Depuis le XIIIe siècle en France, un processus de consultation du peuple par le pouvoir est mis en œuvre - dans des circonstances exceptionnelles - via la rédaction de cahiers de doléances.
Ceux-ci recueillent vœux, demandes et protestations adressés aux gouvernements.
Les plus connus ont été rédigés en 1789, pour les États généraux convoqués par Louis XVI. Si leur nature est inscrite dans un temps particulier, ils témoignent néanmoins de préoccupations qui résonnent encore avec nos actualités.
Nous nous sommes appuyé sur certains de ces cahiers conservées dans les fonds départementaux et nationaux, pour rechercher quelles formes de traductions plastiques nous pourrions en proposer aujourd’hui.
Les 24 propositions où texte et image se répondent constituent nos “Doléances”.
« la noblesse jouit de tout », infographie 2023
« Fermer l’entrée des emplois et des professions honorables à la classe la plus nombreuse et la plus utile, c’est étouffer le génie et les talents, et les forcer à fuir une ingrate patrie ; cependant les nobles seuls dans notre constitution actuelle jouissent de toutes les prérogatives : richesses territoriales, honneurs, dignités, grâces, pensions, retraites, gouvernements, écoles gratuites et fondations pour les demoiselles nobles, chapitres richement dotés, en un mot établissement de tout genre, voilà les faveurs que l’État prodigue à la noblesse exclusivement et aux dépens du Tiers-État.
Ainsi la noblesse jouit de tout, possède tout, et voudrait s’affranchir de tout ; cependant si la noblesse commande les armées, c’est le Tiers-État qui les compose ; si la noblesse verse une goutte de sang, le Tiers-État en répand des ruisseaux. La noblesse vide le trésor royal, le Tiers-État le remplit ; enfin le Tiers-État paie tout et ne jouit de rien. »
Cahier de doléances de la communauté de Lauris (extrait), mars 1789
« Que le Tiers-État cesse enfin de se plaindre », infographie 2023
« Le duc de Vendôme, à l’assemblée de Cognac en 1526, disait : « Je parle au nom d’un ordre qui sait mieux agir que discourir. » Sire, nous vous offrons la moitié de nos biens ; si la moitié ne suffit pas, la totalité, et par-dessus nos épées, et jusqu’à la dernière goutte de notre sang.
Tel a été, Sire, dans tous les temps, et tel sera encore aujourd’hui le langage de la noblesse française ; mais dans une circonstance où elle est appelée au pied du trône pour y porter ses doléances, aura-t-elle le courage de taire à Votre Majesté l’impression profonde de douleur que lui ont laissé jusque dans les fonds des campagnes qu’elle habite les plaintes si amères, si répétées et si peu méritées du Tiers-État ? […] Votre Majesté est entourée de ses enfants, de ses frères, des princes de son sang, chef de la noblesse. Réunissons donc tous nos efforts et nos lumières, non pour changer la constitution, mais pour l’affermir. Que le Tiers-État, satisfait de tous les droits qu’il a acquis et de ceux que la noblesse a perdus, cesse enfin de se plaindre ; qu’il jette les yeux sur tous les États de l’Europe : il y verra dans tous les royaumes une noblesse plus privilégiée que la noblesse française ; il y a des républiques même gouvernées par des nobles, et partout les nobles séparés des plébéiens par lois et par mœurs ; les uns et les autres, Sire, les unissent et les rapprochent dans votre empire. »
Cahier de la noblesse - sénéchaussée de Castres (extrait), mai 1789
« Que tous les prêtres se mariassent », infographie 2023
« Que tous les prêtres se mariassent. La tendresse de leurs épouses réveillerait dans leurs cœurs la sensibilité, la reconnaissance, la pitié si naturelle à l’homme, que les vœux de chasteté et de solitude ont étouffées chez presque tous ceux qui les ont prononcés. Les caresses innocentes de leurs enfants leur produiraient ce bien infini, qu’elles leur rappelleraient qu’ils en ont fait de même à leurs pères, que ceux-ci y ont répondu comme eux, qu’ils leurs doivent les égards, les obligations dont les leurs sont tenus envers eux-mêmes, qu’ils sont enfin des hommes comme nous autres, et jamais d’un rang plus distingué du nôtre que lorsqu’ils auront plus de vertus. […] Qu’ils se marient donc nos prêtres ! Le plus grand bien arrivera, le scandale de leur part sera détruit. »
Cahier de doléances de la ville de Chalais (extrait), mars 1789
« détruire ces moines inutiles », infographie 2023
« Le clergé, indépendamment de ses propriétés, perçoit le dixième des fruits de nos terres…
Lorsque nos ancêtres firent de gré ou de force ce magnifique présent à leurs prêtres, c’était pour fournir à leur subsistance et distribuer le surplus aux pauvres ; mais hélas ! Que leurs volontés sont mal exécutées ! Notre curé est sourd aux gémissements des nécessiteux dont cette paroisse fourmille.
