L’auberge espagnole
Une interview
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Hervé Paraponaris : Pourriez-vous me dire au juste ce que l'on entend par "art politique" ?
Paul Ardenne : Je n'en sais au juste rien. Tout art est de fait politique. Dessiner des vaches dans un pré, par exemple, rien n'est plus politique : l’expression de tout un programme l’isolement, le retrait, la désocialisation implicite, l’attention portée au non-humain, la mise en valeur conjointe d'un espace naturel et d'un système d'exploitation de l'animal par l'homme, la pulsion biologiste, écologique ou environnementale, etc. Rien ne peut être plus politique, tout compte fait. Vouloir qu'il existe un art politique et un qui ne le serait pas est également une disposition politique.
HP : Pour autant, Dominique Baqué parle d'un « nouvel art politique », qu’elle nous propose comme un genre à part entière, tout comme pourrait exister un art social…
PA : Oui. Il s’agit dans ce cas d’un art de l'intervention directe, qui voit l'artiste œuvrer directement à l'échelle sociale, au milieu du monde, et pas dans le retrait de l'atelier. Un art "en contexte réel", comme on le dit parfois par souci de clarté : l'artiste se montre actif dans la rue, les quartiers, il favorise les liaisons directes avec le public, sans l'intermédiaire de cette barrière symbolique que représente l’enceinte des galeries d'art ou des structures d'exposition. Quoique je ne voie pas, en tel cas, ce qui pourrait séparer ce type d'art, dit "politique", d'un art dit, lui, "social". Tout ce qui est social est politique, et inversement.
HP : Vous-même, dans Micropolitiques (terme lancé par Deleuze et Guattari), vous parlez d'une conception d'ordre "micropolitique", conception qui tournerait le dos aux abstractions pour préférer les êtres. Pensez-vous qu'abstractions et êtres ne puissent être associés ? En d'autres termes, pensez-vous que l'amélioration de la vie (sociale) ne passe pas aussi par son abstraction ?
PA : Abstractions et êtres sont de toute façon associés. Pour moi, il ne peut y avoir débat sur ce point. Quant à la "micropolitique"... Toute la question est plutôt celle de la grande échelle et de la petite échelle sociale. De la maximalisation et de la miniaturisation. Cette question concerne tout un chacun, et l’artiste comme quiconque, quel qu’il soit. L’artiste, parce qu’il est n’importe qui, n’échappe pas à ce balancement constant entre le constat de n’être personne, une quasi res nullius sociale ou quelqu’un mais alors dans un petit cénacle, celui de ses affidés et l’aspiration à une parole universelle, qui puisse se démultiplier, produire un effet de tribune. Miniature dans les faits, le plus clair du temps, mais maximaliste en termes d’aspiration sociale. Il n’est jamais facile d’accepter son inexistence sociale, que l’on soit ou non artiste. La "micropolitique", à cet égard, n’est pas sans devoir à la défaite du sujet politique. C’est faute d’avoir prise sur la macropolitique, sur le grand dessein humain en général, que l’on se tourne vers les actions ponctuelles, les actes de terrain, la vie associative, l’engagement de quartier, etc. Beaucoup de militants s’accommodent de ce type d’engagement aux effets forcément limités. Pour eux, la praxis micropolitique n’est pas vécue comme une stratégie par défaut mais comme la seule qu’ils peuvent s’autoriser. Ils y consentent donc et sont "à leur place dans la place", comme l’on dit. Reste que la micropolitique, par bien des artistes ayant choisi de s’impliquer à un niveau local, est vécue en tant que praxis comme une pratique faute de mieux : parce qu’on n’a pas les moyens de dimensionner plus largement son action. Cela étant, il peut y avoir, dans une carrière artistique, croissance de la micropolitique artistique vers la macropolitique, lorsque l’artiste, notamment, sait utiliser les canaux de la communication globale. Regardez Daniel Buren. Parti d’un travail clandestin sur les murs et les palissades, il en est arrivé à imposer son « outil visuel » au monde entier, et ce, par un maniement extrêmement patient, obstiné et subtil de l’industrie culturelle, dont son œuvre dénonce les pratiques spectacularistes dans le domaine de l’exposition.
