STAUTH & QUEYREL 

Edition
36 pages recto-verso + texte in-folio, 21 x 21 cm, 2021
La publication rend compte de la commande du Musée et Jardins de Salagon pour la création d’une œuvre d’art pérenne sur le site.

Nous avons puisé dans les écrits de Jean de La Fontaine et la figure du jardin a orienté notre chemin dans le foisonnement de ses fables. À la fois « plus petite parcelle du monde » et « totalité du monde », elle donne à voir le rapport de l’homme à son environnement naturel, de ses effets les plus destructeurs à l’apprentissage d’une possible sagesse à la portée de tous, ici-bas et maintenant. Nous avons traduit chacune des 17 fables choisies à l’intérieur d’une structure, en les contraignant à s’inscrire dans l’espace selon deux trames orthogonales superposées : l’une horizontale et verticale, l’autre inclinée à 45°. Ce traitement all-over égalise la surface, mais l’intervalle de répétition de chaque trame étant différent, leur superposition crée des ruptures qui visent à transposer dans nos compositions un peu de l’irrégularité des vers de La Fontaine…
 
 
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Les Fables du Jardin

17 fables choisies et mises en fers
par Pascale Stauth et Claude Queyrel
 
À M. I. L. D. C. & F. C.
     
« Les jardins parlent peu, si ce n’est dans mon livre. »
Jean de La Fontaine, L’Ours et l’Amateur de jardin, (VIII, 10)
 
Les origines des fables se confondent avec la faculté de création d’une réalité sensible propre à l’homme. De tout temps et sur tous les continents, cette forme s’est développée pour raconter des prodiges du monde naturel. Elles constituent « une sorte d’alphabet de l’humanité », un genre dans lequel chaque œuvre nouvelle se construit toujours sur un texte « su de tout le monde » dans lequel l’époque reconnaît quelque chose de ses goûts, de ses morales, de ses craintes ou de ses espoirs.

Un corpus
Chaque recueil de fables opère un choix dans un immense réservoir de formes. Les plus célèbres, ceux de Jean de La Fontaine contiennent une sélection de 243 textes ayant pour source des fables indiennes, égyptiennes, grecques, latines, etc. De ces recueils, nous avons extrait 17 apologues recomposés en deux parties articulées par une fable centrale qui constitue une sorte de basculement.

Présage
Le choix de la première fable joue un rôle exemplaire. Comme le premier trait ou la première couleur posée par le peintre détermine une succession d’actions, la fable inaugurale va engager un agencement qui lui sera propre. La Fontaine débute la composition de son premier recueil par une fable qui n’avait jamais eu cet honneur avant lui : La Cigale et la Fourmi. Ce geste d’ouverture vaut signature.

Maître d’un jardin
La fable L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin nous a paru afficher ces qualités inaugurales. Clin d’œil à la scène originelle d’Adam et Ève au jardin d’Éden soumis à la tentation du fruit défendu, elle pose des questions qui résonnent avec notre situation contemporaine. En s’adressant au lecteur/spectateur pris à témoin d’un saccage, cette fable nous place d’emblée au cœur d’un conflit qui a pour objet la place de l’homme dans le monde.

Le jardin-monde
La figure du jardin a orienté notre chemin dans le foisonnement des fables. À la fois « plus petite parcelle du monde » et « totalité du monde », elle nous a paru l’échelle la plus pertinente pour donner à voir le rapport de l’homme à son environnement naturel, de ses effets les plus destructeurs à l’apprentissage d’une possible sagesse à la portée de tous, ici-bas et maintenant.
La prise de parole : un renversement
Dans sa préface au livre XII, La Fontaine nous averti : « Ce ne sont pas choses de peu d’importance que ces sujets. Les animaux sont les précepteurs des hommes dans mon ouvrage. » En donnant la parole à ceux qui ne l’ont pas, les animaux bien sûr, mais aussi les végétaux ou les minéraux, il renverse l’ordre et l’autorité du monde.

Sur le banc
Au centre, L’Homme et la Couleuvre est l’une de ces fables qui a pu faire écrire à J. Giraudoux qu’« il se tue et se massacre plus d’êtres dans La Fontaine que dans la tragédie tout entière ». Ici le péché n’est plus véniel car même si le serpent est un animal ingrat et dangereux, l’homme n’a pas « l’excuse de la faim » comme le Loup. Sa violence devant une victime sans défense est gratuite, elle relève de son orgueil, de sa tyrannie capricieuse et destructrice.
La Fontaine prend non seulement parti contre Descartes et ses « animaux-machines », mais il prolonge encore sa critique en donnant la parole à un arbre qui devient le porte-voix des reproches adressés à la rapacité et à l’ingratitude humaines. C’est la position de l’homme « comme maître et possesseur de la nature » qui est remise en cause.

 
Images à interpréter
Le lecteur des fables fait toujours l’expérience du labyrinthe, un réseau de pistes dont il crée la structure en parcourant le livre. Chaque fable est alternativement une entrée et une sortie, chaque personnage peut d’une fable à l’autre, endosser un caractère parfois contradictoire ou être rappelé par l’auteur dans une autre fable. Notre préoccupation a été de maintenir dans nos propositions plastiques, ce jeu et cette tension dans lesquels l’image devient énigme ou devinette.

