes, africaines, françaises etc. Nous avons certes un accent mais pas de langue. Le provençal c’est bon pour St Jean de Cucule et Cogolin... et non pour la Canebière. On se nourrit d’un tas d’éléments et c’est vrai que l’on fait souvent preuve d’un ton un peu vindicatif dont IAM est le porte-drapeau. Mais je le répète, je préfère souvent jouer sur le mot identification plutôt que celui d’identité. Le danger aujourd’hui pour Marseille est que l’on regarde trop notre nombril, ce qui provoquerait à long terme un essoufflement de notre discours. De toute façon, pour l’instant, ce sont nos actions culturelles et le foot qui intéressent les autres - surtout les parisiens d’ailleurs. Mais je reste persuadé que seule la relance de l’économie à travers le port fera de nous la grande cité que l’on mérite d’être. Cela dit, j’espère que Pascale et Claude déjoueront les pièges dans lesquels ils risquent de tomber à travers leur projet. Toutefois, je demeure confiant car ils ne se limitent pas à une vision restrictive et sectaire de l’image. Je crois comprendre à travers leurs propos que le « Costume » est un vecteur de communication et non une fin en soi.

*Les artistes ont proposé à Adidas et Reebok, par l’intermédiaire de Citizen K, la réalisation d’une chaussure pour Marseille dans le cadre de l’exposition.

Paris, le 25 octobre 1994
J.-C. A. J.
: Pouvez-vous nous donner quelque idée des « pièges dans lesquels ils risquent de tomber » ?

Marseille, le 4 novembre 1994
É. M.
: Il faudrait des heures pour répondre à cela, tant le travail de Pascale et Claude pose de réelles questions. Rapidement, je peux me permettre d’énoncer quelques points d’interrogation.
- Dans quel camp sont-ils ? C’est à dire chez Meurice ou chez les Ultras ?
- Utiliser mais à quelles fins ?
- Fou du roi ou le roi ? N’est pas Jeff Koons qui veut.
- Cynique OK mais jusqu’où ?
- Courageux OK mais jusqu’où ?
- Qu’est-ce que le pouvoir ?
- Fait-on ce que l’on veut ou fait-on ce que l’on peut ?
- Fluxus ou l’O.M. ou Fluxus et l’O.M. ?
- L’engagement OK mais qu’est-ce-que cela représente au juste ? (N.D.C. : « La révélation appelle une mise en œuvre »)
- Marseille, prétexte et contexte : mais qu’est-ce-que Marseille ?
... Et ainsi de suite.
La grande qualité de ce projet est d’être profondément ambigu. C’est là justement où il prend sa place. Nous aurons des réponses à ce sujet au mois de janvier. Soyons d’abord comme un chat, faisons confiance à notre instinct et puis on jugera sur pièce.

Paris, le 4 novembre 1994
J.-C. A. J.
: S’agissant du « voile institutionnel », je faisais allusion au FRAC comme costume institutionnel. Comment le portez-vous ? Est-ce un costume qui aurait, par exemple, la même qualité que vous prêtez à l'ambiguïté du projet ? Ou faut-il attendre, là aussi, Janvier pour le (dé)couvrir, et juger sur pièces ?
Corrélativement, suffit-il d'adopter le contre-pied de l'adversaire pour instaurer le dialogue susceptible de problématiser les données du problème de l'identité - qu'elle soit esthétique, ethnique, sociale, etc., sauf à reproduire, à notre échelle, ce qui se passe en Algérie en ce moment, ou à Sarajevo par exemple ? C'est-à-dire des négations opposées à d'autres négations tout aussi péremptoires ? Dans le dernier numéro d'Arthèmes où Ben fait allusion aux Costumes pour Marseille, je trouve son inquiétude à propos des occitans tout-à-fait symptomatique, lorsqu'il écrit : « Ce qui est étonnant (...), c'est que ce n'est pas les occitans qui demandent l'indépendance et le droit d'être eux-mêmes mais les Beurs ». Question à laquelle il se garde de répondre, sinon par une autre question : faut-il penser « que les occitanistes voteront Le Pen ? » Comme quoi, il y va de l'identité comme du costume : ils sont ambigus. Au moins, - à la lecture du bulletin, Ben se pose-t-il la question – ambivalente - de savoir à quoi ressemblerait, par exemple, un Beur occitaniste en militant d'extrême droite. N'est-ce pas là, aussi, une contribution, fût-elle inconsciente, aux Costumes ?


