Josée SICARD 

Microbeing 2000-03
Extrait vidéo

Les années noires

Pour le nouveau siècle, Joachim et Rafaelle font un sketch à la carte bleue. Ils improvisent désormais des séquences qu’ils inventent et répètent. [1]
Rafaelle est entrée à la grande école. Pour son spectacle de fin d’année, Ali Baba, les mères harkis font retentir le youyou, elle est convoquée... « Le Centre culturel n’est pas fait pour ça ». Les Eberhardt ont déménagé, ils ont acheté un appartement en centre-ville, derrière le Musée. Rafaelle le trouve vieux et un peu tout cassé. Noël déjà, Yaya a envoyé un dinosaure. Elle est triste, elle a peur qu’ils réalisent qu’ils vont devoir partir de la ville qui les a vu naître. Son voyage d’études au Québec s’achève par une visite du Cirque du Soleil. Ils sont impressionnés par l’organisation... En juillet 2001, ils ont déménagé, est-ce le bout du tunnel ? Il faudra encore attendre un an. Le 11 septembre 2002 [2] elle écrit de Caracas à Catherine : « je suis en exil depuis un an, j’ai été licenciée d’un poste que j’occupais depuis onze ans, en voyant ces images j’ai pensé immédiatement que nous nous étions mariés un 11 septembre. Je me suis sentie coupable ». En mars 2002, c’est la déroute Jospin. Sophie a fait un costume à Rafaelle pour son défilé de mode au Musée. Il y a du monde, elle a peur, heureusement elle se fait pote avec une grande. Sa rencontre avec Pascal et Fred s’est faite autour d’une photo, « le petit rouge ». Ils savent que leurs univers sont proches et commencent « Chez Lilith » [3], l’aventure durera un an. Ils se retrouvent à intervalles réguliers et elle invente un monde microbeing qui leur ressemble. Joachim fait son premier concert salle Mozart. Elle est allée avec Suzette au salon du meuble à Milan.
En juillet 2002, elle a retrouvé du travail, Herbert est chaleureux. En novembre, Matthew est à Paris, Rafaelle aimera les miroirs de Louise. Elle veut vivre à Paris. Pour la première fois, elle a la nostalgie de sa ville natale. Ils habitent chez Gaétan à Magny les Hameaux, elle écrit à Catherine, « le Shtibl est de dimensions toujours modestes, il se distingue par l’austérité du décorum et la sobriété du mobilier ». Jeanne a invité Rafaelle à Varsovie cet été. Noël, Joachim inquiet de la situation en Israël, fait une crèche avec des soldats pour la protéger. Ils fêtent le Premier de l’an avec Suzette, Rudy et Christian. Manon est venue pour les vacances de février 2003. Son père et elle entretiennent une longue amitié, entrecoupée de longs silences.
Rafaelle fait un film de voleuse. Ce n’est pas sans rappeler son premier « long » en Cat Woman, son héroïne préférée après Tom Raider. Le 23 février, elle rencontre, Victor, il a appris la mort de sa fille en lisant la presse locale, accoudé au bar du port de Toulon où il séjourne pour affaires. Nul ne saura jamais ce qu’il a ressenti à ce moment-là. Mars 2003, Bagdad, début d’une guerre éclair qui n’est toujours pas finie... En juin, elle part pour la Réunion finir « Chez Lilith » [4]. Pascal habite une île où le soleil tombe dans l’eau. Derniers pas de danse pour Rafaelle, elles seront six à démissionner du conservatoire, pourtant elle ressemble de plus en plus à la petite danseuse. Le 23 juillet, elle écrit de Pont à Yaya : « si l’on se rappelle que Vermeer travaillait lentement, qu’il vivait dans une maison pleine d’enfants et qu’il exerçait en outre le métier de marchand de tableaux, on devrait au contraire s’étonner qu’il ait trouvé le temps d’exécuter autant d’oeuvres ». Le 4 septembre, elle écrit à Tina qui est à Bilbao : « Fallait-il se méfier ? La pensée chinoise privilégie l’idée de transformation, “hua”. Le tao est un mouvement incessant d’actualisation et de désactualisation des choses qui fait la marche du monde ». Elle part avec Joachim à la Réunion présenter le spectacle au Musée Léon Dierx. À peine débarqués, ils vont chercher Lili dans le parc. Il est fermé comme à chaque fois qu’il y a du vent. En sortant de sa tente, elle vit Léopold. On entendit les chiens aboyer jusque tard dans la nuit. Le spectacle n’est pas compris, il y a un problème d’espace entre la chorégraphie et le film. Cet échec les rend nerveux. Elle aime ce moment d’intimité avec son fils.
Yaya vient passer des week-ends avec eux, elle fait une série de portraits de famille. Rafaelle veut se faire tatouer, c’est une sublimation de la chair que se réapproprient sous nos cieux ces nouvelles tribus urbaines, adeptes des tatouages, piercings, pages d’écriture vivantes entre sacrifice et offrande. Pour la décourager, elle lui raconte l’histoire d’Emma de Vitry faits divers qu’elle a lu, « lorsqu’elle pénétra dans la pièce il faisait sombre. Charles l’attendait. Emma pleurait dans un coin. Fallait-il vraiment ? »... Ils fêtent Hanoukka et elle monte à Paris avec Rafaelle. Elles font les musées avec Hadrien et Manuel. En cette fin d’année 2003, Microbeing et Rafaelle ont 10 ans, Joachim 9, Gilles 42 et elle en a 49. Ils sont partis depuis novembre dans la banlieue de Tokyo pour me retrouver.
Yayoi Cohen, Yokohama le 24/12/2004.


