Ian SIMMS 

Les espaces autres : passages 2014
Vues de l’exposition Les espace autres, Passages, 3bisF, 2014
Photographies Jean-Christophe Lett


Dans Paris, capitale du XIX siècle – ce livre fragmenté et citationnel – l’innovation architecturale et urbanistique des passages parisiens, avec leur esthétique surprenante et leur capacité à modifier la mobilité des citadins est, dans un premier temps, contextualisée à l’aune de la théorie utopiste de Charles Fourier. Le livre éclaire non seulement le rôle de la technique et de l’industrie jusqu’à la façon dont elles modifient les paradigmes sous-tendant l’art, mais aussi les systèmes de pensée qui sous-tendent cette réorganisation urbanistique, les luttes sociales et politiques, la contre-révolution, l’avènement et la chute annoncée de la bourgeoisie. Benjamin reprend la phrase de Michelet : « Chaque époque rêve la suivante », pour souligner l’ambivalence des aspirations modernistes au changement et décrire l’horizon du XIXe, mais surtout le XXe siècle qui n’allait être ni celui de l’art, ni celui de la philosophie mais bien celui de la technique.

De nos jours les passages parisiens sont pacifiés. Pour la plupart, clôturés et transformés en habitats privés. Leur portée utopique a été neutralisée.

La foire aux atrocités de J.G. Ballard est un livre, lui aussi fragmenté, lui aussi citationnel, où les questions de la destruction et de la catastrophe sont centrales. Décrit-il la seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines ? De toute façon Ballard, détestant la nostalgie, intéressé surtout par « les cinq prochaines minutes » est poussé irrésistiblement vers l’avenir. Comme chez Benjamin dans les Passages, l’architecture est au cœur du livre, mais ici ce ne sont pas les passages parisiens dont il s’agit mais de l’architecture des parkings à étages, corolaire inévitable de la prouesse technique majeure du XX siècle, l’automobile. Ballard aborde l’architecture sous un angle inhabituel, dans une perspective que le discours architectural à tendance à éviter, qui est l’échec. Ses récits se situent dans un contexte social où les choses se disloquent, où la faillite de l’architecture urbaine reflète l’effondrement de l’architecture psychologique. Une écriture prophétique sur l’anomie, la fétichisation de la technologie et la sensualité de la catastrophe où la science fiction, l’utopie et la dystopie explorent les relations entre les hommes, l’architecture et la nature par des notions mathématiques, c’est à dire, par leur géométrie et leur algèbre.

Ce livre peut se lire, j’en suis persuadé, comme une prolongation des Passages de Benjamin ; rien de linéaire, plutôt une généalogie faite de résonances et de ruptures. La lecture croisée de ces deux livres, la façon dont ils se relaient dans le temps, la façon dont ils s’incomplètent, sont au cœur de cette œuvre.

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