Marseille, le 15 novembre 1994
É. M.
: Quant au « voile institutionnel », comme costume que je porterais le soir du vernissage, je vous garantis qu'il n'aura pas la couleur de ce que je porte habituellement. Quelqu'un me le confectionnera sur mesure et selon mes goûts. Cela ne sera ni ambigu ni paradoxal mais tout simplement sympathique et corollaire au projet. Quant à mon costume institutionnel, il sera porté selon mes humeurs et l'évolution du projet. Celui-ci risque effectivement d'être relativement ambigu.
Pour ce qui est de votre réflexion sur l'identité et de ce que nous avons déjà évoqué, il faudrait d'abord savoir si le terme « péremptoire » que vous utilisez équivaut à la définition de « périmé » ou de « décisif ».
Par ailleurs, bien avant que cela soit d'actualité, un historien contemporain, Monsieur Cholvy, s'est posé la question de l'état de l'immigré français. Il faut savoir, en effet, que la droite xénophobe n'est plus Maurassienne de tradition laïque et ce, comme nous avions l'habitude de la côtoyer depuis le début du siècle.
Ce qui constitue aujourd'hui l'électorat lepeniste de base, trouve paradoxalement ses sources dans les descendances de générations d'immigrés que la droite traditionnelle a rejetés de 1880 à 1960.
Pour ce qui est des occitanistes de Ben, pour moi cela ne représente plus rien depuis l'édit de Nantes. Si la défense d'une identité - quelle qu'elle soit - devient un costume je me pose en porte à faux. Je fais un sport où le clocher (donc l'identité) joue un rôle essentiel et non seulement je le comprends mais je le défends violemment depuis 15 ans. Mais, je ne défends pas l'accent de ma ville, les rues de ma ville, la boulangerie et l'église mais l'amour et l'amitié que je porte aux gens qui m'entourent.
A la manière de Foucault, c'est l'ontologie qui m'intéresse et non la supra ou la super structure (donc les systèmes). Tout le reste à mon sens n'est que sophisme.

Paris, le 22 novembre 1994
J.-C. A. J.
: Pour en finir avec votre FRAC, en quoi risque-t-il d’être « relativement ambigu ». Quel est selon vous, la nature de ce « risque » ?
De ce que le sieur Cholvy avance selon vous, faut-il conclure que les agents de police par exemple, distinguent les immigrés dans la rue - dans le feu de l’action -, selon qu’ils appartiennent à telle ou telle « génération » ou selon leur « costume » (ou apparence extérieure) ? Et, bien que votre évocation de L’Édit de Nantes me paraisse éluder par son anachronisme la question soulevée par Ben, faut-il selon vous tenir sa révocation pour « périmée ou décisive » du point de vue historique ... ?
Quelques précisions sur votre « ontologie » par opposition aux « systèmes » seraient en outre bien venues, me semble-t-il, sauf à vous voir à votre tour qualifié de « sophiste » par nos lecteurs.
Et puisque le temps est venu pour nous de conclure, quelques précisions sur vos réponses antérieures me semblent de nature à éclairer le lecteur de la présente interview écrite :
- S’agissant de la question relative à la collection (C1 & C2), je pourrais la poser autrement : en quoi l’exposition de la collection Devautour 1 par exemple, a pu changer l’appréhension de votre fonction de responsable d’un Fonds (FRAC) ? Ou bien, continuez-vous à ne pas vous « en préoccuper » et à la considérer comme « inepte et inexpressive » 2 ?
- Enfin, corrélativement, la question qui a guidé notre entretien en réponse au désir exprimé par les artistes Queyrel et Stauth de vous inviter à participer au même titre que les autres contributeurs aux « Costumes Pour Marseille » , par interview interposée notamment, pourrait se résumer comme suit :
Toute pratique artistique contemporaine ne peut que faire de l’instance administrative, économique et politique (le FRAC) qui la produit, un objet esthétique. Or, cet usage réflexif implique ou intègre d’emblée la structure institutionnelle dans le processus même de l’exposition. « Des Costumes Pour Marseille » exposent donc non seulement des artistes à des pratiques para-artistiques sinon anti-artistiques, mais encore tous les intervenants qui, quelque soit leur fonction dans son anticipation ou sa réalisation, rendent l’événement - l’exposition - possible. De telle sorte que, dans ce projet qui a bientôt six mois, le FRAC - en tant que producteur et réceptacle (non dépourvu de plasticité) de l’exposition - est lui aussi l’objet de l’exposition 3 ; au même titre in summa que les œuvres (et / ou le désœuvrement dont elles feront état). Car la production dont vous avez en l’occurence la charge, suppose non seulement comme l’écrit Bourdieu à propos de Duchamp, « la production du producteur comme artiste », mais encore la production du producteur comme produit (culturel, par exemple). Or, en quoi ce produit (n’) est-il (pas) marseillais ? Telle est grosso modo la question dont il s’est agit au cours de cette interview, en tant que vous êtes un acteur - partiel ou partial, qu’importe, puisque vous en êtes jusqu’à preuve du contraire, l’initiateur et que vous êtes, quoiqu’il en soit de la partie, comme on dit. Bref, en tant que vous participez aux « Costumes Pour Marseille » à proportion de vos réponses par exemple, c’est-à-dire, de votre responsabilité (anticipée ou non), comment envisagez-vous, finalement, l’avenir des« Costumes » ?


1 - Exposition qui s’est tenue au FRAC PACA (Générique 2) du 5 mars au 14 avril 1994. Dans le catalogue, vous écrivez par exemple, p.99 : « la collection ne peut survivre qu’après sa propre destruction ».
2 - Voir votre réponse initiale du 22 septembre 1994.
3 - Comme l’attestent mutatis mutandis par exemple - à contrario, hélas - les difficultés rencontrées par les « Centres d’Art », et partant leur désaffection auprès des contribuables. Là-dessus, voir Le Journal de l’Art, n°8, nov.1994, p.6.

