Emilie PEROTTO 

Damien Airault discute avec Émilie Perotto, avril 2009
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L'absence de grandiloquence ou d'orgueil, qu'on ressent même à travers leurs photographies, m'a d'abord intéressé dans les sculptures d'Émilie Perotto. Le travail d'Émilie est extrêmement simple, sans «enrobage», je dirais même biographique. Une biographie camouflée, car faite d'emprunts à des éléments que le spectateur ne connaît pas.
Et s'il y a un coté aberrant à collecter, assembler et redécouper des planches, sa méthode crée une logique de la main plutôt que des postulats théoriques. Elle crée une pragmatique qui est déjà en soi un postulat théorique.


D. Tes travaux sont très complexes parce qu'ils impliquent une question qui me préoccupe souvent: celle de la pratique, en ce qu'ils renvoient surtout à eux-mêmes, à leur mode de production.

É. Cet aspect autoréférentiel vient de la façon dont je suis venue à la sculpture. En 2003, quand j'étais encore à l'école, «l'économie des moyens» était une formule très à la mode. J'étais plus à l'aise en volume, et je voulais reprendre les choses à zéro: faire table rase de tout ce que j'avais tenté jusque-là. Il était évident que si je voulais faire du volume, il fallait commencer par essayer la sculpture avant même de penser installation, environnement. Donc, je me suis posée des questions simples : comment ériger une forme comment faire qu'elle tienne debout qu'elle devienne sculpture comment définir une «zone-sculpture», comment faire d'une zone une sculpture Toutes ces questions m'ont amenée à penser la sculpture comme la conquête d'un territoire. Pour éviter d'ajouter des éléments inutiles, je faisais en sorte que le système de fabrication soit visible et nécessaire aux «imaginaires» suggérés par la forme. Donc, je travaillais avec la matière brute. Des plaques de bois que je pouvais assembler simplement et travailler seule, avec de petits outils faciles d'utilisation. Comme je ne savais pas trop ce que je cherchais, cela me permettait de rater et de recommencer sans que cela soit un problème. Et comme je ratais souvent, tous les essais manqués étaient importants, comme témoignages de pratique. Mettre en avant les systèmes de fabrication était fondamental, je ne pouvais pas me permettre de tricher en peignant, en recouvrant le bois brut. Alors j'ai dû apprendre à connaître mes matériaux, à inventer mes propres virtuosités pour élargir mes possibilités. Ça explique cet aspect «sans enrobage» du travail. Quant à l'idée de témoignage de pratique, elle vient de la façon dont j'examine les chutes de sculptures que je conserve. À chaque fois que je dois les manipuler, c'est comme un jeu de piste. Je tente de me rappeler de quelle sculpture chacune est issue et souvent j'y trouve des traces de plusieurs travaux. Il y a eu des époques où je ne produisais rien de bon, et où les seules traces de mon activité étaient ces chutes.

D. Donc tes pièces sont faites de, montrent, les ratages qui les ont précédé. Ce sont presque des accumulations de repentirs, même si elles ont leur sens en tant qu'objets finis.

É. Oui et cela rejoint la notion de pratique. Beaucoup de morceaux de bois que j'utilise ont une histoire particulière et une valeur ajoutée par ces traces de vécu dans l'atelier. J'en conserve certains comme des objets précieux, jusqu'à leur trouver une place dans une sculpture. Pour en revenir à la notion de biographie, voire autobiographie, elle existe à deux niveaux dans le travail. Le lien que j'entretiens avec les matériaux et les outils est présent, et il est doublé par certaines images que j'utilise dans les sculptures et qui m'apparaissent comme sorties de nulle part. Avant, je refusais ces «apparitions» au profit de directions plus concrètes, en lien plus direct avec la sculpture, l'histoire de l'art, l'actualité. Aujourd'hui, j'accepte ces images mentales et les utilise.

D. De quoi est constitué cet imaginaire De paysages De gestes De moments Ces flashs ajoutent un peu de «mauvais goût», par des références à des évènements qui te sont proches ou des anecdotes. Dali faisait ça aussi... Par contre, avec ce principe, les objets deviennent assez autonomes, c'est-à-dire assez impertinents aussi.
Certaines de tes oeuvres répondent à tous les critères contemporains par leur abstraction, leurs procédés, leurs matériaux et puis tout à coup ça dérive vers le surréalisme, sans pour autant devenir de l'expression brute, parce que tu y rajoutes quelque chose de trivial.

É. Même si a posteriori je peux décrypter ces images mentales (souvent des paysages, parfois des objets) comme étant autobiographiques, ce qui m'intéresse, c'est de les utiliser dans le domaine de la sculpture. Je me sers d'une certaine «surréalité» pour brouiller les pistes d'une unique interprétation, plus que pour révéler. Si la représentation d'un bout de sol occupé par trois champignons, peut simplement se trouver sur un four à micro-onde, qui sert de vitrine à la représentation d'un crâne humain de dos, alors tout est possible! Si le spectateur accepte ce qui sort de ses normes, alors peut-être peut-il regarder le monde d'un oeil nouveau!