Tout le monde, tôt ou tard, forme l’envie de jouer un rôle dans l’espace social. Je précise : dans l’espace social carné, celui où se meuvent des vrais corps l’espace de la chair, des humeurs, des odeurs, de la langue parlée. Espace qu’il convient à présent de distinguer de cet autre espace tout aussi social, lui, mais désincarné, qu’est le cyberespace, où vous pouvez certes communiquer, draguer, jouer en réseau mais sans forcément savoir avec qui et, de fait, sans contact charnel. Le développement exponentiel de la blogosphère, celui des sites de type "carte de visite" numérique MySpace, Facebook, Copains d’avant, etc. , me paraît un indicateur intéressant, en termes de socialisation politique. L’extimité qui s’exprime par ce biais montre que la tension de l’individu contemporain à se faire "social" ne faiblit pas, bien au contraire : on veut exister, toujours plus, parmi les autres. Pour autant, ce développement ne semble pas produire les effets escomptés, l’efficacité de ce type de stratégie d’intrusion sociale est pour le moins mesurée. Le plus clair du temps, les blogs ne sont lus que par ceux qui les font, qui n’ont d’ailleurs même pas le temps de les tenir à jour. Quant aux sites de type "cartes de visite" numériques, eux captent avant tout l’attention de réseaux de relation préconstitués, où ceux qui se connaissent ou partagent mêmes idées ou mêmes combats échangent avec ceux qu’ils connaissent ou qui se trouvent afficher convictions et engagements proches des leurs. Ceci permet certes l’accroissement de l’échange social, sans doute moins cependant qu’on l’imagine ou qu’on le souhaiterait.
HP : Pour reprendre Denis Oppenheim, comme vous le faîtes dans Un art contextuel, « Il me semble que l'une des fonctions principales de l'engagement artistique est de repousser les limites de ce qui peut être fait et de montrer que l'art ne consiste pas seulement en la fabrication d'objets à placer dans les galeries ; qu'il peut exister, avec ce qui est situé en dehors de la galerie, un rapport artistique qu'il est précieux d'explorer ». Ne pensez-vous pas qu'il existe une abstraction, abstraction de l'objet d'art au profit d'un déplacement de valeur et pas seulement d'un déplacement de l'artiste du dedans des galeries vers l'extérieur des galeries mais aussi d’un déplacement des systèmes du dehors vers l'intérieur des galeries ? Ce que vous appelez « déplacement de l'activité artistique elle-même ».
PA : Il n'y a que des déplacements, par définition. La réalité est dynamique. Qu'il s'agisse du dehors, de la galerie, de tout. La pensée doit arrêter le monde pour le penser, la réalité, elle, file...
HP : Dans Un art contextuel, vous finissez votre premier chapitre, intitulé « Un art contextuel ou comment annexer la réalité », par la mention de cette qualité propre à l'art contextuel : un art du monde trouvé. Pouvez-vous préciser ?
