Dans les plis des jours
Philippe Cyroulnik
Extrait
Raphaëlle Paupert-Borne peint, dessine, filme et fait des performances. Elle utilise la toile et le papier mais aussi le papier de nos chambres passées, les scènes de la vie qu’elle saisit dans de petits films qui viennent enchanter l’ordinaire du monde. Son oeuvre se nourrit de son environnement, des proches et des anonymes croisés au détour des jours, de ses voyages, des paysages et de ce qu’ils traduisent comme « cadres » de vie. Il ne s’agit pas tant de le reproduire que d’en extraire des scènes, des gestes, des instants, des figures qui vont engendrer des tableaux et donner forme à un sentiment du monde, quand il s’incarne dans la peinture. Dans ses dessins, Raphaëlle Paupert-Borne donne trait à la vivacité de regards croisés, de rencontres, de scènes de la vie où se mêlent l’intime et les éclats de monde arrachés à la foule des passants. Elle en construit la charpente pour aller à l’essentiel: un regard, un corps dont le mouvement signe un état, l’esquisse d’un groupe ou l’écho de ce que l’on nomme une scène de genre. Elle fait des corps, de leurs mouvements et de leurs gestes impromptus, des figures et des formes. Ses dessins ont un aspect jeté, car dans l’urgence de la saisie, il faut capter l’essentiel d’un présent pour lui conférer quelque chose d’une condition humaine ; mais sans emphase ni grandiloquence. Ce sont des gros plans rapides sur des fragments de corps, des visages et des groupes mais aussi les mailles du décor que sont murs, bâtiments, cafés, places et métros qui forment cette grille urbaine dans laquelle le dessin se déploie. Dans leur défilement ils constituent des « portraits » de ville. Ils pourraient presque constituer le storyboard d’une traversée du monde qui en dessinerait le mouvement sans jamais la rabattre à une histoire. Non pas un reportage, mais bien un sentiment du monde, une saisie de sa respiration et de ses blancs. Par le mouvement et la succession des images, elle donne à ses « précipités » du monde, un rythme, une poétique, et en fait un chant.
Il se produit comme l’ombre d’un doute sur la réalité des lieux et des personnages ; et du coup on est emporté vers la fiction et le décor. Le sujet a peu d’importance. Des choses de la vie ordinaire au bonheur des corps dans leur nudité ou leur étreinte, tout est bon à prendre sous le pinceau; à l’image de ses peintures qui mélangent l’ordinaire et le somptueux, le rebut et le monument, le grandiose et le modeste.
Elle nous entraine dans un cheminement où l’on croise les bonnes âmes de Chaissac, Watteau, Böcklin et quelques autres
Dans ses films, dont l’esprit n’est pas sans évoquer Jean Rouch et jacques Rozier, elle prend la matière de sa propre vie, avec ses bonheurs du jour et ses tragédies, pour en faire des hymnes lucides à la vie et nous en donner l’épaisseur et la finitude. Jusqu’à trouver le merveilleux et le fabuleux dans une conscience joyeusement athée du monde. (...)
Dans son oeuvre protéiforme la peinture a toujours eu une place essentielle. Riche des voyages et séjours de Raphaëlle Paupert-Borne, elle irrigue ses autres pratiques tout en s’en nourrissant. (…) |