Cinq moines consomment 24 000 livres de rentes dont nos biens font partie. Superbement logés, les mets les plus recherchés abondent sur leur table ; les dames, la noblesse sont admises ; mais les pauvres qui se présentent à leurs portes sont chassés ignominieusement comme des êtres vils et méprisables qu’ils ne reconnaissent plus pour leurs frères.
Usez, Sire, de grâce, de toute votre puissance pour détruire ces moines inutiles qui ont fait vœu de pauvreté et qui regorgent de richesses ; ce sont des sangsues dévorantes, des plantes parasites ; et c’est chez eux que Votre Majesté trouvera un des moyens de restauration de ses finances.
Que nos prêtres ne se mêlent plus d’affaires temporelles ; qu’ils soient sans cesse occupés à attirer sur nous les bénédictions célestes ; qu’ils s’abstiennent de vouloir dominer aux assemblées nationales, qu’ils se bornent à vivre des charités des fidèles, c’est leur institution : alors on pourra leur pardonner de qualifier de don gratuit ce dont ils feront présent à l’État. »
Cahier de doléances de la communauté de Saint-Quintin et de Cayrac (extrait), mars 17899
« Les droits seigneuriaux offensent l’homme », infographie 2023
« Au moment de la renaissance des droits de l’homme, de la liberté civile et individuelle, l’abolition des vestiges encore existants de la servitude de nos pères est un acte bien digne du gouvernement. Toutes les communes de la sénéchaussée se réunissent et n’élèvent qu’un cri pour demander cette abolition. Les droits seigneuriaux offensent l’homme, comme homme ; il en est surtout qui avilissent et dégradent le citoyen sur lequel ils sont établis et exercés. Ils arment l’homme contre son semblable, ils produisent une occasion toujours renaissante d’oppression, de vexation, d’injustices marquées sous le titre trompeur de droit acquis et qu’on ose même dire imprescriptible, comme si par aucun temps possible l’usurpation faite sous les faibles successeurs de Charlemagne sur l’autorité royale et sur des hommes nés libres pouvait être légitime ! […]
Ici le pauvre n’a pas le droit de faire du feu dans sa chaumière pour se garantir des impressions du froid, s’il ne l’achète chèrement du seigneur, par une contribution prise sur sa subsistance et celle de sa famille. […] l’homme est esclave, et ce dernier mot, qui n’est que trop exact, peint tout l’odieux des droits contre lesquels le Tiers-État réclame. […] si le seul bruit des chaînes des hommes ne permettait la révolution heureuse qui est sollicitée, c’est que le despotisme féodal gêne les mutations, éloigne les cultivateurs et dépeuple les campagnes […] Tout est abusif dans l’exercice des droits seigneuriaux : la justice n’est pas rendue, et trop souvent cette justice n’est qu’une arme dans la main des seigneurs […] »
Cahier de doléances du Tiers-État - sénéchaussée de Draguignan (extrait), avril 1789
« Tout homme qui a l’honneur de voter », infographie 2023
« Nous réclamons ici, au nom de l’Humanité, l’extinction de certains droits féodaux que l’ignorance des siècles barbares a consacrés à l’orgueil féroce des nobles possesseurs de quelques vieux châtels. Tout homme qui a l’honneur de voter en corps à l’élection des représentants de sa paroisse, de sa ville ou de la province, est à notre avis peu fait pour donner le ridicule spectacle de franchir un fossé plein d’eau, ou de s’agenouiller devant une porte pourrie pour baiser avec respect un maillet sale et rouillé. »
Cahier de doléances des vitriers de Saint-Maixent (extrait), mars 1789
« L’administration dans son principe est arbitraire », infographie 2023
« L’administration dans son principe est arbitraire.
