Raphaëlle Paupert-Borne entre dans le paysage artistique comme Fafarelle entre dans le champ de la caméra, timidement d’abord puis de plus en plus hardiment jusqu’à ce que notre regard refuse de la laisser s’échapper. Quitte à suivre son mouvement frénétique.
Entre ces deux individualités, c’est un jeu de rôle perpétuel: Fafarelle fait le clown, et folâtre à la campagne, pendant que Raphaëlle, elle, travaille en post-production pour faire de ces acrobaties un film. Mais ce n’est que partie remise car Fafarelle une fois mise en boîte devient une image cinématographique, alors que Raphaëlle, elle, anime les ateliers cinématographiques avec les habitants de Belsunce.
Ce jeu d’interdépendance formellement fraternelle est avant tout le reflet, dans le travail artistique de Raphaëlle Paupert-Borne, du jeu qui court entre deux disciplines : celle des arts vivant que sont le théâtre et le cirque, et celle des arts plastiques.
C’est au travers de cette multidisciplinarité que le personnage de Fafarelle s’étoffe et se construit depuis une dizaine d’année. Au départ simple double clownesque de Raphaëlle, elle acquiert peu à peu son indépendance à travers l’expérimentation des espaces sensibles aménagés par l’artiste, que ce soit dans la peinture, le dessin ou le film. C’est cette multiplication voire succession d’expérience des espaces donnés qui lui permet de prétendre à une individualité autonome, riche de ses épisodes personnels.
Au travers du mouvement dynamique de Fafarelle, l’artiste engage une définition d’espaces sensibles, picturaux ou filmiques, parallèlement à la définition d’espaces naturels et de vie, d’épanouissement. Ainsi l’œuvre de Rahaëlle Paupert-Borne ne se limite pas à étoffer le personnage, mais travaille largement à créer des séries de paysages et de vues d’intérieurs procédant de la tentative définition d’un espace « où l’on aimerait vivre ». Entre espoir et réalité, Raphaëlle réussit à vivre dans ces espaces au travers de figures et personnages qui en profitent pour deux, mais qui à la fois portent pudiquement le poids du désenchantement d’y être seuls.
Le film Apnée est une strate parallèle aux travaux picturaux et aux spectacles de Raphaëlle Paupert-Borne où évolue Fafarelle, comme par exemple dans Fafarelle à la campagne datant de 1998. À cela près que l’environnement et le milieu réel bien qu’indéterminés, se sont vus peu à peu privilégiés par rapport au décor scénique représentant la campagne, devant lequel elle évoluait mêlant ainsi littéralement les disciplines peinture et cinéma. Le film de 2003 est composé de quatre volets qui sont à la fois des entités autonomes mais indissociables, Film de Faubourg, Marche dans la neige, Le berger et A ski. Quatre champs, quatre espaces mais aussi quatre durées où Fafarelle donne la mesure et le rythme par sa seule présence. Effectivement, c’est bien le rythme lent, comme par exemple dans Film de Faubourg, ou frénétique du personnage, comme dans A ski, qui guide la gestualité de la caméra ; son déplacement qui guide le cadrage.
Récemment donc, à travers l’inscription directe dans le paysage et dans un panorama, le personnage semble s’inscrire dans une dimension plus directe à l’écriture filmique, à mi-chemin entre le cinéma et la vidéo, en se conformant à leur définition respective donnée par Vito Acconci selon laquelle : « film is silence and lansdcape, while video is close-up and sound ». Le travail de Raphaëlle Paupert-Borne ne se catalogue pas plus dans l’une où l’autre de ces propositions, mais se situe par rapport à elles. En effet, l’artiste parvient à ménager à la fois des espaces verrouillés, véritables scènes à l’unité de temps et de lieu unique ; en même temps que des espaces de liberté qui sont largement ouverts sur le paysage et sa profondeur. D’autre part elle considère les espaces de silence, dont le choix de la pellicule Super 8 est déterminant, en même temps qu’elle réalise une bande son en post-production très élaborée. Ainsi, depuis cet « entre-deux » ainsi investi entre landscape/close-up, silence/sound Raphaëlle Paupert-Borne dégage un véritable espace de vie, où les choses peuvent « ad-venir ».
Au sens étymologique du terme, le sens de l’« aventure » qui est ainsi en action, s’entend également comme un principe de tournage, libéré de ce qui pourrait être déterminé par avance. Les points de départ de son travail sont davantage la matière visuelle et la matière sonore, déplaçant ainsi les formes et stratégies analytique du dessin et de la peinture vers le film. La pellicule, définie concrètement comme une succession d’espace-temps que représente chaque image, devient ainsi un terrain de captation de l’expérimentation de la liberté de Fafarelle, où « le personnage physique disparaît, laissant seulement une impression rétinienne de rouge de vert de rose et de bleu. Là c’est vraiment la couleur qui apparaît alors ». En insistant sur ce point, l’artiste relève l’importance d’une visualité et d’une matérialité picturales, mais qui loin de ne définir qu’une esthétique définissent avant tout une dynamique, celle de la tâche rouge qu’est Fafarelle.
La fluidité et la légèreté du mouvement ne trahissent pas cependant cette tension presque ontologique du travail cinématographique de Raphaëlle Paupert-Borne. Sans jamais y faire référence parce qu’il n’en aurait pas encore les souvenirs, l’artiste propose selon Patrick Leboutte « un cinéma archaïque, cinéma démuni, (un) pur geste de cinéma ». Un travail cinématographique d’apparence modeste car il ne cherche pas à s’inscrire dans une histoire du cinéma, mais qui tend davantage à le réconcilier avec les différentes disciplines que sont le théâtre, les arts du cirque ou encore le dessin et la peinture, proposant ainsi d’en définir une essence non simplement visuelle mais largement plastique.
Un cinéma à la fois brut et animé d’une gravité légère, réalisé avec l’énergie du désenchantement de l’enfant qui voit le tour de clown prendre fin.
Leslie Compan
Propos de Raphaëlle Paupert-Borne, recueillis en entretiens les 4 septembre et 7 novembre 2003, in Raphaëlle Paupert-Borne, Artothèque Antonin-Artaud, Cahier n°35, Janvier 2004, p.3. |