STAUTH & QUEYREL 

INTERVIEW / GUY HERMIER

Des Costumes Pour Marseille :

Le bulletin n°1 est le manifeste Des Costumes Pour Marseille. Outil politique ou artistique, le manifeste est défini comme « une déclaration écrite par laquelle un groupe de personnalités rend compte de sa conduite dans le passé et définit les objectifs qu’il se propose dans l’avenir ».
Dans la préface de l’édition anglaise de 1888 du Manifeste du parti communiste, Engels écrit qu’il fut chargé avec Marx en 1847 au Congrès du parti de Londres de « mettre sur pied la publication d’un programme théorique et pratique complet ».
Au vu de cette définition, la lecture Des Costumes pour Marseille pose en fait l’exposition, le bulletin et l’affichage à la fois dans le “domaine” du pratique et du théorique. Il n’y a pas de dichotomie.
Au-delà du fait que l’on ait ici à faire à des artistes, donc des gens qui revendiquent la forme comme langage, pensez-vous que cette “adéquation” entre pratique et théorie soit une nécessité politique ?

Guy Hermier :
Au risque de déplaire en ces temps où les populismes font florès, je suis résolument pour une politique à forte composante théorique. Réduire pragmatiquement la politique à un art du possible est l’alibi à tous les opportunismes. Une politique qui cherche au contraire à ouvrir pour les hommes le champ des possibles - contre le diktat prétendu des contraintes, qui est le maître mot de tous les conservatismes - a besoin de théorie. Non pas, surtout, d’une théorie doctrinaire - que ce soit le marxisme-léninisme ou le reagano-tatchérisme. non pas d’un dogme, comme disait Marx, précisément. Mais d’une théorie qui aide à critiquer les fausses évidences, à penser une réalité complexe, à nourrir une pratique authentiquement transformatrice. C’est en ce sens que je tiens le lien entre la théorie et la pratique pour une nécessité politique majeure.

D.C.P.M. : Dans le manifeste Des costumes pour Marseille, un certain nombre de termes sont utilisés, soigneusement choisis par Stauth et Queyrel pour définir précisément le lieu où ils veulent réfléchir et intervenir. On trouve ainsi les mots : acte, souscription, chose publique, engagement, peuple, rassemble. Ce sont là des termes qui pourraient facilement être dans un discours politique. Nous voudrions ici vous interroger en distinguant deux définitions du terme politique.
Premièrement en envisageant le terme de “polis” dans la définition grecque de cité. Cette exposition Des costumes pour Marseille correspond (de par son sujet, son organisation...) à un engagement de Stauth et Queyrel dans la ville, dans la cité Marseille.
Reconnaissez-vous la validité, la pertinence et la qualification de politique à un engagement quand celui-ci est le fait d’une ou plusieurs personnes dans un espace différent de l’appareil politique traditionnel ?


G. H. : Je ne saurais pour ma part réduire la politique aux appareils traditionnels, qu’ils soient partitaires ou institutionnels. L’action syndicale, la vie associative mais aussi les aspirations à l’autonomie personnelle, les forces d’intervention directe des citoyens, la disponibilité pour les initiatives solidaires, sont des engagements dont la validité et la pertinence font d’autant moins de doutes à mes yeux qu’ils constituent souvent des dimensions de l’indispensable renouveau de la politique. C’est naturellement vrai de la création, cette forme essentielle d’appropriation de la réalité, d’exploration de son avenir. Il n’est pas ainsi de politique de transformation sociale sans courage de la création, de la recherche, de l’innovation, de la découverte.

D.C.P.M. : Deuxièmement, au sens actuel du terme politique. Nous abordons là votre terrain d’expression particulier. Le terme de costume développe un champ sémantique qui n’est pas sans rapport avec celui politique (“la valse des étiquettes”, “le veston rose”...) et que se posent ici des problèmes de représentation. Quelle serait la lecture que vous pourriez faire de votre fonction à la lumière du terme “costume” ? Cela vous semble-t-il un angle pertinent pour réfléchir sur la politique ?

G. H. : Notre démocratie représentative est souvent en représentation. On n’entre pas à l’Assemblée nationale sans cravate. Vice-président de l’Assemblée en 1979, je présidais encore les séances en costumes de ville le matin, en jaquette l’après-midi, en habit le soir. Cette coutume fut heureusement oubliée en 1981. Or, précisément, costume vient de coutume. C’est en ce sens que le terme me semble pertinent pour réfléchir sur la politique. Je la trouve trop costumée, trop coutumière, notre démocratie trop délégataire et pas assez directe. Je milite pour une rénovation en profondeur de la politique qui lui fasse retrouver le sens des réalités en mutation de notre temps.

D.C.P.M. : Quel serait, a priori, l’élément de la ville (historique, musical, architectural...) sur lequel vous voudriez réfléchir si vous aviez un costume à réaliser pour l’exposition ? Autrement dit, quel élément ou quelle “image” dans le sens large du terme, vous semble exemplaire de la ville ?

G. H. : Dans votre Manifeste vous affirmez que « le monument de Marseille c’est son peuple ». Je ne vois pas “d’image”, de costume, plus exemplaire de Marseille que son peuple, un peuple fier, toujours rebelle à un pouvoir central qui lui a souvent été hostile, toujours franchement attaché à son indépendance, à son identité. La preuve est qu’il est peu de villes en France dont on dit qu’elles ont un peuple. Mais puisque vous avez fait vous-même cette proposition, j’avancerai une autre suggestion, celle du port. Et pas seulement pour la place qu’il n’a cessée de tenir dans la vie économique ou la structuration de l’espace urbain de Marseille. mais parce que le site exceptionnel où elle s’est fondée et sa situation de ville-port, ouverte sur le large et régulièrement nourrie d’importantes vagues migratoires, n’ont pas peu contribué à l’irréductible originalité de Marseille.

Propos recueillis par Angélique Schaller pour Des Costumes Pour Marseille.

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