Laurent SEPTIER 

Plus près 2007-2016
Photographies numériques, tirages pigmentaires, 90 x 90 cm
 
Plus près 2007-2016
Photographies numériques, tirages pigmentaires, 90 x 90 cm
 

La vue est une très fine photographie
Imperceptible, sans doute, si l’on se fie
À la grosseur de son verre dont le morceau
est dépoli sur un des côtés, au verso ;
Mais tout enfle quand l’œil, plus curieux, s’approche
suffisamment pour qu’un cil par moments s’accroche.

Raymond Roussel, La Vue

Ces mots suffisent presque à qualifier mon travail, mais je dois quand même les compléter par quelques considérations d'ordre technique.
L’image latente n’existe plus avec la photographie numérique, il n’y a plus de point aveugle, ce qui est capté l’est sous nos yeux et mieux encore, comme dans une mise en abyme, il nous est possible, sur le lieu même, de nous transporter à l’instar de Raymond Roussel, dans la vue que nous venons de prendre. De nous arrêter sur des détails suspendus que l’œil n’avait pas su ni même pu capter ; non seulement il est possible de circuler dans l’image, mais en l’agrandissant fortement sur ce petit écran aux couleurs si vives, d’y pénétrer au plus près, dans une sorte d’apnée. Mais ce n’est pas l’apparent paradoxe (être à la fois dans le réel et dans son image) qui est troublant, c’est qu’au fur et à mesure de cette approche, ce que l’imaginaire permettait à Raymond Roussel de saisir indéfiniment trouve ici sa limite dans la raison technique de l’image numérique : le pixel.
Il y a dans cet agrandissement progressif un entre-deux, un instant et une distance justes. (1) L’image n’est déjà plus vraiment nette, apparaît à l’œil, même le moins exercé, quelque défaut : l’envahissement d’un visage par une couleur semblant glisser, la disparition d’une main, un flou bizarre, des effets de granulation laissant apparaître la « substance » même de l’image, sans pour autant que cette altération soit un frein à l’engouffrement de notre imaginaire confronté à ce réel préexistant. Avant cet entre-deux, l’image est une simple photographie, au-delà elle devient un banal jeu de pixels – mais, dans cet intervalle où elle est juste un peu « attaquée », comme « piquée » par le temps ou l’usure et où elle est cependant encore image, se trouve une sorte de vibration qui rend comme bizarrement mouvants les personnes, les objets, les lieux.
La photographie se relâche ici et révèle de nouvelles connivences.

(1) Sans savoir exactement pourquoi, mais avec cette certitude déjà décrite par exemple par Zhang Yanyuan, un peintre chinois de la dynastie Tang, qui écrivait «  [la peinture] devient ce qu’elle est, sans que l’on sache pourquoi elle est bonne ».

 
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