Ouvrir les cahiers
« Ne sentons-nous pas nous-mêmes un faible souffle de l’air dans lequel vivaient les hommes d’hier ? Les voix auxquelles nous prêtons l’oreille n’apportent-elles pas un écho de voix désormais éteintes ? (…) S’il en est ainsi, alors il existe un rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre. » Lire la suite
« Parler avec les mots des autres, voilà ce que je voudrais. Ce doit être ça la liberté. »
Alexandre à Veronika, La Maman et la Putain, 1972.
« L’écriture des images »
« Mes chers camarades, vous voici réunis pour établir
des cahiers de doléances. C’est donc qu’il reste encore beaucoup à faire,
c’est donc qu’il y a encore des aspirations qui ne sont pas satisfaites. »
Edmond Pascal, préfet des Hautes-Alpes, le 2 décembre 1944.
Ouvrir les cahiers
« Ne sentons-nous pas nous-mêmes un faible souffle de l’air dans lequel vivaient les hommes d’hier ? Les voix auxquelles nous prêtons l’oreille n’apportent-elles pas un écho de voix désormais éteintes ? (…) S’il en est ainsi, alors il existe un rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre. »
Au propre / au figuré
« Le langage ne peut rien saisir au-delà du monde sensible, il est constitué de “figures” qui n’offrent qu’un accès imaginaire à la transcendance qu’on projetait d’atteindre. » Ce cheminement est pourtant nécessaire et n’est pas sans effets. Les cahiers de 1789 fourmillent d’instants où les « choses semblent se dépouiller de leur apparence » et se dévoiler soudain, démystifiées. Leur lecture provoque souvent le sentiment que « tout événement du passé peut y acquérir ou y retrouver un plus haut degré d’actualité que celui qu’il avait au moment où il a eu lieu. »
À la lettre
Si l’on ne peut commenter ou expliquer un texte, la traduction minutieuse de certains passages des cahiers — à la lettre — a guidé notre travail. « L’image n’épuise rien, elle indique seulement une direction » de nous à eux et inversement, sur laquelle s’engager. À chaque traduction de se hisser « si l’envie lui en prenait » à « faire entendre sa voix, qui est l‘écoute de l’une des voix du texte ».
Équivalences
La lecture des cahiers nous plonge dans un monde qui n’est plus seulement parlé et représenté à partir de rapports de « hiérarchies » mais d’« équivalences » de tâches, de droits, de devoirs, etc. De ce sens commun, naissent des rapports nouveaux et inédits pour chaque milieu.
Le lecteur des cahiers
« Que cherchons-nous dans les cahiers de doléances de 1789 ? Dans un premier moment et parfois encore au dernier temps de la recherche ce que nos propres présupposés conscients ou inconscients autorisent à chercher et par suite à trouver. Autant dire que dans ce domaine comme dans tous les autres, ce qu’on cherche est fonction de la question que l’on pose aux documents et à la question première, l’hypothèse de départ renvoie à défaut de théorie aux préoccupations de l’auteur. »
D’après modèle
« Au printemps 1789, de véritables cahiers “préfabriqués” ont circulé dans toute l’étendue du royaume. » Ils ont servi de références et de modèles pour la rédaction de doléances sur un autre territoire, pour une autre corporation, etc. Source d’inspiration, les images suscitées par ces modèles ont donné lieu à de multiples discussions et traductions qui ont opéré une forme de co-construction.
Un énoncé collectif
Les doléances sont des constructions collectives, amendées ou rejetées à travers un processus d’élaboration commun de « lectures, discussions, hésitations, choix, adaptations [qui] se traduisent dans de nombreux procès verbaux. (…) Ceux qui parlent et signent pour l’ensemble doivent tenir compte des clivages, des différences d’âge », s’affranchir ou subir « des liens traditionnels de dépendance, de fidélité ou de clientélisme. (…) Ainsi on se rend compte de la manière dont le local filtre les problèmes généraux, imprègne les questions nationales, transforme les porte-parole en auditeurs et en rédacteurs de revendications venues parfois d’en bas. »
L’écriture en figures
Le pictogramme est « un dessin figuratif plus ou moins réaliste ou stylisé, utilisé à des fins de communication mais sans référence au langage parlé ». En accomplissant un effort de dépouillement, en réduisant les figures à une image-type, les pictogrammes composent un « alphabet visuel susceptible d’illustrer tous les phénomènes ».
