Delphine POITEVIN 

 
À travers, 2017
Photographie, 50 x 70 cm
 
L’attente, Vitry (extrait carnet)
Une femme est assise de dos, derrière une vitre dépolie, la tête légèrement inclinée, le coude reposant sur le siège voisin, dans une attitude d’attente à la fois nonchalante et imposante. Il se dégage de cette image une qualité de présence indicible et mystérieuse.
Le dépoli de la vitre agit comme la technique du sfumato qui est obtenue par glacis produisant des effets vaporeux qui donnent au sujet des contours imprécis.
Le trouble physique du verre se lie à celui de la chair en l’enveloppant sensuellement. Cette « proximité » charnelle est confortée par la qualité fondue des couleurs, la douceur des tons (bleu, rose, blanc, brun) et la délicatesse des nuances colorées, mais aussi par la présence corporelle du sujet qui occupe une grande partie de l’espace de la photographie. En même temps, l’image troublée de cette femme nous apparaît lointaine et impalpable. Matériellement, ce trouble est lié à la translucidité du verre qui s’accompagne d’une dissolution formelle et des contours indécis du sujet, mais il se rattache aussi à l’atmosphère générale de la scène.
Cette impression est renforcée également par sa position corporelle : elle nous tourne le dos, dérobant son visage à notre regard, son regard s’ouvrant sur un espace intérieur auquel nous n’avons pas accès. L’intérieur et l’extérieur fusionnent par un jeu de reflets et de transparence.
 
 
 
 
À travers, 2017
Photographies, 50 x 70 cm
 

À travers (extrait carnet)

À travers comprend plusieurs séries de photographies prises dans des villes différentes : Paris, Lyon, Ivry-sur-Seine, Vitry. Il s’agit de séries ouvertes pouvant être enrichies continuellement.
Lorsque je déambule dans une ville, munie de mon appareil photo, portée par le désir d’y recueillir quelques images. Mon regard s’arrête et isole certaines choses ou situations du réel. Leur récurrence ou leur parenté constitue peu à peu des séries révélant un certain regard sur le monde.
Des visions fragmentaires de scènes entrevues d’où la vie jaillit et s’échappe l’espace d’un instant.

La vie esquissée des êtres et des choses perçue subrepticement à travers ces petites échancrures : un certain geste, une position singulière, le mouvement d’un corps ou un agencement inattendu d’objets.
Elles s’ouvrent sur un espace autre : un espace à la fois proche et lointain, à la fois physique et mental, auquel s’attache une qualité de présence qui peut disparaître d’un moment à l’autre.

Le jour où j’ai photographié cette femme de dos derrière une vitre, j’avais pris en photo deux petites loggias jumelles, côté à côte, à la découpe géométrique, avec d’un côté une plante dans un pot et de l’autre la délicate tête d’un arbuste dont l’ombre étalait sa présence sur la façade vide et unie. Tous ces éléments semblaient entrer en rapport, en résonance entre eux et avec mon désir et mes attentes du moment.
Le lendemain je suis retournée au même endroit avec l’idée de prendre d’autres photos et de retrouver quelque chose de cette connivence « esthétique » première, mais ce retour fut déceptif : la lumière à ce moment-là était bien différente et les choses n’existaient plus de la même façon. Tout paraissait plat et sans vie.


Solitude de l’arbuste sans ombre,
Solitude de la plante confinée dans un pot
Absence de profondeur,
Vide inhabitable


La sensation d’espace, celle qui met en rapport des éléments séparés par du vide et à travers laquelle l’esprit peut se mouvoir et s’émouvoir en s’accordant avec le monde extérieur, s’était émoussée, voire évanouie.
Je retire de cette expérience décevante : le sentiment que la qualité de présence rattachée à une chose est précaire. La qualité de présence tient de façon ténue à une conjonction momentanée et fragile des choses entre elles, à une rencontre entre soi et le monde.

 
 
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