Trouble
Le mot « trouble », par sa richesse polysémique, permet d’envisager plusieurs aspects de ma pratique artistique aussi bien matériels (les constituants plastiques et les techniques utilisées) que thématiques (le choix des sujets et l’apparition de motifs récurrents).
Le trouble joue entre les différents médiums, la photographie et le dessin, et leur spécificité supposée. La limite entre les mediums est remise en question : ils se superposent et s’entremêlent jusqu’à leur fusion.
Ce trouble crée une mise en doute de l’image, un l’état de flottement et d’incertitude, qui produit un vacillement et une perte de repères.
Il participe aussi d’une certaine atmosphère. L’atmosphère, sans être matérielle et tangible, a une qualité sensible (brume, brouillard). Enveloppante, elle comprend et incorpore l’espace autour des objets, l’espace « entre » : l’espacement. La présence de cet espace vide est fondamentale dans mon processus créatif.
Le trouble se matérialise dans mes dessins et mes photographies par l’entremise d’une couche translucide de calque ou de verre qui s’intercale entre nous et les choses. L’image est alors mise à distance, en retrait. Mais c’est à travers cette surface intermédiaire et médiane qu’une relation au monde sensible se dessine par une projection imaginaire. Du trouble et de l’effacement quelque chose transparaît comme dans la nuit les intérieurs illuminés s’entrouvrent sur des constellations et des bribes de récits.
Au travers une surface translucide ou réfléchissante, un autre espace se dessine, flottant et indéfini, aux contours incertains. L’interpénétration entre l’intérieur et l’extérieur brouille les limites entre les deux. Le jeu mouvant des interférences, des reflets et des images évanescentes, qui apparaissent et disparaissent, nous plonge dans une zone d’indécidabilité.
De même, l’acte de dessiner opère à l’intérieur de cet espace du trouble. Le trait s’affirme tout en se soustrayant à la définition graphique et à la figuration. Le dessin se fait tout en se défaisant au moyen de l’estompage ou de l’effacement dans une tension permanente.
Il en résulte un dessin lacunaire et particulaire : un dessin de poussière. L’image de la poussière (matière pulvérulente et légère) est présente dans le geste graphique qui se dépose par touches sur la surface (point après point, fibre après fibre). Elle s’accorde aussi avec la prédominance du gris : la couleur de la fusion des couleurs et des matières. |