Choses vues
Fiorenza Menini, Till Roeskens, Eric Watier
FRAC Languedoc-Roussillon, Montpellier 2006
Présentés : le plan de situation #3 et le film mots / choses
« Trois artistes sont réunis autour de la question du regard posé sur les choses. Comment les choses existent-elles dans cette relation que nous entretenons avec elles par l’intermédiaire du regard ? Est-ce notre capacité à les voir qui déterminent pour nous ce qu’elles sont, ou au contraire doit-on penser que « quelque chose des choses » (pour ainsi dire …) échappe toujours à notre puissance et à notre « contrôle » spéculaire ?
Till Roeskens propose une vidéo intitulée Mots/Choses : accompagné de sa petite fille dans un voyage en train, l’artiste nomme les éléments du paysage qui défile et qu’il enregistre avec sa caméra. On pense spontanément que nommer les choses aide l’esprit à mieux saisir ce que regard capte, en somme que le langage fait voir. Est-ce bien sûr ? En redoublant le visible, les mots favorisent en réalité une illusion du voir (beaucoup s’agacent de devoir reconnaître la puissance de ce subterfuge !) et c’est plutôt à l’expérience d’une sorte de décalage, d’inadéquation permanente entre les mots et les choses, que cette étrange vidéo conduit. Car, comme le rappelle l’artiste, citant Valère Novarina : « La langue ne saisit rien, elle appelle ; non pour faire venir, mais pour jeter de l’éloignement, et que vibre la distance entre tout. » Till Roeskens réalise aussi des performances-conférences, qui ouvrent l’auditeur-spectateur à l’expérience de ce même « éloignement » : l’une d’elle sera donnée le jeudi 20 avril au Frac.
Eric Watier approche le monde à partir de cet objet particulier qu’est le livre, conçu par lui de façon matériellement simple : l’impression et la diffusion d’une image ou d’un texte sur une feuille de papier (qu’accessoirement on plie en deux ou que l’on ajoute, tout aussi accessoirement, à d’autres). Depuis plusieurs années qu’il imprime des images ou des textes, Watier a rassemblé beaucoup de « choses vues », dans un livre appelé BLOC, qui est à l’occasion de cette exposition présenté sur les murs du Frac : car le projet de l’artiste n’est pas de « figer » la représentation, aucun mot ou aucune image ne peut être « privatisée » et le BLOC est ouvert à chacun selon des modalités de diffusion libres (de droit).
Fiorenza Menini voit parfois des choses innommables : ainsi, se trouvant à New York un certain 11 septembre, deux tours en feu dans Manhattan. Le regard de sa caméra reste figé pendant près d’une demi-heure sur le spectacle indescriptible qui se déroule devant elle. Tout son éteint, petit à petit les choses disparaissent, enfouies dans une brume qui transforme le paysage de manière hallucinante. Puis le visible s’enfouit totalement sous un voile blanc avant de réapparaître, comme une traversée de l’indicible. Untitled (sans titre) est le titre de cette œuvre unique, qui est aussi un document d’une qualité rare, et une contribution importante à la réflexion sur les images prises sur le vif. »
Emmanuel Latreille, directeur du Frac Languedoc-Roussillon
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