PA : L'expression est explicite. L'artiste, dans ce cas, ne va pas "inventer" un monde, un univers, une esthétique qui lui soit propre. Il travaille avec les moyens du bord. Vous trouvez trois cailloux dans un désert, vous les disposez d'une certaine manière, là même où ils se trouvent : art du monde trouvé. Vous vous retrouvez devant un polder, en Hollande, et vous le signez, comme s'il s'agissait d'un tableau réel dont vous seriez l’auteur, ainsi que l'a fait Marinus Boezem. Vous entreprenez de marcher de Manhattan jusqu'à l'aéroport JFK en prenant des photographies, à l'instar de Laurent Malone et Dennis Adams, etc. On quitte le régime de la démiurgie pour intégrer celui de l'usage. La technoculture, à travers le principe du sampling, va valoriser l'usage jusqu'à un point encore jamais atteint en termes de création artistique : on recycle ni plus ni moins ce que l'on trouve, à d'autres fins. Camille Henrot, King Kong Addiction : cette artiste projette de façon simultanée les trois films consacrés, dans l'histoire du cinéma, à King Kong. Monde trouvé ! En la matière, tout a commencé sur le mode d'une blague, par le readymade. Avant de s’imposer avec un succès prodigieux, jusqu’à ce point de développement polémique, l’affirmation d'un art de réappropriation systématique devenu un problème légal, au regard notamment du droit d'auteur, problème que les poétiques "samplées" posent de manière aiguë. Étant bien entendu que cela ne change pas fondamentalement le principe même de l'art, qui est la métamorphose : faire muter de la forme dans le temps, quelle que soit la manière, quel que soit le médium.
HP : Francis Berthelot, dans La Métamorphose généralisée, décompose la métamorphose en quatre paramètres : « le sujet qui la subit, l’agent qui la fait subir, le processus selon lequel elle s’accomplit, et le produit qui en résulte ». Serait-ce cela, le principe même de l'art ?
PA : C’est le principe de tout, en l’occurrence. La qualité spécifique de l’art est d’attacher, d’instiller de l’imaginaire et du symbolique à l’opération. La différence se fait là. Le monde est une création permanente, dans sa totalité. La création que l’art peut représenter ne vaut qu’à se singulariser, tout en redoublant la création générale et en y participant.
HP : Vous parlez de « monumentalisation de la présence ». Pourrait-on aussi parler de monumentalisation de la disparition ?
PA : Le monde contemporain, me semble-t-il, profile l’individu sur le mode, plutôt, d’une miniaturisation de la présence. Qui existe encore ? Sauf une poignée d’individus hommes de pouvoir, figures médiatiques, crétins couronnés de la société "people" , je ne vois pour ma part que de la miniaturisation, du "sujet" réduit au statut d’objet, de l’humanité nivelée, rapportée à son dénominateur commun, l’individu normalisé. L’échec de l’individualisme, du coup, est patent. Nous nous étions donné, depuis les Lumières et la Révolution française, une opportunité rêvée d’individuation, d’affirmation personnelle. Trois siècles à peine plus tard, quoi ? La plus formidable régulation anti-individualiste jamais enregistrée a mis un terme à ce rêve de la "différence" individualisée. Où vivons-nous sinon dans une société "globale" consensuelle en diable, où tout le monde adore les mêmes choses au même moment, déteste les mêmes choses dans l’instant, se coule à peu de choses près dans les mêmes moules anesthésiants, le tout avec une conscience de soi exacerbée, cela va de soi. Tout un chacun s’estime forcément incomparable, n’est-ce pas, lors même que nous tous en ce monde communions à peu de choses près aux mêmes autels. Le syndrome le plus intéressant, à cet égard, c’est celui du FEM, le Fantasme d’Existence Maximalisée, devenu envahissant. Voyez les blogs, MySpace ou Facebook évoqués plus avant… Dans ces lieux d’extimité souffrante, qu’afficher d’autre sinon notre aliénation à la tyrannie de l’existence destinale, sinon notre imaginaire de la nécessité d’être soi, sinon notre aspiration aliénée au projet d’avoir une vie qui soit autre chose que la vie quelconque de la masse dont nous participons ? Moi, mes goûts et mes couleurs, mes amis (nombreux, forcément), ma vie extraordinaire… Complète miniaturisation du sujet social, plus personne ou presque n’existe à l’exception de mes semblables un terme "semblables", dans ce cas parfaitement bien choisi. La "disparition" dont vous parlez, à cet égard, est devenue monumentale : celle du sujet roi, indépendant, affirmant un être et non pas une obéissance…