D. Tu parles avec détermination de conquête : mais qu'est-ce qui doit être conquis, ou envahi, en dehors de ta propre liberté ? Où et comment la sculpture intervient-elle ?

É. Oui effectivement, j'ai beaucoup parlé de «conquête de territoire». Je crois que ce terme n'est plus très juste. Il est d'avantage question aujourd'hui dans ma pratique de définir un territoire, ou d'occuper un territoire, plus que de conquérir quoi que ce soit. Je me sens moins dans une position d'attaque qu'auparavant, mais plus dans une posture
de résistance, que ce soit face à l'espace, mais aussi face aux conditions de travail d'un artiste. Bien qu'il soit facile de comprendre qu'une sculpture est une altérité pour le spectateur, et aussi une présence physique empiétant sur un terrain qui n'est pas le sien (celui du lieu d'exposition, ou celui du visiteur, etc.), en faire l'expérience m'a amené à passer un cap : je fais de la sculpture pour créer de la confrontation.

English version, Carolyn Robb

The absence of grandiloquence or vanity, palpable even through their photographs, first interested me in the sculptures of Émilie Perotto. Émilie's work is extremely simple, without embellishment, I would even say biographical. A biography in camouflage, since it borrows from elements unknown to the viewer.
If there is something absurd about collecting and assembling boards only to cut them out again, the logic of her method is first-hand rather than theoretical. Her pragmatism is a theoretical postulate in itself.


D.Your pieces are very complex because they involve an issue that often preoccupies me : experience. They mostly refer to themselves, to the method by which they were produced.

É.This self-referential aspect comes from the way I've approached sculpture. In 2003, when I was still in school, the “economy of means” was a very popular formula. I was more comfortable with volume, and I wanted to start over from scratch, to make a clean sweep of all that I had tried before then. It was obvious to me that if I wanted to work with volume, I had to begin by trying out the sculpture even before thinking about installation or environment. So, I asked myself some simple questions : how could I erect a form, how could I make it stand up and become a sculpture, how could I define a sculptural space, how could I make a sculpture out of that space. All of these questions led me to think of sculpture as a conquest of territory. To avoid adding any unnecessary elements, I saw to it that the system of production was visible—and necessary to the “world” suggested by the form. So, I worked with unprocessed materials, wooden boards that I could assemble easily and work with by myself, with small, easy-to-use tools. Since I didn't really know what I was looking for, this method allowed me to make mistakes and to start over without it being a problem. And since I messed up often, all the failed attempts were important, as evidence of the experience. It was fundamental to bring the systems of production to the forefront ; I couldn't allow myself to cheat by painting or covering up the raw wood. So, I had to become familiar with my materials, to invent my own skills to broaden my possibilities. That explains the “unembellished” aspect of the work. As for the evidence of experience, it comes from the way I examine the scraps that I save from sculptures. Each time I have to manipulate them, it's like following a trail of breadcrumbs. I try to remember from what sculpture each one came, and I often find the trails of several works. There were times when I wasn't producing anything good, and where the only trace of my activity was the scraps.

D.So then, your pieces are made of?they show—the failures that preceded them. They're almost accumulations of repentances, even if they have their meaning as finished objects.

É.Yes and that goes with the notion of experience. Many pieces of wood that I use have a unique history and a value added by those traces of experience in the studio. I save some of them as precious objects, until I find a place for them in a sculpture. To come back to the notion of biography, indeed autobiography, it exists on two levels in my work. There is a connection that I maintain with the materials and tools, and it's multiplied by certain images that I use in the sculptures that seem to come from out of nowhere. Before, I would refuse these “apparitions” in favor of more concrete directions, more directly connected with the sculpture, art history, or current events. Today, I accept these mental images and use them.

D.What is your sculptural world made of Landscapes Gestures Moments These scenes leave a bit of a “bad taste”, through references to anecdotes or events close to you. Dali used to do that too. On the other hand, with this principle, the objects become fairly autonomous, that is fairly irrelevant. Some of your pieces answer to all the contemporary criteria in their abstraction, process, and materials, and then all of a sudden they drift towards surrealism, but without becoming a crude expression of it, because you add something trivial.

É.Even if I can later decode these mental images (often landscapes, sometimes objects) as autobiographical, what interests me is using them on a sculptural level. I make use of a certain “surreality”, more to blur the lines of a single interpretation than to reveal anything. If a representation of a bit of soil occupied by three mushrooms can simply be found on a microwave oven that serves as a window to a view of the back of a fabricated human scull, then anything is possible! If the viewer accepts the unconventional, then maybe he can look at the world in a new light!

D.You speak determinedly of conquest. But what must be conquered or invaded, besides your own freedom Where and how does sculpture intervene

É.Yes, in fact, I've talked a lot about conquering territory. I think that's not really the right word anymore. In my experience these days, it's more a matter of defining a territory, of occupying a territory, than of conquering anything. I feel less in a position of attack than I did before, more in a position of resistance, not only of physical space but also the working conditions of an artist. Even though it's easy to understand that a sculpture is an otherness to an viewer, as well as a physical presence encroaching upon a site that doesn't belong to it (but rather to the exhibition space or to the visitor, etc.), experiencing this has allowed me to turn a corner ; I sculpt in order to create confrontation.

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