My People 2012
Assemblages, dessins, objets, peintures
Il y a souvent une galerie de portraits derrière la démarche d’un artiste. Dans la solitude de l’atelier, il aime à s’entourer des images de ses prédécesseurs, scrutant dans le précipité lumineux l’énergie toujours vivace, du regard, de l’attitude.
Dans ce travail, je rends grâce à mes fétiches.
L’hommage n’est pas exhaustif, il est dédié aux pionniers des avant-gardes du XXe. Irréductibles progressistes, l’indépendance les a guidés à travers celle fluctuante des temps. Ils ont montré des voies de libération.
Parmi ces « réformateurs de vie », je cite, Gusto Gräser emblématique de la révolution amorçée au début du siècle et qui a porté ses fruits en 68.
Co-fondateur de Monté Verita, laboratoire d’un nouveau modèle communautaire dans le Tessin, il a silloné l’Europe sans relache dans la première moitié du siècle, militant pour la paix à travers les crises et le chaos.
D’autres sont à redécouvrir ; cette série fonctionne pour tous comme un activateur de mémoire.
Vue d'atelier, 2018
My People 2012
Collages sur papier, techniques mixtes, format raisin
La Vertu des contraires
Véronique Rizzo appartient à cette famille d’artistes qui font recours au temps, non pas sous la forme d’une nostalgie, d’un mal du retour. Rien de l’ordre de la mélancolie dans son travail, qui, au contraire, semble décliner les formes d’un jeu, d’un plaisir, non sans ironie toutefois... Elle semble utiliser la temporalité comme matériau conceptuel...
La référence explicite, que fait l’artiste à l’utopiste Gusto Gräzer, un des fervents habitués du Monte Verita, au début du XXe siècle, fait briller, non sans contradiction, la présence spectrale d’une aventure de l’esprit dans l’un des plus formidables laboratoires de « re-formation » de la vie...
Se confronter à cette aventure (plus que s’y référer), quand on est artiste, outre la consonance moderniste des composants plastiques mis en jeu dans les œuvres (peinture, assemblage, projections lumineuses de formes géométriques, en mouvement dans l’espace), c’est, principalement, « faire retour au temps » dans le sens le plus tactile d’un choc perceptif, comme opérer un mouvement arrière sur le curseur temporel de l’histoire, générant, par contre-coup, tel un caillou jeté à la surface de l’eau, une série de formes qui se propagent et se transforment.
Si la notion du « moderne », chez Baudelaire, témoigne d’une expérience « affective » du temps, dialectique entre mélancolie du passé et surprise du nouveau, la plasticité du temps dit «postmoderne» se fait, non pas, dans le hors temps d’une fin de l’histoire, mais par jeu de contre-coups temporels, de contre-temps tactiles, de micro-histoire(s) rebondissantes et génératrices de formes et de situations. Ce n’est pas la moindre qualité du travail plastique de Véronique Rizzo, que de nous inscrire, nous spectateurs, dans cette dynamique vertueuse des temps contraires.
Patrick Lhot Docteur en histoire de l’art Université d’Aix-Marseille
Véronique Rizzo belongs to this family of artists who use time, not as a nostalgia, or a sore back. Nothing about melancholy in her work, which, however, appears to be declining forms of a game, of a pleasure, not without irony, however ... She seems to be using temporality as conceptual
material. The artist refers explicitly to the utopian Gräzer Gusto, one of the regulars of Monte Verita, in the early twentieth century. This reference puts in light, not without contradiction, the spectral presence of a mind adventure in one of the most amazing laboratory of «reformation» of life. Confront this adventure (rather than refer to it), as an artist, besides the modernist sounding of plastic components brought into play in the works (painting, assembly, light projections of geometric shapes, moving in space) is mainly «to return to the time. In the broadest tactile sense of a perceptual shock, as operating a backward movement on the time cursor of history, generating, as a repercussion, like a stone thrown into the water surface, a series of forms spreading and evolving. If the notion of «modern», in Baudelaire’s work, reflects an «emotional» experience of time, distinguishing between melancholy of the past and surprise of the new, the plasticity of the so-called «postmodern» time is happening, not in the off time of the end of a story, but by game of time consequence, of tactile hitches, of micro-stories bouncing and generating forms and situations. This is not the lesser quality; of Véronique Rizzo’s plastic work, to place us, we spectators, in this virtuous circle of opposite time.