HP : Vous évoquez ce terme à propos de la notion de durée, une durée qui ferait entrer l'art contextuel dans un registre de temps dépassant le contexte. Vous écrivez que « Pérennisé, [l’art contextuel] ne serait plus passage de l'art dans le temps mais monumentalisation, pérennisation de la présence, une contradiction dans les termes, on en conviendra ». Je restais donc sur cette contradiction terme à terme en évoquant une monumentalisation de la disparition qui, à mes yeux, évoque précisément l'art contextuel un art quantique, soluble…
PA : Laissons de côté la question de l’identité sociale contemporaine et recentrons-nous sur la création artistique proprement dite. L’art dit "contextuel" dans sa forme pure et dure, voyant l’artiste opérer en contexte réel, hic et nunc, de manière non programmatique, est une création que l’on va dire d’apparition-disparition. Un instantané créatif. L’artiste paraît, il crée çà ou là puis passe à autre chose sans que rien ne reste de l’œuvre. Celle-ci est l’équivalent d’une "œuvre-passage", elle se volatilise dans le temps. Stanley Brouwn, dans les années 1960, demande à des passants de telle ou telle ville de lui prescrire des itinéraires en griffonnant ceux-ci sur un papier. Après quoi Brouwn s’applique à emprunter ces itinéraires, point. Fin de l’œuvre. Rien à voir, rien à collectionner, rien à vénérer. L’anti-Koons. L’anti-objet. L’anti-œuvre d’art à vocation décorative pour dessus de cheminée avec laquelle on épate ses amis en faisant valoir sa distinction. François Pinault peut toujours sortir sa carte bancaire, il n’y a rien à acheter, rien à conserver, rien sur quoi spéculer. Apparition-disparition. Rien, de fait, n’est ici "monumentalisé" sauf peut-être l’essentiel, vous l’avez compris : la vie même, l’expérience instantanée, la projection de soi, artiste, dans le déroulé du temps. Un temps que densifie l’œuvre d’art, qui y insère un événement ponctuel, mais que l’artiste appréhende sans velléité de l’arrêter, de le fixer, de le faire durer, en signifiant ce qui serait l’équivalent d’un triomphe symbolique de l’art sur la mort, cet événement par lequel le temps fait la preuve qu’il nous soumet.
HP : Nous pouvons opérer à rebrousse-poil. Tout ce que je vous ai volé pourrait trouver sa définition dans vos mots. Par exemple, dans le thème de l'expérience instantanée. Ou encore l'idée d'une anti-œuvre d'art. Ou encore dans le principe d'apparition-disparition. Ou bien, enfin, dans cette idée de monumentalisation du rien, si ce n'est de l'instant et de l'acte dans l'instant. Cette traduction vous semble-t-elle juste ?
PA : Je ne connais de Tout ce que je vous ai volé que sa version d’exposition, celle du MAC de Marseille. Vous, artiste, vous exposez tout ce que vous avez volé. Vous exposez une pratique, le vol, pratique de fait séditieuse, un geste, le fait de subtiliser à autrui son bien, ainsi qu’une idéologie, l’appropriation radicale. Un art du "sample", de l’échantillonnage, donc, à ceci près : vous ne réutilisez pas ce que vous avez volé pour en faire la matière d’une œuvre d’art personnelle par exemple, voler au Louvre la Joconde de Léonard et peindre sur son visage celui de Gaston Deferre. Plus sobrement, vous le déposez là, dans l’espace d’exposition du musée. Si nous entendons valoriser la création dans ce qu’elle a d’instantané, c’est le geste seul de voler qui compte, un geste, dans votre cas, paré d’une aura artistique. Vous connaissez cette vidéo de Pierre Huyghe intitulée Dévoler (un néologisme qui nomme bien ce qu’il désigne, comme on va le voir) : on y voit l’artiste entrer dans un magasin, se diriger vers un présentoir, y déposer quelque chose et sortir. Tout ce que je vous ai donné, en quelque sorte, mais le geste seulement, l’action. L’Américaine Zoe Sheddan-Saldana, dans un ordre d’idée proche, est connue pour sa pratique du shopdropping. Elle achète un pantalon au supermarché, rentre chez elle, en re-fabrique un ressemblant le plus possible au pantalon qu’elle vient d’acquérir, retourne au magasin, dépose sur le rayonnage la copie qu’elle a réalisée, exactement là où elle a trouvé le modèle original. "Tout ce que je sais imiter". "Voler", "dévoler", "shopdropper" : tout cela se traduit en réalisations concrètes, tout cela passe par des objets, mais aussi par un geste. Quelque chose qui se détermine par le principe d’apparition-disparition évoqué à l’instant, oui. Une monumentalisation du rien, en revanche, non. Le rien n’existe pas, de toute façon.