Dans sa forme elle est illégale.
Dans son effet, elle est injuste, pernicieuse, destructive de tous les droits : elle attaque la liberté et les propriétés des citoyens.
Notre administration actuelle est conduite par l’autorité d’un seul homme : c’est le commissaire départi, M. l’Intendant, qui est le chef administrateur ; c’est ce commissaire départi, ses coadministrateurs les magistrats, tels qu’il croit convenir pour porter ces noms, mais qui en effet n’en ont que le nom ; car il a sous lui son subdélégué qui le représente et qui assiste à toutes les délibérations du corps de l’administration.
Dès lors, les délibérations ne sont pas libres ; elles sont gênées par l’influence de l’autorité supérieure. Il faut que tout se passe au gré de cette autorité ; personne n’oserait manifester un avis différent du sien, on craint de l’indisposer, d’encourir sa disgrâce et de perdre la faveur et la protection de Monsieur l’Intendant.
C’est donc l’arbitraire, la volonté d’un seul, qui est le principe de l’administration actuelle… Jamais il n’a été dit dans aucune société que le total des affaires serait conduite et dirigé par la volonté d’un seul ; que ce seul disposerait des intérêts de tous et qu’il ne rendrait compte qu’à soi-même ; ce serait une société mal entendue, qui adopterait un régime monstrueux, tel qu’est ici l’administration qui nous fait gémir. »
Cahier de doléances de la ville de Bergues-Saint-Winoc (extrait), mars 1789
« nous avons droit de nous plaindre », infographie 2023
« Que nous faut-il de plus pour nous prouver que nous avons droit de nous plaindre de l’éducation qu’on nous donne, du préjugé qui nous rend esclaves, & de l’injustice avec laquelle on nous dépouille, en naissant, au moins dans plusieurs provinces, du bien que la nature & l’équité semblent devoir nous assurer.
Il est, dit-on, question d’accorder aux Nègres leur affranchissement ; le peuple, presqu’aussi esclave qu’eux, va rentrer dans ses droits : c’est à la philosophie qui éclaire la nation, à qui l’on sera redevable de ces bienfaits ; seroit-il possible qu’elle fût muette à notre égard, ou bien que, sourds à sa voix, & insensibles à sa lumière, les hommes persistassent à vouloir nous rendre victimes de leur orgueil ou de leur injustice ? […] Ce n’est point aux honneurs du gouvernement, ni aux avantages d’être initiées dans les secrets du ministère que nous aspirons ; mais nous croyons qu’il est de toute équité de permettre aux femmes, veuves ou filles possédant des terres ou autres propriétés, de porter leurs doléances au pied du trône ; qu’il est également juste de recueillir leurs suffrages, puisqu’elles sont obligées, comme les hommes, de payer les impositions royales & de remplir les engagements du commerce.
L’on alléguera peut-être que tout ce qu’il est possible de leur accorder, c’est de leur permettre de se faire représenter, par procuration, aux états-généraux. On pourroit répondre qu’étant démontré, avec raison, qu’un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble ; de même, un homme ne pourroit, avec plus d’équité, représenter une femme, puisque les représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les représentés : les femmes ne pourroient donc être représentées que par des femmes. »
Cahier des doléances des femmes par Mme B. B. - pays de Caux (extrait), juin 1789
« ces privilégiés profitent de la misère des habitants », infographie 2023
« La suppression entière et totale de tous les privilèges quelconques. Notre paroisse a de très fortes raisons pour demander et solliciter cette suppression, d’autant plus qu’elle contient cinquante maisons bourgeoises qui possèdent les plus beaux biens du terroir, tant en maisons, enclos et terres dans la campagne, sans payer d’impositions. D’ailleurs ces privilégiés profitent de la misère des habitants de la paroisse pour envahir les terres et maisons qui sont à vendre, en offrant un prix qu’aucun paroissien ne peut donner, vu qu’il est chargé de payer annuellement des impôts dont les privilégiés sont exempts ; et si l’on arrête le cours de ces privilèges, Vitry, qui est à une portée de Paris, se trouvera, dans peu de temps peuplé et habité aux trois quarts par des valets rentés qui prennent le titre honorable de bourgeois de Paris, louent ou achètent un manoir ; et dès lors, les impôts que payait cette partie tombent sur le reste de la paroisse et les plus misérables habitants.