Marseille, le 24 novembre 1994
É. M.
: Ce qui risque en effet d'être ambigu, c'est plutôt mon humeur en tant que directeur de F.R.A.C. À deux mois du vernissage, je ne sais pratiquement rien de l'exposition : mis à part un cadre théorique incertain. Je fais confiance au courage de Pascale et Claude pour venir à bout des difficultés techniques auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement. Un responsable doit savoir prendre des risques, et je vous garantis que ce projet en comporte - ce qui est d'ailleurs tout à son honneur.
Je ne comprend pas votre question sur la distinction de l'immigré par le policier. Je ne vois pas où vous voulez en venir. Ce que je dis - via le « Sieur » Cholvy - c'est que l'électorat lepeniste n'est pas le même que celui de De Villiers.
Quant à l'Édit de Nantes, si Louis XIV a tenu à le révoquer, c'est pour ne plus avoir de problèmes avec l'Occitanie. L'histoire pense plutôt que s'il avait pu massacrer les protestants, il l'aurait fait avec plaisir. Sa révocation me paraît décisive et non périmée.
J'ouvre une parenthèse sur les protestants dont on connaît le rejet platonicien de l'image, ce qui peut intéresser nos jeunes artistes dont l'utilisation et le détournement de cette dernière intègrent régulièrement leur démarche.
Quant au terme « ontologie », je veux dire tout simplement qu'à mon avis, les systèmes sont créés par des êtres et non le contraire. Il est certain que ces mêmes êtres peuvent utiliser les systèmes déjà existants pour moduler leurs prochains. Mais à l'origine, il y a l'être et c'est cela qui m'intéresse avant tout. À la manière de Kant, ce n'est pas la critique formaliste de l'œuvre qui compte pour moi mais le rapport créé et entretenu entre l'être et l'œuvre. Par ailleurs, pourquoi la mythologie grecque m'excite plus que la bible, c'est parce qu'elle donne un caractère strictement humain et vivant à ses dieux - que l'on reconnaît par leurs faits et non par leurs théories. Selon la définition du Petit Robert, l'ontologie est la science qui s'applique à l'être en tant qu'être, indépendamment de ses déterminations. Ce que j'appelle « Sophisme » où sont ceux qui se servent du discours comme de l'arbre qui cache leur forêt d'ignorance. Actuellement par exemple, nombre de vos confrères critiques théorisent sur un art proche de la vie en singeant une invention philosophique alors que Fluxus a porté cette théorie à un degré inégalé à ce jour. Fluxus n'est rien sans ceux qui l'ont composé et sans connaître les questions de leur génération. Pour en finir avec ce problème, je dirais que des gens comme Beckett ou Céline ont su regarder l'homme et démonter (ou démontrer) les systèmes à travers la radiologie de ce dernier.
Je vous rappelle que ce que j'ai écrit à propos des collections publiques - au sein du catalogue Générique 2 - venait après une série de réflexions sur le rapport public/patrimoine. Quand je certifie que « la collection ne peut survivre qu'après sa propre destruction » je me permets de préciser noir sur blanc en amont : « on peut arriver avec beaucoup d'humour au paradoxe suivant... ». Donc, monsieur Agboton-Jumeau, il faut replacer les choses dans leur contexte. Quoi qu'il en soit, je reste persuadé qu'une révolution (qui, je vous le concède, s'apparente souvent à la destruction) des mentalités est nécessaire à l'approche de nos grandes collections publiques.
Ce que je trouvais inepte et inexpressif, ce n'est pas votre réflexion sur l'adéquation : exposition monographique - exposition collective, collection publique et projet de collection mais la formulation qui non seulement complique le débat mais pervertit une réflexion où des portes ont déjà été ouvertes bien avant nous. N'oubliez pas que Pascale et Claude n'ont de cesse de sortir des marges du champ traditionnel de l'art ; ce n'est pas en jouant - même aussi brillamment soit-il - sur l'alambic des mots que l'on peut lier un contact avec un public différent, surtout dans un support qui se veut dépliant d'information.
Je n'ai jamais dis que le projet n'était pas « marseillais » mais qu'il fallait tout simplement veiller à l'émergence et à l'entretien d'un caractère revendicatif dangereux.
Par ailleurs, la structure que je dirige n'est pas un acteur partiel mais un gros acteur même si notre souci a été de sortir de nos propres murs. Ma position personnelle ou institutionnelle est je vous l'accorde totalement partiale dans le sens où la manière de travailler et les résultats de Pascale et Claude sont déterminants dans les rapports que nous entretiendrons avec eux dans le futur.
Quant à l'avenir des « Costumes », nous en reparlerons non pas le samedi 28 janvier mais le 11 mars 1995, au dernier jour de l'exposition. Un projet artistique c'est comme un couple, il faut vivre avec l'autre pour le connaître parfaitement.

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