Cécile SAVELLI 

CE LONG CHEMIN QUI MÈNE À SOI
Cécile Savelli par Myriam Kryger, commissaire de l’exposition, 2025

« Les moyens les plus simples sont ceux qui permettent le mieux au peintre de s’exprimer ».

Partageant avec le maître du fauvisme une même quête de simplicité formelle, Cécile Savelli pourrait faire sienne cette affirmation de Matisse. Évacuant fioritures et détails pour ne garder que l’essentiel, elle a le souci du dépouillement. Chacune de ses œuvres en atteste. Alléger et s’alléger est le fruit d’un long processus : il commence par une esquisse et se poursuit par un dessin sur la toile, qui disparaît progressivement sous de multiples couches de peinture. Patiemment travaillé pour éliminer l’accessoire et atteindre une cohérence picturale interne, chaque tableau exige une lente maturation.

Première exposition en Asie de Cécile Savelli, Ce long chemin qui mène à soi propose une plongée dans l’œuvre de l’artiste, de 2009 à nos jours. Comme pour rattraper le temps où la création lui a échappé, Cécile peint sans relâche depuis quinze ans dans son atelier marseillais. Explorant les thèmes intimes de la sphère domestique et familiale, les œuvres de l’artiste, ancrées dans son quotidien immédiat sans pour autant coller à la réalité, ont pour principales préoccupations l’équilibre de la composition et la recherche du ton juste. Fuyant l’intensité des teintes saturées, Cécile fabrique elle-même ses couleurs et joue en sourdine une mélodie chromatique aux tonalités rompues, riches et nuancées. L’emphase et l’accentuation sont étrangères à cette grande coloriste qui fait vibrer les couleurs sans jamais les faire claquer. Dans ce refuge d’harmonies qui protège de la violence du monde, Cécile ne s’interdit rien. Elle varie les techniques et les matériaux, elle ose des perspectives inattendues et des cadrages audacieux qui font parfois chavirer l’image.

Lorsque des figures apparaissent, souvent inspirées de photos de famille, elles s’intègrent à un espace purement pictural, sans hiérarchisation entre fond et sujet, centre et périphérie. Toutes les parties sont travaillées avec une égale attention. Comme l’écrivait Matisse - encore lui, « l’expression ne réside pas dans la passion qui éclatera sur un visage ou qui s’affirmera par un mouvement violent. Elle est partout, dans toute la disposition du tableau ». En peinture comme dans la vie, l’enjeu est de faire coexister et dialoguer les différents éléments d’un tout.

Si chiens et chats se promènent sans surprise dans les espaces domestiques de Cécile, d’autres présences plus inattendues s’imposent parfois, comme celle des orangs-outans représentés sur de grandes toiles cirées. Troublée par leur étonnante capacité d’empathie et fascinée par le contraste entre leur agilité et leur lourdeur, Cécile a consacré à ces primates qui nous ressemblent tant de longues heures d’observation pour les faire entrer dans son monde. Après tout, pourquoi ne feraient-ils pas, eux aussi, partie de la famille? Finalement, qu’est-ce qui crée du lien? Cette question hante l’artiste et traverse son œuvre.

Peintures de sensation et d’atmosphère, les intérieurs de Cécile sont des terrains d’expérimentation plastique autant que des espaces mentaux, des tentatives d’apaisement et de remise en ordre du monde. Des lieux de consolation où se reconstruisent les liens abîmés.

Est-ce parce que la vie fut dès le départ brutale que Cécile recherche dans ses créations le silence et la quiétude ? Née en France dans les années soixante, juste après le déracinement douloureux de ses parents rapatriés d’Algérie, elle ouvre à peine les yeux lorsque son père meurt accidentellement. Sa mère doit élever seule ses six enfants dans un pays qu’elle vient de découvrir.

Exil, deuil, précarité – la rudesse de l’existence s’impose tôt, et avec force. C’est peut-être cette violence initiale, suivie de tant d’autres, qui poussera Cécile vers l’art, ce moyen de transcender le réel. « On est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en soit mêlé », écrivait Jean Genet. L’équilibre et l’harmonie que la vie lui a refusés seront la quête centrale de l’exploration picturale de Cécile.

Les « Autoportraits au ménage » figurent parmi les premières séries marquant son retour à la création. L’artiste se représente de dos, occupée à faire la vaisselle, lessiver le sol ou étendre le linge. Cette posture, inhabituelle pour un autoportrait, met en lumière l’invisibilité de tant de femmes dévorées par les travaux domestiques. En devenant sujet de peinture, ces tâches triviales, tenues habituellement éloignées du champ de l’art, sont anoblies, et adoucies par les teintes pastels et les effets brouillés de leur traitement à la cire. Avançant masquée sous un voile d’apparente légèreté, Cécile Savelli invite avec aplomb le spectateur à affronter cette figure féminine de dos, et questionner la place qui lui est assignée.

Dix années s’écouleront avant que l’artiste n’ose se représenter plein face et en grand format, écartant grand et vigoureusement les bras, dans la série des « Autoportraits aux robes ».
Une véritable renaissance à l’art, une véritable renaissance par l’art.

 
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