Dreamers 2016-2018
Film long métrage (support numérique sur 2 écrans accompagné de son 5.1)
Format 2048 x 1024 x 768
Durée 1h15
Accompagné d’une édition limitée (livret + insert vinyl)
Dreamers, long métrage « handmade » reprend les formes du cinémascope en « splitscreen » panoramique.
Récit polyphonique, montage syncrétique, le spectateur est conduit vers une transe, à travers l’alternance de séquences found footages, et de compositions digitales enveloppantes. Œuvre hommage, Véronique Rizzo, mêle à ses constructions dynamiques, des citations d’œuvres fétiches*, ouvrant ainsi le large spectre de l’image animée : film expérimental, documentaire, cinéma.
La bande-son, les films et les textes, déroulés en surimpressions labyrinthiques tracent la cosmogonie intime de l’artiste, en écho d’une psyché collective. Entreprise de réemploi, Véronique Rizzo, questionne le statut des images à l’ère de la post-modernité.
L’usage d’un accès général à l’information troublant les notions d’originalité et d’auteur.
L’agencement des croisements esthétiques ouvre des perspectives et des paradigmes inattendus qui rendent compte, du phénomène d’interpénétration des oeuvres dans l’acte de création. Du principe d’appropriation comme « cannibalisme symbolique », possibilité de continuité et de fusion.
Lise Guéhénneux - mai 2015
*Kenneth Anger, Deben Batthacharya, Peter Weir, les anthropologues Betty et Jacques Villeminot, William Burroughs, Goethe, Poe, Léopardi, Bruce Chatwin, Sunn O, John Adams, Les chants Dhrupad et Aborigènes
Dreamers est un film (ou une suite d’images mouvantes organisées,) qui se compose de six parties qui peuvent être vues à la suite les unes des autres. Mais aussi simultanément sur deux écrans comme ici, ou sur plusieurs. Le film n’a alors plus de début ni fin. Et le montage n’est plus une structure fixe mais un puzzle à partager avec le spectateur, afin de permettre toutes les associations de mots, d’images et d’idées.
Véronique Rizzo en est l’auteur et elle erre avec nous dans son film-labyrinhe, utilisant son parcours plastique déjà fourni et sa culture diversifiée (cinéma, littérature, philosophie, sciences humaines) pour en faire jaillir des images qui se superposent à son film et pour nous servir de cette sorte de guide un peu pervers qui peut accompagner mais aussi perdre celui ou celle qui l’accompagne.
L’insertion de monochromes comme référents et portes de passage que l’on remarque très rapidement vient de son univers plastique (utilisation de l’art optique notamment) mais aussi d’une vision picturale du cinéma et de la vidéo confondus. Car ici les frontières entre genres sont poreuses comme sont poraux les fragments hétéroclites mis ensemble. Rien n’oblige le regardeur de connaître d’où viennent ce qui apparaît comme des citations. On reconnaît des fragments de documentaire sur l’Inde et sa danse et des images concernant les Aborigènes australiens.
Ont été aussi mis à profit le film de Kenneth Anger « Invocation of my demon brother», court-métrage de onze minutes daté de 1960, et le film australien de Peter Weir « Picnic at Hanging Rock », sorti en 1975.
Traversée de six écrans donc, et de quatre continents: notre Europe, L’Asie, l’Amérique et l’Océanie.
Les disparitions, les invocations, les mystères, les fétichismes, les fictions et les réalités composent le film tout autant que les extraits de films.
Entre le référentiel à notre monde pragmatique et le monde perdu de la sensation et de la cognition maintes fois réveillé par le film, un espace aussi dense que volatil se crée, qui sert d’ADN à tous ces emprunts. Dreamers est peut-être, dans l’esprit de Véronique Rizzo, un film continuellement en train de se faire et se défaire, comme dans son atelier ses installations. Sitôt un arrangement posé, il faut en essayer un autre. Et le moindre arrêt sur objet (comme on dit un arrêt sur image), contient en couches superposées toutes les tentatives antérieures. L’art n’est pas un monde fini. Peut-on vivre la création, quelle qu’elle soit, sans la rêver? Par ailleurs, The Dreamers est aussi le titre d’un film de Bernardo Bertolucci, sorti en 2003, avec Eva Green, Louis Garrel et Michael Pitt. Il portait aussi le titre de Innocents : The Dreamers.
La peinture et la vidéo, en particulier trouvent un espace commun dans l’expérience que nous avons d’une œuvre en un lieu et un instant donné, mais tout aussi bien ces images qui nous habitent et nous interpellent quotidiennement, et comme celles qui hantent notre mémoire. Dreamers fonctionne sur le mode de l’inspiration et de la référence, dans le sillage du cut-up process inventé par Bryon Gysin, poète et artiste de la beat génération, inventeur de la Dream machine, et son complice William Burroughs. Véronique Rizzo sample dans cette œuvre, aussi bien les mots, les motifs que les images filmées. Cette superposition syncrétique renvoie à la saturation d’images et slogans qui traversent l’espace médiatique contemporain tout en évoquant de manière assumée une esthétique de film expérimental aux accents sulfureux.
The Dreamers est un film performatif, qui tente de nous « faire rêver éveillé », mais c’est aussi un film ésotérique qui nous fait suivre presque à notre insu le fil d’un parcours mystique. Monde parallèle qui se manifeste par les signes et s’atteint dans la transe ; il s’enflamme littéralement lorsqu’il rencontre l’univers sulfureux et surréaliste de Kenneth Anger, Invocation of my demon brother (1969) et Lucifer Rising (1970-80). Mais cela vaut aussi bien pour les aborigènes filmés des fameux ethnologues Jacques et Betty Villeminot qui filment dans les années 50, le lieu où le monde se façonne, et, cinquante ans plus tard « un rêve brisé » où l’on aperçoit dans les oscillations colorées des formes numériques la silhouette d’un homme parmi des épaves de voitures.