« L’étang de Berre s’intègre mal à la « bonne image » de la Provence. Les rives ne sentent pas la lavande, les gens sont souvent sans apprêt. Pourtant, on pourrait montrer sans difficulté que les cigales y chantent tout l’été, qu’on trouve de la poutargue et du pastis sous les canisses et que les chapelles romanes valent le détour.
Nomade, Franck Pourcel n’a jamais souhaité devenir un photographe « régionaliste ». Il n’en reste pas moins l’un des meilleurs photographes de la Provence contemporaine, notamment parce qu’il s’écarte de tous les types esthétiques qui conditionnent notre regard. Son travail sur l’étang de Berre est le résultat d’une longue méditation photographique à propos d’un espace que l’on a souvent tant de mal à qualifier qu’on s’en détourne le plus vite possible. Il a habité le rêve de l’étang, ou plutôt l’assemblage de rêves qui en constitue la trame sociale. Il nous donne aujourd’hui ses travailleurs de la « petite mer », ceux qu’on oublie volontiers, car leurs prodiges sont marqués du sceau de l’ordinaire. »
Jean-Louis Fabiani, La petite mer des oubliés, Le bec en l'air éditions, 2006 |
L’étang de Berre ne peut pas devenir un lac de synthèse. Sa vie continue, fût-ce sous une forme atrophiée ou au contraire eutrophisée. Comme le souligne Michel Peraldi, nous sommes confrontés aujourd’hui à un espace typiquement métropolitain, où les terrains vagues jouxtent les espaces exploités intensivement, où le monde ordonné par les systèmes sécuritaires est à deux pas des franges les moins régulées du territoire social. L’unité de l’espace est à la fois fictive, puisque l’hétérogénéité spatiale et sociale semble atteindre un maximum, et effective, car l’intense privatisation des espaces finit par produire, dans l’ambiguïté, l’esquisse d’un sens commun. Par des voies détournées, et souvent sinueuses, l’étang de Berre est devenue depuis une vingtaine d’années un problème public. L’entrée dans le cercle de l’intérêt général est le résultat d’un double processus : une préoccupation écologique, qui, en dépit de ses naïvetés, est toujours porteuse d’un formidable espoir ; l’émergence d’une urgence sociale, dont on doit espérer qu’elle suscite une réponse juste et démocratique. Le travail de Franck Pourcel, somnambule de la petite mer, nous dit sans emphase qu’il est possible d’imaginer un futur sur ces rivages, grand espace de luttes et de plaisirs, enjeu d’investissements contradictoires et complémentaires.
Jean-Louis Fabiani, extrait de Somnambule de la petite mer ?, 2006 |