1. En 2000 totalement convertie, elle commença également une série de portraits réalisés avec peu de recul, sans décor. Toute sa concentration se porta sur ce qui transpirait autour de microbeing. Au début des années 2001, elle commence la mise en forme de l’histoire de microbeing qui relie les hasards de sa vie quotidienne pour irriguer son champ artistique. 2002 a été l’année de l’exil, 2003 sera celle des voyages.
Microbeing est une activité hantée par le doute qui produit des images comme des vestiges laissés aux hommes du futur... Microbeing témoigne d’une époque en crise de confiance généralisée où l’on voit fleurir, la religiosité personnelle, associée au désespoir.
2. Isabelle lui propose d’exposer dans sa galerie,  une série d’images collectées lors de ses fréquents séjours chez les uns et les autres, Gaétan, Catherine, Sophie, Elvire...
Rudy écrit un texte pour son retour sur la scène artistique : “ Un trou dans le planning alors on lui a fait une place au trou du cul du monde, dernière cité républicaine à résister contre la fatwa, la liqueur et les vitamines, il y a peut être dix ans que Josée Sicard n’avait pas présenté de travaux. C’est chaleureux frontal, ça fout la merde, clonage, double, idole, travestissement, manipulation, peinture artificielle etc... C’est encore le Var et la culture qui vont trinquer. Twin Sicard ne provoque pas mais c’est plus fort qu’elle, le travail sent le soufre. La Perla gothique, ciel zephirelien, couleurs soyeuses et révélation du désir de survivance par le clonage Sicard dépasse les bornes.
Mais pourquoi ici dans le Var identitariste fraction débile profond par la volonté de dieu des choses comme celles-ci arrivent. L’image quand ça a un contenu c’est interdit dans toutes les religions, mais l’artiste a la foi”.  Bandol, le 10/01/2002
3. Elle embarque tout son matériel et accompagne Pascal Montrouge à Saint Denis de la Réunion où elle réalise la fin de chez Lilith. Le 28 août 2003  Hervé Godard écrit dans l’Express “Le chorégraphe Pascal Montrouge présente en avant première, sa dernière création, Chez Lilith. Ce solo réalisé “à trois voix” avec la vidéaste Josée Sicard et le musicien Frédéric Landini, revisite le mythe de la première femme d’Adam, figure contestataire mue par un désir d’absolu.”

-------

Microbeing, repères

Microbeing a dix ans, il existe sous la forme de deux expositions, l’une chez Isabelle « Démons et Merveilles... » à cette occasion Rudy m’a écrit un texte et l’autre chez Valéry « Josée Sicard, travaux numériques » à l’espace Van Gogh d’Arles. C’est aussi trois représentations de « Chez Lilith » à la Villa Noailles, au Musée Léon Dierx et au théâtre de Draguignan. C’est trois films de 25 minutes et trois installations de trois fois quatre séquences, et six séries de photos numériques, Le 11 et après, Shtibl, Le verger, La jeune fille au turban jaune, La petite danseuse, Tattoo...




Shtbil 2001
Photographie numérique sur PVC, 600 x 300 cm





La jeune fille à la serviette jaune 2002
Photographie numérique sur PVC, 450 x 300 cm





Rouge 2003
Photographie numérique sur PVC, 750 x 150 cm