Une autre sorte de privilèges sont les exemptions aux charges de paroisse, dont nous sollicitons très expressément la suppression. Ce sont les habitants les plus aisés de la paroisse, lesquels pour se soustraire aux charges, achètent des offices, soit dans la garde de la ville, soit dans la monnaie, soit dans les chasses, dans la gabelle, les aides etc. De sorte que neuf à dix des plus riches, et par conséquent les plus en état de supporter les charges, vu qu’ils sont les plus aisés et les plus instruits, en sont exempts ; et ces mêmes charges tombent nécessairement sur la partie la plus indigente et la plus ignorante des habitants. »
Cahier de doléances de la paroisse de Vitry-sur-Seine (extrait), avril 1789
« Que peut craindre le Roi en attaquant le luxe », infographie 2023
« Lorsque toutes les économies dont les différentes parties de l’administration sont susceptibles, auront été opérés ; que les frais immenses de la perception actuelle des impôts tourneront au soulagement des contribuables ; que l’on aura effectué les retranchements nombreux qui sont à faire dans tous les départements, les maisons du Roi et des princes […] que l’universalité des fonds du royaume sera imposée à une contribution égale et proportionnelle, que ceux consacrés au plaisir et à l’ornement paieront au moins autant que ceux de la première nécessité, et que chacun sera imposé suivant ses facultés sur un rôle commun aux trois ordres et dans la même forme, les Français pourront espérer de voir rétablir l’équilibre entre la recette et la dépense du gouvernement et aspirer à goûter enfin les douceurs du repos sous la sauvegarde des lois et de la liberté.
Cependant, si toutes ces améliorations ne suffisaient pas encore, Sa Majesté sera très humblement suppliée d’observer que les fonds ne pouvant tout supporter, il conviendrait […] d’imposer les marchandises de luxe et d’assujettir à une forte contribution les voitures et laquais. L’usage trop multiplié de ces voitures souvent inutiles, quelquefois funestes et toujours incommodes, détourne une quantité d’hommes de leur véritable destination, et occupe un nombre incroyable de chevaux, dont l’emploi devrait être consacré à l’agriculture, au commerce et à la guerre.
Que peut craindre le Roi en attaquant le luxe dans ses principales sources ? »
Cahier de doléances du Tiers-État - bailliage d’Auxerre (extrait), 1789
« le riche ne paie que ce que paie le pauvre », infographie 2023
« À Marseille l’impôt est abonné ; c’est un des privilèges de la ville dont on doit désirer la conservation, pour le repos de chaque habitant. Mais la ville, dans la répartition de cet impôt, ne pourrait-elle pas établir plus de justice et plus de proportion qu’il n’en a été observé depuis de longues années ?
Les propriétés immobilières, sur lesquelles l’impôt est ordonné et sur lesquelles il devrait être levé, en sont affranchies au moyen de l’abonnement, et la communauté se rembourse du montant de cet abonnement par une imposition sur le pain et sur la viande.
Par là, tout citoyen devient égal pour sa contribution à l’impôt, quoiqu’il ne le soit pas en facultés : le riche ne doit et ne paie que ce que doit et paie le pauvre.
Un père infortuné chargé d’une nombreuse famille, paie autant que l’homme opulent qui mène à sa suite une cohorte de domestiques, parce que chaque individu de cette famille infortunée a les mêmes besoins que la famille fastueuse de cet homme opulent ; il faut du pain a chacun d’eux et le pauvre en consomme davantage parce que c’est presque son seul aliment.
Le faste du riche, sa table somptueuse ne servent qu’à augmenter la misère du pauvre : ils font renchérir tous les aliments de première nécessité que l’on est forcé de tirer de l’étranger ou des villes circonvoisines, parce qu’on ne les trouve pas à suffisance dans le territoire. […]
Dès que l’impôt n’est pris que sur le pain et sur la viande, celui qui se préoccupe d’autres jouissances à sa table ne supporte pas l’impôt. »
Cahier de doléances des maîtres tailleurs - sénéchaussée de Marseille (extrait), mars 1789
« une injustice bien révoltante », infographie 2023
« Parmi toutes les inconséquences et les atrocités qui résultent de nos lois criminelles, il en est deux surtout qui ne feront jamais l’apologie de notre gouvernement et de notre prétendue civilisation. La première est celle qui, distinguant les hommes jusque dans l’action de la loi, détermine la nature des peines selon les personnes et non selon les délits. Qu’un noble par exemple coupable de tel crime ait la tête tranchée, tandis qu’un non noble coupable du même crime doive expirer suspendu à un gibet, par cette seule disposition on a déclaré qu’il y a des supplices infâmes et d’autres qui ne le sont pas, que le noble appartient à une classe privilégiée, et que le roturier appartient à la classe avilie des citoyens, à la classe que les lois n’ont pas considérée, et de l’honneur de laquelle elles ne tiennent aucun compte.