HP : Dans ce cas, il s'agira plus de cutting que de sampling… Ma pratique de l'appropriation est plus radicale, comme un readymade au moyen duquel seraient convoquées différentes instances sur un mode d'appropriation pas trouvé, pas acheté, pas troqué, volé. Tout ce que je vous ai volé étant la phase d'appropriation de la trilogie « appropriation, métamorphose, redistribution ». Désolé pour la Joconde et pour Gaston Deferre mais la phase métamorphose aura pris un peu plus de temps. Le temps que la première "prise" passe dans le domaine public, que cette collection soit suspendue par action de justice, saisie à nouveau, non restituée, récidivée. Nous y sommes donc. Il ne sera pas question d'imitation mais de transformation. Détourné de son parcours de distribution, l'objet volé trouve un autre chemin, une autre vie, la vie du produit, un autre aspect, il nourrit des fictions, une "activation" comme vous le dites, sans farce ni conservateur. Ici, est-ce le vol le meilleur plaidoyer de l'idée d’œuvre ?
PA : Non, je ne crois pas. Le concept "d’œuvre d’art", de longue date, a été requalifié dans de multiples directions jusqu’à se signaler, vous le savez, par une élasticité conceptuelle sans pareille, qui dérange évidemment beaucoup ceux qui sont indécrottablement attachés à l’idée qu’une œuvre d’art, c’est forcément un "objet", quelque chose de matériel (ceux-là sont les mêmes, en général, qui y trouvent un intérêt matériel, en toute logique : un objet, cela s’expose et cela se vend, on peut en tirer un profit qui n’est pas que symbolique). Tel artiste, en Suisse, décide de rallonger de trois cents mètres la distance d’un marathon : œuvre d’art. Tel autre marche dans la neige, au creux d’une forêt ou sur un haut plateau désert au milieu de nulle part : œuvre d’art. Tel autre met au point un canon à pluie qu’avait conçu, sans le réaliser, Wilhelm Reich, et l’expérimente en divers lieux : œuvre d’art. Tel autre se marie en utilisant Internet pour passer contrat avec sa future épouse : œuvre d’art. Tel autre, last but not least, dessine sur une feuille de papier : œuvre d’art. L’élasticité de la notion d’œuvre, depuis Dada (bientôt un siècle, tout de même…), s’est vue poussée à son maximum, jusqu’à ce point passionnant : l’indécidabilité. Puisque tout peut être "art" par décret de l’artiste, impossible en conséquence de définir avec précision ce qu’est "l’œuvre d’art". La gloire des artistes, depuis le Futurisme, Dada et Duchamp, c’est d’avoir toujours mis en crise les conceptions et, partant, les représentations que l’on pouvait se faire de leur travail. Et ce, en mettant l’appui sur la donne symbolique, la seule qui compte en fait : l’œuvre d’art comme "signe". Tout en signifiant aux spectateurs-consommateurs que nous sommes, pour l’occasion, que la paix et la satisfaction repue ne passeraient pas par eux, en tout cas pas automatiquement.
