Franck POURCEL 

1 - Constellation d’Ulysse   2 - Constellation des portes   3 - Constellation des paysages horizontaux   4 - Constellation des corps
           
5 - Constellation des conflits   6 - Constellation des dieux et des héros   7 - Constellation de la pêche   8 - Constellation de la vie ordinaire
           
9 - Constellation de l’environnement   10 - Constellation des insularités   11 - Constellation des mobilités   12 - Constellation des murs
           
   
13 - Constellation heureuse           Vues d'expositions
 
 

Berceau des récits fondateurs de nombreuses civilisations, la Méditerranée condense sur un espace limité, cerné, dominé par ses rivages et bordé par trois continents, Afrique, Asie et Europe, des récits où se sont nouées les aventures humaines importantes, faisant naître mythes et légendes. Des récits qui ont participé à donner à la Méditerranée une place à part dans l’univers des dieux et des hommes.
J’explore depuis de nombreuses années un paysage méditerranéen renouvelé, en interrogeant sa modernité où se confrontent immuabilité et changement. J’élabore avec la Méditerranée une nouvelle géographie plus humaine, plus sensible et personnelle.
Cette géographie réinventée prend la forme de treize constellations que j’ai finalisé en 2013. La constellation d’Ulysse constitue le fil d’Ariane. Les autres constellations en sont la déclinaison et traduisent des thématiques contemporaines.

Dans un dispositif photographique précis, j’articule des cercles concentriques et treize constellations traversant ces cercles. Le tout forme une toile. En multipliant les points de vue, je précise mes intentions, je définis mieux les contours, je trace les enjeux, je brode les propos.

Cercles : Lorsqu’un corps tombe à la mer, des cercles concentriques se forment et ondulent jusqu’aux rivages et plus loin encore la terre se met à vibrer. La mer, le rivage et la terre constituent ainsi les trois cercles porteurs de ces vibrations. Ils forment la base, le socle solide des récits qui émergent de l’espace méditerranéen.

Récits photographiques ou constellations : Chaque récit est constitué de séries de photographies prises sur différents lieux du pourtour méditerranéen traduisant une thématique contemporaine.
Sur la carte géographique, je réalise un tracé entièrement subjectif à partir de ces lieux. Lorsque la carte disparaît, le tracé devient une représentation imaginaire et poétique du récit, les lieux sont des étoiles et l’ensemble forme une constellation. Les constellations sont indépendantes les unes des autres et s’entrecroisent.

Toile : L’articulation des constellations tisse une toile photographique, sorte de labyrinthe méditerranéen allant d’est en ouest, du nord au sud. Cet entrelacement dessine une histoire collective où chaque acteur est présent à travers son histoire individuelle. Je navigue ainsi dans cette toile, où l’errance est intérieure (intime).

En abordant ces espaces imaginaires, je propose une écriture photographique dans un langage poétique nourri de récits photographiques subjectifs et personnels.

« Le mythe est une parole » écrit Barthes. Une parole qui alimente au fil du temps les imaginaires. Le mythe peut être ainsi un chant, une voix sur les ondes radiophoniques, une photo précieusement gardée dans un tiroir…
L’idée de cette série est donc venue d’une simple photographie rangée dans le tiroir des documents familiaux les plus précieux, celui de la table de la salle à manger de mes parents. La table en bois est massive, transmise de génération en génération, elle est l’objet central autour duquel les familles, les amis, les convives se posent pour partager un repas, une parole. Et tout est à l’intérieur de cette table, de ce bois de chêne, au cœur de ces rondes, au milieu de ces gens, mes gens, ceux qui s’invitent lorsqu’un enfant naît, ceux qui viennent lorsqu’une personne meurt.
La photo est là au cœur de mon histoire et elle m’attend en silence au-dessus des albums de famille, des actes notariés, des couverts en argent offerts aux jeunes mariés. Elle vit comme les braises sous un tapis de cendres et ne demande qu’à être révélée, ravivée par d’autres sources génératrices de rêveries. Le feu couve.
J’avais cinq ans lorsque mes parents ont pris en gérance le bar des Arènes à Plan-d’Orgon. Sur la photographie de promotion du film Heureux qui comme Ulysse d’Henri Colpi, on voit Fernandel, avec son cheval Ulysse, chercher sa route au croisement de la RN7 et de la D99. En coin, le bar de mes parents semble observer la scène. La chanson de Georges Brassens au titre éponyme a attisé les flammes, fait émerger le feu, souvenirs impérissables d’une enfance aventureuse, expériences personnelles décisives. »

Franck Pourcel, extrait de "Au croisement", Ulysse ou les constellations, éditions Le Bec en l'air, 2013.

