La synopsie est un phénomène sensoriel qui consiste, pour un sujet, à éprouver des sensations colorées lorsqu’il perçoit certains sons. S’inscrivant dans le cadre de la collaboration de Véronique Rizzo avec Technè/RIAM, "Synopsie n°1, Trilogie d'après Catulle" est un ensemble de vidéos en trois volets, trois tableaux en mouvement où il est question d'une synergie de formes vibratoires, dynamiques et spatiales.
Catulle est un poète romain du premier siècle avant J.C. dont Véronique Rizzo s'est inspirée dans sa façon d’imbriquer différentes fictions mythologiques et de déstructurer la linéarité de la narration. Pour la réalisation de cette trilogie, l'artiste réunit des références à la mythologie grecque et indienne, à l'art abstrait et à des champs culturels qui englobent l'architecture virtuelle ou l'esthétique des jeux vidéos.
Ainsi, la première vidéo de la trilogie fait référence au mythe d'Ariane à travers la structure du labyrinthe, transformant la grille de Diagonales 61 en support narratif pour le déroulement d'un jeu de fuite, figurant une tentative de libération et d'émancipation par le biais de la rencontre amoureuse.
Dans ce mythe, il y a une dimension libératrice qui commence par une trahison : Thésée, héros de la civilisation athénienne, trahit Ariane qui lui avait pourtant donné les clés du labyrinthe de Cnossos afin qu'il vainque l’homme-taureau, le tellurique. S'ensuit l'abandon et la solitude d'Ariane, exilée dans son île où, après une plongée dans son labyrinthe intérieur, elle opère une libération. Ariane a le courage d’écouter Dyonisos, étant l'une des premières femmes à risquer une émancipation et par là même ouvrant une autre qualité d'être dans le monde. Le fait d'être capable d'entendre sa "musique" intérieure vient remettre en cause l'ordre patriarcal et le logos calculateur dans une société focalisée sur l’avidité, la cupidité et l’opportunisme de Thésée. |
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Il y a dans ce travail de Véronique Rizzo une façon d'imbriquer la tradition artistique de l'abstraction géométrique et des modalités narratives hétérogènes, qui vont de la mythologie à la culture populaire. Dans le deuxième volet de sa trilogie, elle met en place une dynamique visuelle abstraite dont certains éléments peuvent éventuellement rappeler l'iconographie féministe. Le titre de la pièce Shakti, évoque l'entité hindoue de l'énergie dynamique féminine, sorte de principe actif où le mâle devient passif dans son rôle inséminateur, souvent représentée par la fusion de deux entités, masculine et féminine. Le titre du troisième volet, Yab-Yum, signifie un couple de divinités du tantrisme tibétain symbolisant l'imbrication non-duelle des deux principes masculin et féminin.
L’abstraction de Véronique Rizzo rentre en dialogue avec les avant-gardes historiques, des constructivistes russes jusqu’à l’op art, en passant par l’art concret ou le Bauhaus, tout en redéfinissant, contredisant ou amplifiant ces fondements théoriques. Son travail ne fonctionne pas sur un principe d’opposition entre la rationalité moderniste et les pulsions, le romantisme débridé ou la sensualité tropicale des motifs. Il n’oppose pas non plus les formes pures et autonomes de l’abstraction et des motifs issus de la culture populaire (génériques d’émissions de télévision ou de films des années 1960-70, BD, science-fiction, cultures urbaines, musiques électroniques, psychédélisme), en portant un regard critique sur le fait que les formes cinétiques ont été rattrapées par l’industrie de la communication de masse, le graphisme et le design. Son travail est une affirmation intense de la puissance émotionnelle de l’abstraction.
Pedro Morais - 2012 |