La culture, comme je le dis souvent, s’évalue par son "IDS", son "Indicateur de Développement Symbolique" : un IDS qui est nul dans les sociétés bloquées, où rien ne bouge et ne se développe, mais fort en revanche dans les sociétés en mouvement. L’option (courageuse) de l’Occident moderne a été de promouvoir une culture de la divergence symbolique continue, de valoriser le glissement, la mutation perpétuels de la valeur ou du contenu symboliques de ses créations. Avec ces risques potentiels, assumés : l’impasse, le délire, l’absurdité, l’incompréhensible, l’inflation du répertoire idiosyncrasique… La culture occidentale n’est pas haïe pour autre chose : elle est celle de l’audace, de la torture des valeurs, de la nécessité rendue permanente de réapprendre à percevoir. Bien sûr, l’Occident a aussi ses grosses machines symboliques molles, déjà mortes pour la quête de sens le cinéma, le théâtre, par exemple, qui sont entrés depuis des lustres dans l’ère de la répétition infinie et de la resucée autosatisfaite et pseudo-innovante. Mais il a aussi ses guerriers du signe, ses phalanges de créateurs irréconciliés avec tout ce qui peut exister de normatif et d’abord, sans nul doute, avec eux-mêmes. Sur ce point du moins, West is the Best.
Vous l’aurez compris : Tout ce que je vous ai volé, pour moi, appartient en termes symboliques à la seconde catégorie, celle de l’irréconciliation avec la valeur établie, qui n’est pas ici de pure forme. L’Occident, pour l’essentiel, me révulse en tant qu’il est ce fragment arrogant du monde qui empêche à bien des égards le reste de la planète de respirer et de se vivre "noccident". Mais il me fascine aussi, pour cette raison : la situation risquée, en termes symboliques, où il se met, jusqu’au risque assumé de l’autodestruction culturelle. Dans cette partie, le rôle des artistes est essentiel : ils sont les derniers expérimentateurs de la possibilité de jouir du présent sans jouir, ce faisant, de la seule répétition anémiée du présent. Pas des héros, non. Pas une avant-garde non plus. Des conspirateurs vaille que vaille, ridicules souvent, sans opérationnalité le plus clair du temps, mais parfois tellement activistes, au sens fort de ce terme des révolutionnaires du signe. Être vu ou crever dans l’indifférence totale vous choisiriez quoi, vous, en tant qu’artiste ?
HP : Moi ? Sans hésiter, j'ai choisi de crever dans l'indifférence totale. Ça laisse beaucoup de temps pour s'occuper de sa vie et de celle des autres. Ça laisse énormément de place aussi, de fantastiques contrées inexplorées.
Quand le Pasteur Mailloux, soutenu par le CIQ (Comité d’Intérêt de Quartier) du quartier Bonneveine (quartier du MAC, le musée d’art contemporain de Marseille, celui là même qui a fait retirer les sculptures de Daniel Buren et de Di Suvero jugées inesthétiques pour le quartier) écrit par voie de presse, et ce, dix jours avant l'intervention de la police (Commissaire Navarro pour rester dans le grand spectacle) :
« Un encouragement implicite au vol.
« Ma contestation porte sur trois points. Je réagis d'abord en tant que contribuable. J'estime que l'argent public n'a pas à être gaspillé de cette manière. D'autre part, je ne pense pas que poser une chaussure sur une table soit de l'art. Il n'y a aucun intérêt esthétique là-dedans.
En tant que pasteur, je considère que cet artiste encourage implicitement les gamins à voler. Pourquoi un adolescent n'arriverait-il pas à la conclusion de faucher puis d'exposer son larcin ?
Il est dit dans Les Dix Commandements : « Tu ne voleras pas ». J'essaie pourtant d'avoir l'esprit ouvert, mais encourager ce genre de choses me choque. D'ailleurs, même dans les sociétés les plus païennes, le vol est un délit. Si Hervé Paraponaris avait prévenu qu'il s'agissait d'un canular, l'on pourrait éventuellement comprendre. Mais je crains que sa démarche ne soit sérieuse. »
Vous en dites quoi ?