Les constellations sont les repères des marins. Mes constellations photographiques montrent, dans un ciel méditerranéen, les voies de la connaissance d’un monde dans lequel je navigue depuis mon lieu de vie, de ma petite enfance à l’âge adulte. Je retrouve toute une mémoire enfouie. C’est le souvenir de soi et des autres, la découverte et la compréhension d’un monde méditerranéen qui m’entoure, la proposition d’une autre mythologie. Mes constellations sont mes guides au-dessus d’une carte confuse, encombrée, sclérosée. Elles interviennent au moment de ma propre perdition. Alors, toujours tourné vers elles, la mer ne peut m’engloutir, je ne peux qu’en revenir grandi souhaitant raconter mon propre périple. 

« Au vrai, la seule constellation qui paraisse manquante dans ce projet, concernerait directement le photographe lui-même, Franck Pourcel. On rétorquera qu’au cours des treize figures stellaires qu’il construit, sa présence est constante, transcende les apparences du réel qu’il photographie, pour dessiner en creux, derrière l’histoire collective, un singulier portrait, un « tracé entièrement subjectif », selon ses propres termes. Que ce projet, né sous la forme d’une commande, se transforme en expérience existentielle vitale, salvatrice, intervenant « au moment de [s]a propre perdition », lui confère une gravité dont, bien souvent, trop d’entreprises artistiques contemporaines sont dépourvues. Dans le Manifeste photobiographique qu’avec Claude Nori nous publiions en 1983, appelant la photographie à dépasser son caractère strictement documentaire ou ses points de vue esthétiques distanciés, pour privilégier l’attitude autobiographique inhérente à tout projet photographique, nous souhaitions que celui-ci puisse correspondre, pour chacun, à l’exploration de ce que nous nommions – encore Joyce ! – le « territoire épiphanique ». À l’évidence, Franck Pourcel met ici en scène, avec un éclat photographique subtil et rare, l’intime force du sien. »
Gilles Mora, extrait de "Territoire épiphanique", Ulysse ou les constellations, éditions Le Bec en l'air, 2013.


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Ulysse ou les constellations

Images, séquences, livre, installations...
Voyages, parcours, stations, topographie, géographie, reconstitution...
Légende, chronologie, durée...
L'œuvre Ulysse ou les constellations de Franck Pourcel suscite chez le commentateur quantité de notions descriptives du travail : caractéristiques formelles, identification du mode de production dans l'espace et dans le temps. Par où commencer ?
C'est la particularité d'un travail d'ampleur. De cette ampleur que désigne en creux la difficulté d'en définir l'identité esthétique : partant du récit homérique, Franck Pourcel trace un graphique reliant les points des stations du voyage du héros. Il ordonne ainsi, selon la tradition d'un art à contrainte, une constellation, c'est-à-dire qu'il donne à la spatialisation du parcours qu'il s'engage à effectuer "sur les traces d'Ulysse", une forme géométrique qui constitue en elle-même la forme matricielle de l'œuvre. Avant de voir la moindre image, le spectateur est ainsi saisi par le gigantesque graphe né de la relation des points de la méditerranée qui forment le parcours à effectuer, mais c'est moins une carte marine qui lui apparaît qu'une carte d'astronome.
Chaque lieu, puisqu'ils existent encore, fait donc l'objet durant les années que couvre le projet Ulysse ou les constellations, d'un voyage, appareil photo à la main. Il s'agit pour l'artiste de retrouver, par le hasard et l'intuition, les traces d'un équivalent du récit légendaire. Là un cyclope, ici les sirènes, mais à ce qui n'aurait été qu'un jeu de piste érudit se superpose l'actualité des questions du monde d'aujourd'hui : Franck Pourcel actualise l'Antique comme le philosophe contemporain sait encore faire parler les Présocratiques.
Loin de la prétention aux allégories, tout Ulysse ou les constellations est une confrontation de la photographie au genre épique. L'ambition de contenir en un seul projet articulé ces épisodes de travail et d'exploration est un tour de force. Un immense poème photographique, à mon sens sans grand équivalent dans sa génération. Indifférent aux styles, aux postures, en bref aux modes qui gouvernent souvent la photographie contemporaine, Ulysse ou les constellations recouvre son auteur même, le dépasse, signe s'il en est, d'une autorité acquise par l'œuvre même.
Michel Poivert

 

 
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