La seconde est celle par laquelle on dégrade de noblesse un privilégié avant que de l’envoyer au supplice ; par là, il se fait une injustice bien révoltante : d’abord on semble dire au peuple que les crimes sont faits pour lui, puisqu’avant de punir le noble, on le rejette dans la classe du peuple comme indigne d’appartenir à une classe plus élevée et ensuite on humilie et outrage la classe du peuple dans laquelle on fait descendre le coupable privilégié. »
Cahier de doléances de Castelferrus (extrait), avril 1789
« au secours de l’humanité souffrante », infographie 2023
« Que pour venir au secours de l’humanité souffrante, il soit établi :
1° Dans chaque paroisse de la campagne un bureau de charité et de miséricorde administré par la municipalité et fourni de fonds suffisants et proportionnés aux besoins de la paroisse ; lesquels fonds seroient employés à secourir et alimenter les nécessiteux ; à procurer tous les secours et tous les remèdes nécessaires aux pauvres malades qui pour lors auroient la douce satisfaction de rester dans leurs foyers au milieu de leur famille, où ils respireroient un air plus pur et plus sain, et où ils seroient beaucoup mieux soignés et à beaucoup moins de frais que dans les grands hôpitaux, asyles respectables à la vérité, mais qu’on peut dire cependant avec raison beaucoup plus nuisibles qu’utiles à l’humanité.
2° Dans un certain arrondissement, un médecin ou chirurgien habile, expérimenté connu publiquement pour tel, auquel seroit assigné un honoraire suffisant ; lequel seroit tenu d’assister les malades, de quelque qualité et condition qu’ils fussent à quelqu’heure qu’il en fut requis, se faisant payer des riches et donnant gratuitement ses soins aux pauvres. »
Cahier de doléances de Villers-aux-Nœuds (extrait), mars 1789
« le droit de défendre sa récolte », infographie 2023
« Il est de notre devoir de nous plaindre encore de cette prodigieuse quantité de gibier qui ravage nos campagnes. Les pigeons et perdrix enlèvent une partie de nos semences ; les lièvres et lapins, les cerfs et les biches rongent tous nos grains dans l’étendue de nos plaines, et si le malheur veut que nos récoltes versent à l’approche de la moisson, bientôt elles sont pillées par le gibier de toute espèce ; nous n’avons pas même la liberté de détruire les corbeaux, ces volatiles si destructeurs des productions de nos terres. Hélas ! que le plaisir de la chasse coûte de nourriture d’hommes ! que de terres manquent leur production par cet onéreux droit ! Il faut souffrir avec silence que le gibier mange nos légumes et même nos arbres jusque dans nos jardins, et s’il arrive qu’on tende un piège pour arrêter cet animal destructeur, bientôt, sur le rapport d’un satellite, on est suivi criminellement et traîné dans les prisons ; le mari est enlevé à sa femme, le père à ses enfants, à qui les bras sont si nécessaires pour la subsistance. Au moins si les seigneurs veulent se procurer ce plaisir, qu’ils renferment leur gibier dans l’enceinte de leurs parcs et dans l’étendue de leurs bois ; mais que chaque particulier ait le droit de défendre sa récolte. »
Cahier de doléances de la paroisse de Croissy-en-Brie (extrait), avril 1789
« nous ne forgerons plus tant de chaînes », infographie 2024
« Nous bornons ici nos demandes, laissant à d’autres classes de citoyens le soin de faire des réclamations plus étendues. Nous sommes convaincus d’avoir mis en avant les plus pressantes, et, nous pouvons le dire, ce ne sera jamais que par les moyens que nous proposons, que le bien pourra s’opérer ; ce ne sera jamais que par cette heureuse Révolution, que le pauvre pourra gagner, avec plus d’aisance, l’aliment nécessaire pour le soutien de sa vie pénible.
