À travers (extrait carnet)
À travers comprend plusieurs séries de photographies prises dans des villes différentes : Paris, Lyon, Ivry-sur-Seine, Vitry. Il s’agit de séries ouvertes pouvant être enrichies continuellement.
Lorsque je déambule dans une ville, munie de mon appareil photo, portée par le désir d’y recueillir quelques images. Mon regard s’arrête et isole certaines choses ou situations du réel. Leur récurrence ou leur parenté constitue peu à peu des séries révélant un certain regard sur le monde.
Des visions fragmentaires de scènes entrevues d’où la vie jaillit et s’échappe l’espace d’un instant.
La vie esquissée des êtres et des choses perçue subrepticement à travers ces petites échancrures : un certain geste, une position singulière, le mouvement d’un corps ou un agencement inattendu d’objets.
Elles s’ouvrent sur un espace autre : un espace à la fois proche et lointain, à la fois physique et mental, auquel s’attache une qualité de présence qui peut disparaître d’un moment à l’autre.
Le jour où j’ai photographié cette femme de dos derrière une vitre, j’avais pris en photo deux petites loggias jumelles, côté à côte, à la découpe géométrique, avec d’un côté une plante dans un pot et de l’autre la délicate tête d’un arbuste dont l’ombre étalait sa présence sur la façade vide et unie. Tous ces éléments semblaient entrer en rapport, en résonance entre eux et avec mon désir et mes attentes du moment.
Le lendemain je suis retournée au même endroit avec l’idée de prendre d’autres photos et de retrouver quelque chose de cette connivence « esthétique » première, mais ce retour fut déceptif : la lumière à ce moment-là était bien différente et les choses n’existaient plus de la même façon. Tout paraissait plat et sans vie.
Solitude de l’arbuste sans ombre,
Solitude de la plante confinée dans un pot
Absence de profondeur,
Vide inhabitable
La sensation d’espace, celle qui met en rapport des éléments séparés par du vide et à travers laquelle l’esprit peut se mouvoir et s’émouvoir en s’accordant avec le monde extérieur, s’était émoussée, voire évanouie.
Je retire de cette expérience décevante : le sentiment que la qualité de présence rattachée à une chose est précaire. La qualité de présence tient de façon ténue à une conjonction momentanée et fragile des choses entre elles, à une rencontre entre soi et le monde.
|