PA : Que du bien. Cette réaction est normale et inévitable. Une réaction outragée de manière légitime que je préfère à celle des bien-pensants consensuellement outragés type Jack Lang, qui brandissent les mots "censure", "rejet de l’art contemporain", "intolérance" dès que n’importe quelle œuvre du répertoire actuel est attaquée par qui que ce soit, de l’extrême-droite (Le Pen et le Front National vilipendant les collections des FRAC, il y a quelques années) à l’extrême-gauche (Besancenot, avec son culte du Che, une figure très peu recommandable en dépit de sa légende dorée Besancenot qui doit goûter assez peu, j’imagine, la liberté de l’art et, pour l’essentiel, son refus de tous les encartages, surtout au profit des vieilles bannières miteuses du trotskisme). Le pasteur Mailloux exprime à sa façon ce qu’il croit être son droit de contribuable, de responsable social et de moraliste. Il réagit comme n’importe quelle personne de bon sens attachée aux lois qui régissent notre société ne peut que réagir à Tout ce que je vous ai volé. Le pire, à mon sens, ç’aurait été l’absence de réaction, le je-m’en-foutisme. Bien sûr, on pourrait demander aussi au pasteur Mailloux ce qu’il pense du rapt spirituel que la religion chrétienne opère sur les croyants avec les méthodes de contrainte psychique et morale qui lui sont propres, et que vous connaissez, loin d’être négligeables chez les protestants. Un autre type de « vol » qui ne semble pas l’interpeller, hélas !
HP: Oui, Tout ce que je vous ai volé est indéfendable, mon désir n'est d’ailleurs pas de trouver une quelconque adhésion ou un quelconque soutien de votre part, encore moins de me vêtir des habits de Robin des Bois ou du Che.
Entre morale du contribuable et mainmise institutionnelle, vous semblez laisser peu de place aux déplacements. Pour rester dans vos propos, je repense à Latour qui écrit, dans Une sociologie sans objet ? Remarques sur l'inter-objectivité : « On dit parfois, pour se moquer, que les acteurs des sociologues sont comme des marionnettes, entre les mains des "forces sociales". L'exemple est excellent et prouve l'exact contraire de ce qu'on lui fait dire. Il suffit de parler avec un marionnettiste pour savoir qu'il est surpris à chaque instant par sa marionnette. »
PA : Bruno Latour, ici, pointe cette donnée cardinale à l’origine de toutes les critiques (légitimes) contre la sociologie : l’improbabilité de l’adéquation individu-groupe. Comment fondre l’individu en perfection dans la posture du groupe ? Comment garantir que l’on peut abouter l’un et l’autre ? Vous savez comme moi que c’est impossible et comme moi, sans doute, tenez-vous la sociologie (quels qu’en soient les courants) pour un indicateur, tout au plus : cette discipline qui dessine le contour approximatif de ce que nous sommes et de la figure que prend à tel moment donné l’être-ensemble dans lequel nous nous mouvons. Pour le reste, vous en conviendrez sans doute, personne ne se reconnaît dans le portrait que dresse de lui le sociologue. Il y a certes un habitus, pour parler comme Bourdieu, il existe certes des comportements de convergence, des conditionnements multiples et incontestablement efficients dans toute société, y compris dans celle des "républiques du moi" que produit, plus qu’aucune autre civilisation, l’Occident postmoderne, milieu par excellence, dirait Hakim Bey, de « l’automonarchie ». Ceci posé, il y a moi, aussi, et c’est bien ça le problème, ce "moi" non pas définitivement insoluble dans la posture de groupe mais à un moment ou à un autre saisi par le désir ou le vertige de la divergence, de la dissemblance, de la non-conciliation. Moi et l’intersubjectivité, moi et les autres et moi avec moi ou contre moi, selon l’humeur bref, moi investi dans une représentation autoconstruite, corpopoétique, de moi-même. Il convient à bien des égards, sur ce point, de relire et de méditer L’Unique et sa propriété, de Stirner. Et d’admettre qu’il est vain d’attendre de qui que ce soit une authentique solidarité, surtout d’une institution, dont les considérations ne sont en rien intersubjectives ou ne le sont que ponctuellement, et toujours tactiquement (l’institution, avant tout, travaille à sa propre perpétuation au nom de codes qui sont les siens, et travailler avec elle, artiste, c’est de toute façon être instrumentalisé). Ce que je veux dire par là ? L’artiste est toujours seul. C’est de ça, d’abord, qu’il conviendrait de se rappeler. Comme chacun d’entre nous mais un peu plus, à mon sens : il lui faut contempler encore, occupé à vivre qu’il est, l’œuvre d’art qu’il met entre lui-même et le monde, et qui est sa raison d’exister. La création d’un monde permet seule à l’artiste d’exister, le monde ne lui suffit pas. Celui qui ne crée pas, lui, peut regarder le monde et s’y investir sans l’intermédiaire que représente le passage par l’œuvre d’art ou la station dans celle-ci. Il est plus facile pour lui d’investir la réalité, de s’en solidariser. Pour l’artiste, c’est différent. La solitude de l’artiste est l’œuvre, si l’on résume : l’artiste existe par rapport à celle-ci avant d’exister par rapport au réel.
