Nicolas PILARD 

La torpeur du papillon 1 2022
Huile sur toile, 30x25 cm
 
La torpeur du papillon 2 2022
Huile sur toile, 30x25 cm
 
La torpeur du papillon 3 2022
Huile sur toile, 30x25 cm
 
La torpeur du papillon 4 2022
Huile sur toile, 30x25 cm
 
La torpeur du papillon 5 2022
Huile sur toile, 24x18 cm
 
La torpeur du papillon 6 2022
Huile sur toile, 24x18 cm
 
La torpeur du papillon 7 2022
Huile sur toile, 24x18 cm
 
La torpeur du papillon 8 2022
Huile sur toile, 24x18 cm
 
Difficile de ne pas imaginer l’ivresse du papillon qui, dans une débauche de couleurs et de textures s’abreuve de nectars et s’enduit de pollens. Il doit y avoir une forme d’hébétude à évoluer dans une telle sensualité.
Pascale embarque ses pinceaux dans les sous-bois, les prairies. Elle déplie ses papiers et se repaît du motif. C’est un pastoralisme nomade, s’imprégner de formes dans les espaces foisonnants, des espaces qui se déploient dans l’énergie désordonnée de la croissance végétale. Dans ses dessins, c’est une expansion qui contamine et recouvre le corps, abritant parfois des êtres effrayants et des récits oniriques.
De mon côté, je me complais dans l’idée d’être devenu un cultureux-cul-terreux, même si c’est dans l’air du temps. Ma serre, mon laboratoire horticole, est devenue une extension de l’atelier et ce qui y prend forme me semble avoir toujours trait au dessin. Ce qui s’y développe le fait dans le silence et une lenteur qui tient de l’immobilité. Forcément toutes ces morphologies produisent de la peinture…
NP 2022
 
 
 
 
Vues de l'exposition La Torpeur du papillon, avec Pascale Lefebvre, Urban Gallery, Marseille, 2022
 

« Zhuangzi rêva une fois qu'il était un papillon, un papillon qui voletait et voltigeait alentour, heureux de lui-même et faisant ce qui lui plaisait. Il ne savait pas qu'il était Zhuangzi. Soudain, il se réveilla, et il se tenait là, un Zhuangzi indiscutable et massif. Mais il ne savait pas s'il était Zhuangzi qui avait rêvé qu'il était un papillon, ou un papillon qui rêvait qu'il était Zhuangzi. Entre Zhuangzi et un papillon, il doit bien exister une différence ! C'est ce qu'on appelle la Transformation des choses. »
Tchouang-tseu, Zhuangzi, chapitre II, Discours sur l'identité des choses

Le peintre apporte son corps. C’est la condition pour que, pris dans le tissu du monde, il puisse prélever du sensible. C’est dans la matière sensible que nous évoluons dans la veille comme dans le sommeil. Même si dans ce dernier cas nous composons avec de la poussière visuelle, c’est baignant dans le sensible que l’esprit tricote à la fois avec les abatis des souvenirs et une forme de raisonnement désintéressé.

Il y a ce jeu dans les dessins de Pascale. Elle peint son corps pris dans l’étoffe des choses, pas seulement outil de saisie, mais saisi comme chose et recouvert par les luxuriances captées lors de ses ballades, qu’elles soient sur le motif, comme à l’intérieur de son réservoir de formes assimilées par le dessin. La peinture est une obsession du recouvrement. Le déploiement est organique. Mais si Pascale s’immerge dans le dessin, des corps surgissent de la profusion végétale, l’ornement est camouflage. Comme un sous-bois, c’est un territoire de présences cachées, d’apparitions furtives. C’est l’espace romantique que définit Norberg-Schulz à partir du paysage des forêts nordiques. Un lieu fait d’une multitude de lieux, où la vue ne porte pas, en permanence encadrée d’arbres, de rochers, de brumes, travaillée par le hors-champ… un lieu habité mais de présences dissimulées… que la peinture peut tenter d’exhumer de l’entrelacs de sensations.

Les effeuillées travaillent cette relation ambiguë du dessin à l’espace qui l’a produit. Les encres semblent se fondre dans cet environnement, elles y sont disposées comme des végétaux qui auraient poussé là, nourris à l’humus de la forêt. Elles s’y mêlent. C’est un entrelacs de cet ordre qui produit mes petits d’août. C’est le sous-bois alentour qui en fournit le matériau sensible, un prétexte à ce que la peinture produise un territoire aux présences secrètes. C’est une peinture d’atelier, pas besoin d’aller se déplacer vers le motif, je vis dedans.

Que vient faire la torpeur dans cette histoire ? Elle vient travailler cette question du désintéressement. C’est le génie de la bêtise du peintre, son obsession optique, son obsession sensible, qui permettent de ne pas réduire les choses aux idées, ou pire encore, aux mots. Le peintre peut se saisir de tout ce qui lui passe par les yeux pour réactiver son théâtre d’ombres, assimiler le perçu, et construire son apparition hallucinatoire comme le dormeur son scénario onirique, presque à son corps défendant. Ce n’est pas que le peintre est en sommeil, c’est que son attention focalisée prend volontiers le dessus sur le reste, le met au repos. C’est le corps qui, au métier, met en branle sa science du geste. C’est le corps qui pense.

La genèse d’une peinture tient de la métamorphose. Il y a des passages de la chenille à la chrysalide, de la chrysalide au papillon… des mues vers l’imago. Un tableau est cette bouillie de culture qui finit par prendre forme (ou pas). C’est une gestation incertaine qui cherche son point d’équilibre, son problème étant de ne pas connaître son propre programme. Le projet se révèle a posteriori… et encore une fois, c’est le corps qui pense. On peut avoir l’impression que peindre c’est fouiller, c’est gratter la terre comme on irait à la recherche d’un tubercule ou déterrer dans le sable des coquilles nacrées… mais si certains gestes peuvent être littéralement de cet ordre, la plupart du temps, c’est paradoxal, on creuse en recouvrant.

Les dessins, les peintures, sont à chaque fois une découverte (en tout cas ceux montrés ici) même si dans la logique de la série on reprend un chemin emprunté la veille, pour à un moment bifurquer ailleurs. L’idée de cet itinéraire improvisé, c’est de se risquer dans les Holzwege, les chemins qui ne mènent nulle part. Mine de rien, la forêt en est pleine. Peindre c’est aller s’immerger, se perdre et retrouver la piste in extremis… C’est se laisser errer, pris par la torpeur du papillon, et se réveiller perplexe et surpris.

NP 2022

 
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