Prêt à l’emploi
Ces pictogrammes forment un alphabet constitué de signes eux aussi « préfabriqués » et déjà prêts. Ils n’ont pas d’auteur – dans l’acceptation accordée à ce mot dans le monde de l’art. Ils constituent un immense réservoir de formes qui ne sont pas fixées, mais toujours en mouvement, reprises et modifiées. Un langage universel à l‘échelle de la planète mis au service de la description de situations singulières.
Le style impersonnel
« “[…] mon ‹ style personnel › était si impersonnel qu’il pouvait être repris par d’autres.” Ce propos où une manière personnelle est promue au rang de langue collective, montre à quel point, surtout dans un art du dessin, l’anonymat est une construction, l’impersonnalité un style à élaborer à force de travail plutôt qu’un état primaire de l’expression collective qu’il suffirait de retrouver. »
Le contour des objets
« Les objets réclament une forme d’apparition qui n’est fondée que sur le rapport qui les lie à l’espace, qui exprime, non pas leur dimensionnalité, mais la tension de leur contour (non leur forme structurelle, mais leur forme picturale), mais leur existence dans la profondeur. Car sans cela la surface n’arrive pas à la concentration, elle reste bidimensionnelle et ne peut avoir d’autre profondeur que celle, perspectiviste et illusionniste, du dessin ; et non la profondeur qui est la forme non dimensionnelle du rapport unissant l’infinité de l’espace à l’objet. »
Les signes
« dispersé[s] à travers » l’espace défini d’un cadre, « jeté[s] en écharpe, à toute volée, dans toutes les directions de la page » fixent pour un instant « le paradoxe d’une écriture irréversible et fragile, qui est à la fois, contradictoirement incision et glissement » vers un autre arrangement.
Mise en jeu
« Objectivement, une partie d’échecs ressemble beaucoup à un dessin à la plume, avec cette différence que le joueur d’échecs peint avec les formes blanches et noires déjà prêtes, au lieu d’inventer les formes comme le fait l’artiste. »
Stylisation
« Nous ne voulons pas exprimer plus que nous ne savons, mais ce que nous savons, nous voulons le dire de façon si claire, si simple, que tout un chacun puisse le comprendre. (…) Concrètement, cette lisibilité recouvre deux exigences mêlées : la volonté de créer des œuvres simples, d’accès facile à tous, mais aussi l’aptitude de celles-ci à être, au pied de la lettre, lues – double jeu, encore une fois, de l’immédiateté et du langage articulé. D’un côté, l’œuvre univoque dans son contenu et réduite au plus simple dans sa forme doit avoir la présence “d’une fleur ou d’une étoile”. Mais, de l’autre, de par son caractère réglé et dans une supposée adéquation totale du référent et de la forme, elle doit pouvoir refléter dans sa structure les mécanismes qui régissent le monde et la société. »
Décrire le monde c’est déjà le changer
« (…) la mondialisation-moins a fait perdre de vue, au sens littéral, les tenants et les aboutissants de nos assujettissements. (…) Il existe pourtant un épisode de l’histoire de France qui pourrait donner une idée de l’entreprise : l’écriture des cahiers de
doléances, de janvier à mai 1789 (…) En quelques mois, à la
demande d’un roi aux abois en situation de déroute financière et de tension climatique, tous les villages, toutes les villes, toutes les corporations, sans oublier les trois états, parviennent à décrire assez précisément leur milieu de vie, et cela règlement après règlement, lopin de terre après lopin de terre, privilège après privilège, impôt après impôt. »
Composition
Selon Stendhal, la composition « c’est l’art de faire que tous les personnages d’un tableau concourent à une même action » à partir de positions tour à tour communes, cohérentes, cumulatives et divergentes.
À l’image des notes de lecture ci-dessus composées par Claude Queyrel et Pascale Stauth à partir de citations du CNRTL, de Gerd Arntz, Roland Barthes, Walter Benjamin, Claude David, Marcel Duchamp, Philippe Grateau, Bruno Latour, Olivier Lugon, Jacques Rancière, Régine Robin, Daniel Roche, Franz Wilhelm Seiwert et Sophie Wahnich.
CQPS Mai 2024
CQPS Mai 2024
avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur.