Bettina SAMSON 

Cinder peak phone booth replica (bluejacking) 2008
Résine, aluminium, bois, plexiglas, pierres volcaniques, PC et dongle bluetooth, 210 x 100 x 100 cm environ
Photographies André Morin

Messages envoyés automatiquement et intrusivement, par bluetooth (bluejacking), sur les téléphones portables des visiteurs, dans un rayon de 5m environ autour de l’installation :
Message n°1:
«Quelque chose les animait. Certains, même, se déplacèrent jusqu’à lui, en plein désert de Mojave; ce Cinder Peak phone booth dont je suis le souvenir manufacturé. Ils répondaient aux appels passés dans le vide par des personnes qui, à leur tour, voulaient voir si quelqu’un, par hasard, allait décrocher.»
Message n°2:
«Une communauté virtuelle se créait paradoxalement autour du désir d’entrer en communication avec l’inconnu, en dehors de toute communauté.»
Vue de l'exposition Replica, Module 1, Palais de Tokyo, Paris, 2009


"Cette étrange sculpture de Bettina Samson est la réplique d'un dispositif préexistant. Dans le désert de Mojave, une cabine téléphonique fut installée il y a cinquante ans, à destination des mineurs qui travaillaient non loin. après la fermeture de la mine, elle était restée en activité sans plus aucune raison évidente. Dès la fin des années 1990 - d'internautes en voyageurs New Age - l'existence de cette cabine et son numéro 760-733-9969 devinrent célèbres. Culte d'une technologie galvaudée? En raison de la rumeur grandissante, les autorités de la réserve du désert demandèrent rapidement à la compagnie Pacific Bell de démonter l'installation. Bettina Samson s'est saisie à son tour de ce dispositif à la croisée des temps, des technologies et des usages médiatiques pour le reproduire dans l'espace d'exposition. Des parallèles y sont dessinés, reliant la désolation du désert à l'autonomie de l'oeuvre d'art, les spectateurs rejoignant alors la communauté des mineurs d'antan et des pèlerins cybernétiques".
Julien Fronsacq, 2009 A-Z, Du yodel à la physique quantique..., volume 3, Palais de Tokyo, 2010

Je suis une réplique. Toujours est-il que je fonctionne, même si l'on pourrait voir en moi un monument. En ce sens, je suis autorisée à témoigner. Entre 1997 et 1999, des centaines de personnes firent sonner, dans le vide, une même cabine téléphonique, juste pour voir si quelqu'un allait décrocher. La chose était hautement improbable, puisque la Cinder Peak Phone Booth, retirée au milieu des étendues sauvages du désert de Mojave depuis 1960, était située à 50 km de la route la plus proche, l'interstate 15, près d'anciennes mines de cen-dres volcaniques. Qui pouvait décrocher? Quelque chose animait ces personnes. Certains, même, se déplacèrent jusqu'à elle, comme en pèlerinage, et répondèrent aux appels, qui venaient de plus en plus loin, de la part de personnes qui, à leur tour, voulaient voir si quelqu'un, par hasard, allait décrocher. De fait, les probabilités d'une réponse, quasi nulles au départ, étaient grandissantes. Devant le culte qu'elle suscitait, les autorités de la réserve naturelle finirent par faire retirer la cabine, craignant les campements et autres rassemblements de cette nouvelle communauté autogénérée autour de la Mojave Phone Booth. Ils n'avaient pas compris que cette communauté était d'obédience largement virtuelle. Curieusement, le phénomène avait pris naissance sur internet et était le fait d'authentiques internautes, tous pourvus par ailleurs de téléphones portables. Ils voyaient en elle le témoignage d'une technologie révolue par laquelle on pouvait communiquer avec l'inconnu, en plein milieu d'un nulle part cependant très situé. L'exact opposé du téléphone portable. Une communauté se créait paradoxalement autour du désir de communiquer en dehors de toute communauté.
Je suis le souvenir manufacturé d'un de ses pélerins anonymes. En tant que tels, certains détails physiques de l'original peuvent avoir été omis, bien que la plus grande fidélité au souvenir a été recherché. On me comprend parfois comme un acte de résistence de la part de celui qui m’a fabriqué de ses mains, artisanalement. En hommage à ce mode d’échange paradoxal, à ce carrefour de relations temporaires et spontanées. En effet, grâce à moi, elle continue à exister. Car elle cherche pour cela à communiquer avec vous, via une technologie du futur, encore un peu balbutiante, détournée par la pratique du bluejacking. Car je suis active, tout en étant comme un souvenir fossilisé.
Le message est intrusif. Il ne s’annonce pas. Il en est maladroit. Il y a désynchronisation entre ce temps trop rapide, immatériel, invasif, et cet autre temps de celui qui revient en arrière pour s’y arrêter et s’y reconstruire.


This sculpture is a replica of the bullet-riddled Cinder Peak Phone Booth, standing in the middle of the Mojave Desert in California since the 1950s and at one time the focus of an exponentially expanding cult on the Internet: hundreds of people would call up just to make it ring in the middle of nowhere and others even made the trip to answer calls. Faced with the quasi-irrationality of a virtual community paradoxically driven to set up exchanges with the unknown, the authorities finally shut the booth down in 2000. A kind of archaeological monument holding out against the ubiquitousness of contemporary technology, Bettina Samson’s sculpture nonetheless seems to want to stay active, invoking the memory of the Cinder Peak Phone Booth by sending anonymous, unsolicited BLUEJACKING messages to exhibition visitors’ cell phones. An avalanche of volcanic stones and a sheet of yellow Plexiglas leaning against the sculpture serve as metonymic evocations of the Mojave Desert. The work as a whole represents a tangle of technologies functioning at different speeds and reflecting the way today’s world generates fulltime circulation of information between unsynchronised systems of transfer, formatting and translation.
Text by Pedro Morais in Bettina Samson, Laps & Strats, edition Adera, Lyon, 2009.
Retour