Ce ne sera jamais que par ces moyens efficaces, que les mœurs se rétabliront dans leur ancienne pureté et que les crimes qui déshonorent la Nation se perdront insensiblement. Nous serons les premiers, sans doute, à nous apercevoir du changement heureux qui s’opérera dans la société ; nous éprouverons une différence remarquable dans l’ordonnance des ouvrages de notre état. Oui, nous l’annonçons dans toute l’effusion de notre sensibilité, nous ne forgerons plus tant de chaînes, ni d’entraves, ni de liens, pour priver nos semblables du bien naturel de leur liberté, nous ne serons plus appelés si souvent aux portes des prisons pour fermer, avec nos écrous, les malheureux que le désespoir jette trop souvent dans les routes du crime ; mais nous ne regretterons pas la perte d’un semblable travail. Heureux, et de notre propre bonheur et de celui de nos concitoyens, nous trouverons de plus douces occupations dans la demeure des riches. La vertu rétablie dans ses droits nous fera travailler sans interruption à embellir les temples de la divinité. Nous vivrons d’une honnête aisance et, les mains élevées au ciel, nous bénirons l’arbitre suprême de nos destinées, en lui demandant de conserver les jours du Souverain bienfaisant qu’il a daigné nous accorder. »
Cahier de doléances des maîtres serruriers - sénéchaussée de Marseille (extrait), mars 1789
« mourir de faim tandis que l’on entasse les blés », infographie 2024
« Abus le plus répréhensible et le plus commun est le commerce des blés. Au mois de septembre 1788, les gros laboureurs ont commencé à acheter les blés des petits laboureurs, disaient-ils pour faire la semence, et jour et nuit ne cessaient de les porter ailleurs. Ce commerce a duré jusqu’au mois de janvier 1789, que les petits fermiers n’ont plus eu de blé à vendre ; au moyen de quoi il ne s’est trouvé dans les marchés qu’un dixième de ce qu’il fallait pour la nourriture du peuple qui s’y trouvait. C’était bien le moment de le faire monter à un prix si considérable que le pauvre, au défaut de pouvoir atteindre au prix, meurt de faim. C’est ce qui a occasionné le peuple à demander le blé à un prix raisonnable pour pouvoir y subvenir, sachant et connaissant la méchanceté du riche. Mais le pauvre, toujours faible, a bientôt été victime de son entreprise. L’on a muni les marchés de soldats à cheval qui ont porté la terreur dans le cœur du pauvre. À ce moyen, le laboureur, se croyant soutenu, a bientôt fait remonter le blé à un prix si haut que les pauvres n’ont pu en avoir. Il faut donc, Sire, mourir de faim tandis que l’on entasse les blés dans les greniers année sur l’autre, à pourrir ! Sans votre secours, Sire, tout est perdu pour le pauvre. Secourez donc, Sire, un peuple qui est prêt à répandre son sang pour le soutien de la couronne et la gloire de l’État ! »
Cahier de doléances de Auzouville-sur-Ry (extrait), 1789
« salus populi suprema lex erto », infographie 2024
« Pour ce qui regarde la cherté du bois, il semble que l’autorité pourrait s’en mêler et établir une police qui préviendrait le malheur très prochain d’en voir manquer l’espèce, ce qui rendra ces pays-ci inhabitables. Ce n’est point attaquer les propriétés que d’en régler l’usage de la manière la plus conforme au bien général salus populi suprema lex erto ([Que] Le salut du peuple soit la loi suprême). Il faudrait donc commencer par des visites et des procès-verbaux qui constateraient l’état actuel de tous les bois sur pied, en régler la distribution, avec défense d’en anticiper les coupes, en procurer cependant aux pauvres et leur interdire toute espèce d’enlèvement scandaleux. Il faudrait en même temps supprimer plusieurs usines qui paraissent la cause déterminante de la cherté et de tous excès successifs. On pourrait peut-être faire venir de quelqu’endroit de la houille ou du charbon de pierre, dont il faudrait bien se servir en attendant la croissance du bois, et la liberté de s’en pourvoir comme on voudrait. Quant aux impôts, il n’y a que des vœux à former, qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer, puisque ce sont les vœux de tout le monde. Lorsqu’ils seront une fois diminués, quand on aura soulagé le peuple, qu’il commencera à jouir de quelqu’aisance, l’agriculture, le commerce et tous les avantages perdus se rétabliront comme d’eux-mêmes. Mais entre autres soulagements, oubliera-t-on de lui donner plus de facuItés pour avoir du sel ? Il est cruel de refuser aux hommes pour leur propre usage, une chose si nécessaire à sa subsistance, tandis qu’il conviendrait qu’ils en eussent même pour leurs animaux. Il semble même que ce soit contrarier l’ordre de la divine providence, qui en a fait une provision si copieuse pour toutes les générations. »