Gusto Factory 2012
Peinture sur toile, matériaux mixtes : impression sur papier, peinture acrylique,
glycero, spray, pigments, craie noire, néon
145 x 220 cm
Gusto Thinking (détail) 2012
Peinture sur toile, matériaux mixtes : tirage photo, impression sur papier,
peinture acrylique, glycero, spray, pigments, craie noire, néon
145 x 220 cm
Gusto The end of the war 2012
Peinture sur toile, matériaux mixtes : impression sur papier, peinture acrylique,
glycero, spray, pigments, craie noire, néon
145 x 220 cm
Gusto Showing 2012
Peinture sur toile, matériaux mixtes : tirage photo, impression sur papier,
peinture acrylique, glycero, spray, pigments, craie noire, néon
145 x 220 cm
La réflexion de Véronique Rizzo sur les mouvements d’avant-garde et le modernisme du XXe siècle, n’a jamais cherché à opposer l’histoire de l’art et celle des expériences politiques radicales, voire utopiques. L’histoire même de l’abstraction géométrique en peinture est étroitement associée à des projets de transformation artistique et sociale, dans une lignée inaugurée par les constructivistes russes. De là vient sans doute l’intérêt de l’artiste pour la communauté de Monte Verità, un laboratoire intellectuel et artistique fondé en 1900 à Ascona dans le Tessin suisse, paradigmatique de la confluence de l’avantgarde de l’époque dans tous les domaines, allant de la psychanalyse à l’architecture en passant par la littérature ou la danse. Véronique Rizzo s’est intéressée en particulier à Gusto Gräser, la figure la plus radicale de cette communauté, dans sa façon d’interroger la validité de l’argent et de l’art. Cet artiste et poète marcheur, aspire au retour à l’état de nature affranchi des calculs d’intérêts, voué à l’autosuffisance et au troc. Il vit dans une caverne forestière, dort à même le sol, sans aucun aménagement ni possession, incarnant “l’homme nouveau” tel que beaucoup l’attendent et le cherchent au début du siècle. Hermann Hesse, qui se lie d’amitié avec lui dès 1906, le transforme en personnage central de certains de ces textes. C’est peut-être là l’aspect le plus troublant de l’intervention des photos de Gusto Gräser dans les collages et assemblages de Véronique Rizzo. Cet artiste sans oeuvre est devenu, sans doute consciemment, un personnage, puis un mythe, et ensuite une image.
Il avait brûlé ses tableaux et se résout à ne pas utiliser l’argent, payant ses besoins en récitant des poèmes, vagabondant à travers l’Europe pour déclamer son pacifisme, s’exprimant sur la poésie et le pouvoir de la danse sans musique. Les images de Gusto choisies par Véronique Rizzo, dans la pauvreté de leur reproduction, expriment aussi la façon dont la mémoire de cet esprit libre est aujourd’hui transmise à travers la reproduction appauvrie des seules photographies qui restent de lui. L’une de ces photos est particulièrement troublante et significative, d’un romantisme indéfectible et solitaire face aux échecs et aux constats de désastre. Gusto traverse seul comme un fantôme les ruines de Munich bombardée à la fin de la guerre. Ce sont sans doute les contradictions internes à l’aspiration révolutionnaire, et aux rapports impurs entre l’art moderne et la transformation radicale de la société, qui sont évoquées par Véronique Rizzo dans son usage du faux bois en contreplaqué et du néon, plutôt caractéristiques de la civilisation industrielle. En écho à la figure de Gusto, cette exposition est aussi un hommage silencieux à Bernard Plasse, dont les généreuses moustaches et queue de cheval assurent une présence discrète, patiente, épicurienne et infatigable à la galerie du Tableau, où il a exposé un artiste par semaine pendant plus de vingt ans.