Fables mises en vers
Le génie de La Fontaine fut de mettre en vers les fables dans le respect des règles de la versification, notamment la syllabe qui est en constitue l’unité de mesure. S’il s’autorise des libertés, c’est toujours sous leurs contraintes. Ces facilités relèvent du mélange des mètres, de leur variation et de leur superposition dans une même fable, pas de leur transgression. Pour La Fontaine ce mélange permet de se rapprocher de « l’air de la prose », de mieux suivre le rythme du récit en se pliant à ses mouvements.

Mises en fer
Dans nos compositions plastiques nous avons traduit cet art de l’arrangement à l’intérieur d’une structure, en les contraignant à s’inscrire dans l’espace selon deux trames orthogonales superposées : l’une horizontale et verticale, l’autre inclinée à 45°. Ce traitement all-over égalise la surface, mais l’intervalle de répétition de chaque trame étant différent, leur superposition crée des ruptures qui visent à transposer dans nos compositions un peu de l’irrégularité des vers de La Fontaine…

Grille de lecture
Comme l’enseigne ne prétend pas donner une description complète ou détaillée de son sujet, nos grilles ne présentent que quelques signes caractéristiques de la fable. Elles s’inscrivent dans la longue tradition des illustrations de ce genre qui se confrontent toujours aux limites de l’autonomie de leur langage plastique par rapport au texte. « Car l’image [des fables] parle, elle aussi, complétant à sa manière le message.

Elle exige d’être déchiffrée ou décryptée, comme lui d’être lu. D’ordinaire on les disjoint (…) mais il faut ne pas les séparer si l’on veut qu’ils s’éclairent mutuellement. »

L’image comme modèle
Les Fables de La Fontaine sont devenues « en quatre siècles, l’œuvre la plus illustrée de la littérature française ». Nous avons non seulement puisé dans cet énorme réservoir d’images mais aussi dans l’iconographique constituée par les vignettes sur bois, les miniatures, les enluminures occidentales et orientales qui illustrent les fables avant le XVIIe siècle.
De ces pérégrinations nous avons ramené une abeille de J. Lurçat, un bûcheron de G. Verdizotti, un roseau de B. Salomon, un ours de M. Chagall, une perle d’un graveur anonyme (éd. H. Steinhöwel), un chêne de F. Chauveau, etc.

L’interprétation des signes
À la différence d’autres fables, celles de La Fontaine sont souvent incomplètes, irrésolues et ambigües. En prenant « la liberté de laisser la “morale” en suspend », elles posent la question de l’interprétation par le lecteur ou l’auditeur.
Nos grilles ajourées sont poreuses à leur environnement. Installées dans un site naturel en extérieur, elles n’ont pas d’endroit ni d’envers ; leur lecture se fait à l’intérieur et à l’extérieur de la limite de leur cadre en laissant le paysage remplir les vides par ses couleurs, ses formes et ses lumières toujours changeantes. On ne peut les saisir hors de leur situation qui participe de manière essentielle à leur perception.

À l’épreuve de la transposition…
Dans les fables, la forme préexiste, elle n’est pas à inventer : les récits sont « sus de tout le monde ». Les créations se trouvent ainsi prises sous un double régime : celui d’une imitation la plus fidèle possible et celui d’une « originalité d’adaptation » propre à réactiver la curiosité d’un nouveau public. Autrement dit, l’auteur ne prend de libertés que conditionnées à l’autorité du récit…
 
… et du miroir
Léonard de Vinci conseillait au peintre d’employer le miroir pour vérifier l’exactitude de sa peinture : « tu la verras alors inversée et elle te semblera de la main d’un autre maître ; ainsi, tu pourras mieux juger ses fautes que de toute autre façon ».
La confrontation des illustrations de fables nous permet fréquemment de mesurer ces écarts de perception causés par l’inversion de l’image par le procédé de la gravure. Gageons que ce trouble amené par l’absence d’endroit ou d’envers des grilles puisse aussi révéler l’opportunité de rendre la fable « nouvelle par quelques traits qui en [relèvent] le goût. »

Éternel recommencement
Le Laboureur et ses Enfants clôt notre recueil. Cette fable esquisse une issue et sa leçon vaut programme. Non pas définitif, mais toujours à remettre à jour, à l’image du jardinier qui laboure, plante, taille, récolte selon un mouvement cyclique.

L’homme qui plantait des arbres
Ces gestes constituent un investissement pour l’avenir, ils nous projettent vers un futur au moment même où celui-ci semble de plus en plus hypothéqué. En témoigne cette phrase de Donella Meadows (co-auteur du “Rapport Meadows”) punaisée sur sa porte qui disait : « Si le monde devait crever demain, je planterais un arbre aujourd’hui. »

Claude Queyrel et Pascale Stauth, 2020-21
 




(Citations d’Alain-Marie Bassy, Gilbert Keith Chesterton, Jean-Pierre Collinet, Patrick Dandrey, Léonard de Vinci, René Descartes, Jean de La Fontaine, Michel Foucault, Marc Fumaroli, Jean Giraudoux, Donella Meadows)
     
     
     
 
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