Cahier de doléances de Thorey-sous-Charny (extrait), mars 17899
« un sort honnête à vie », infographie 2024
« Que les instituteurs réunissent en même temps les lumières, les mœurs et les vertus suffisantes pour assurer de bons citoyens à tous les différents états ; faire à ces instituteurs un sort honnête à vie, et prendre le fond nécessaire dans les maisons religieuses rentées qui ne voudraient pas s’occuper d’un objet aussi intéressant. Comme aussi de supprimer les écoles et établissements royaux entretenus aux frais de l’État, ou d’y admettre des élèves du Tiers-État de l’un ou de l’autre sexe, au moins en nombre égal à celui de la noblesse. »
Cahier de doléances de Saint-Frajou (extrait), avril 1789
« nous ne paierons plus aux seigneurs », infographie 2024
« Que nous ne paierons plus aux seigneurs de fiefs de rachats ni lods et ventes, mais que nous les paierons aux hôpitaux à l’avenir, pour l’entretien, la nourriture des mineurs, orphelins, infirmes, vieillards incapables de gagner leur vie, dans l’étendue du fief, et, moyennant cela, il ne sera point fait de rôles de cotisations pour la nourriture des mineurs et infirmes de la province comme ci-devant. »
Cahier de doléances des artisans de la paroisse de Pont-l’Abbé (extrait), avril 1789
« comme l’alouette devant le miroir »,, infographie 2024
« Si les impôts fondés sur le monopole d’un service public sont méprisables et immoraux, propres à rendre le gouvernement odieux, […] que dire des impôts de séduction dans lesquels le gouvernement se dévoue à un métier infâme par lui-même, et se permet publiquement une conduite que toutes les lois divines et humaines lui enjoignent de punir chez les particuliers ? […]
Telle est précisément la loterie royale.
Parmi tous les jeux de hasard permis, tolérés, ou même défendus jusqu’à ce jour, y en eut-il jamais de plus désastreux pour les joueurs, de si scandaleusement favorable pour le banquier ? On dit que si le gouvernement ne tenait pas cette banque honteuse, le peuple mettrait aux loteries étrangères, et que l’argent sortirait du royaume. Est-il permis de raisonner ainsi au nom d’un gouvernement, et de lui faire tenir le langage d’un filou de comédie, qui dirait : Je vais vous prendre votre argent, car je m’intéresse à vous, et votre poche pourrait être percée ! […] Des crieurs font retentir les rues de la promesse d’une grosse somme pour un peu d’argent. […] Chaque lot qui sort réellement est un piège de plus : pas un d’eux n’est perdu pour la loterie ; elle sait parfaitement qu’elle n’en fait que l’avance ; elle est sûre qu’il lui reviendra, et qu’il amènera dans l’antre du lion une foule d’innocentes proies. […] Que feraient après ce spectacle les sophismes de la fiscalité ? C’est un impôt volontaire, dit-elle. Volontaire ! comme l’alouette devant le miroir, comme le coq de perdrix à la voix perfide de la chanterelle : et c’est le père du peuple qui tient le réseau […]
Que l’Etat ne cherche les revenus qui doivent maintenir sa dignité, que par des moyens dignes en effet d’un peuple honnête et d’un gouvernement noble et loyal. »
Cahier de doléances du Tiers-État - bailliage de Nemours (extrait), avril 1789
« Les soldats cessent d’être regardés comme des ennemis », infographie 2024
« Que comme d’un côté, la paye actuelle du soldat n’est pas assez forte pour le faire vivre, qu’ainsi il en est plus sujet à la rapine et à d’autres vices, et que, d’un autre côté, la moindre augmentation deviendrait très considérable, il soit pourvu à ce que les soldats en temps de paix, puissent gagner leur vie en exerçant différents métiers exceptés deux jours la semaine, le jeudi et le dimanche, qu’ils feront l’exercice ; et que ce soient aussi les pionniers et autres soldats qui doivent en cas de besoin être endurcis à la fatigue qui fassent les grandes routes, bien entendu payés pour cela. Les soldats cessent, dès lors, d’être regardés par le paysan comme des ennemis, et on ne se plaindra plus amèrement du logement des gens de guerre, dont, dans l’état actuel des choses, nous demandons absolument la suppression. »
Cahier de doléances de Louveciennes (extrait), avril 1789
« le bien général doit être préféré au bien particulier », infographie 2024
« Le ruisseau dont il est question, un des plus beaux qui existent dans le royaume, qui prend sa source dans un rocher au village de Fontois, et qui, dans trois lieues de cours, fait mouvoir neuf moulins à plusieurs tournants et des forges au village de Hayange, était la ressource unique des villages dénommés ci-dessus pour abreuver les hommes et les animaux. Depuis un certain temps le sieur Wendel d’Hayange, possédant ces forges, a imaginé de laver la mine dans le ruisseau. Sur les plaintes qui lui en ont été portées par les différents villages, il a répondu que, travaillant à la fonte des bombes et des boulets pour le roi, il était autorisé à faire usage du ruisseau ainsi qu’il l’entendait. Les communautés n’ont jamais osé intenter une action en justice réglée contre un homme riche et puissant : ce qui a occasionné une diminution sensible des laboureurs aux villages riverains, et ceux qui y sont restés ont essuyé et essuient journellement des pertes de bestiaux fort considérables,[…], s’il plaisait au souverain […] d’ordonner de suivre son ancien usage, tous les villages qui sont [en] dessous, jouiraient de l’avantage qu’ils avaient ci-devant, et la ville de Thionville, ainsi que la garnison, pourrait, au moyen d’un petit bassin qu’on construirait entre les deux, chemins couverts, avoir les eaux les plus saines et les plus limpides possible. On ne serait plus forcé d’aller en puiser dans la Moselle, qui se trouve aujourd’hui infectée par le mélange de cette eau trouble, jaune et remplie de rouille de fer au point même que les jardiniers ne peuvent en arroser leurs jardins, et les tanneurs prétendent que cela porte un préjudice notable à leurs cuirs : nous croyons que le bien général doit être préféré au bien particulier. »
Cahier de doléances des communautés du bailliage de Thionville (extrait), mars 1789
« l’égalité du traitement est la loi », infographie 2024
« Nous demanderons que les pêcheurs étrangers soient soumis aux mêmes taxes, services, polices et procédés que nous, et qu’en cas de refus, ils soient expulsés.
Nous insisterons sur la nécessité de les placer dans cette alternative, qui peut, seule, faire cesser le préjudice irréparable qu’ils portent à la marine et aux pêcheries. Or, cela est si vrai, qu’à présent, il n’y a pas la même quantité de patrons et mariniers qu’il y avait au temps jadis ; cela provient de ce que les dits patrons et mariniers font apprendre à leurs enfants toute autre profession que celle de la pêche, de sorte qu’il n’y a plus une si grande quantités de novices que la pêche formait annuellement pour le service du commerce et de Sa Majesté. Tous ces préjudices ne proviennent que par la tolérance des pêcheurs étrangers.
On ne nous accusera pas d’être injustes et trop exigeants envers ces étrangers, puisque l’égalité du traitement est la loi la plus avantageuse qu’on puisse leur donner. »
Cahier de doléances des patrons pêcheurs - sénéchaussée de Marseille (extrait), mars 1789
« la liberté de la presse », infographie 2024
« Il ne servirait de rien que l’homme fût libre physiquement et civilement si les opérations de son âme étaient gênées, puisque bientôt, par l’effet de ce despotisme qu’on exercerait sur sa pensée, on ne manquerait pas de l’asservir et d’en faire un automate, mais la liberté de la presse lui donnera les moyens de démasquer les oppresseurs et les oppressions dont il serait la victime et l’objet. »
Cahier de doléances de la communauté de Mérindol (extrait), mars 1789