Je ne vous surprendrai pas, du coup, en vous signifiant que pour moi, Tout ce que je vous ai volé est d’abord et avant tout votre autoportrait (Lucian Freud, « Toute œuvre d’art est un portrait »). Une représentation de vous-même. Un aspect de votre corpopoétique. Vous avez songé à interroger un psychanalyste, à son propos ? Le désir et le fait de subtiliser que vous y reconnaissez publiquement, comme on fait un coming out ; l’offre sous forme de don esthétique de ce qui a été dérobé ; le flux entre prédation et restitution ; la dissimulation et l’aveu… Si j’étais vous, je m’imposerais quelques séances de divan, ne serait-ce que pour vérifier que je suis bien un artiste "politique", ce qui n’est d’ailleurs pas si sûr, tout bien pesé…
HP : Je vous remercie pour ce précieux conseil. J'y ai goûté avec quelque plaisir. J'ai beaucoup parlé, lors de ces séances, de la mort de mon père "fauché" par un accident de travail alors que j'avais huit ans. Il était métallo dans une société de construction-réparation navale (la SPAT). Il est mort gravement brûlé du fait d'un ordre contradictoire du capitaine du navire. Il dirigeait huit ouvriers. Tous ont échappé à l'explosion du navire, sauvés un à un par mon père. Le capitaine lui aurait demandé d'ouvrir des trappes de désenfumage alors qu'elles s'avéraient être des conduits de vapeur. Il a succombé après trois semaines d'agonie, reçu la médaille du travail à titre posthume et laissé ainsi sur le carreau sa femme et ses trois garçons.
PA : Un Working Class Hero, de ceux qu’humilie sans fin le capital, qui ne s’intéresse comme chacun sait qu’aux exécutants et à l’efficience maximale, sans égard pour la "personne", la persona, cette figure d’humanité irréductible malgré tout. Votre père est mort pour la réalité mais pas en vous, il est, en votre for intérieur, irréductible, justement : il demeure une persona par son exemple, son courage, son dévouement, son humanité. Je ne crois pas, pour ma part, que l’art parle d’autre chose : une mise en forme, par cette persona qu’incarne l’artiste, des personae avec lesquelles il endure de vivre pour le pire ou le meilleur… La forme de l’œuvre renvoie à l’intime, serait-elle gigantesque et offerte comme extériorité absolue. Ce qui m’intéresserait, dans cette lumière : vous demander ce que vous cherchez vous Hervé Paraponaris artiste. Plus précisément : comment vous placez votre corps, dans le mécanisme de l’œuvre : corps combattant, absent, en quête de revanche, offert à l’altérité… ?
HP : Un corps en pâture, offert au monde. Sans revanche, sans prétention non plus. Un corps libre dans la bouche des autres, un corps digne d'expérience, mangé, digéré, évacué.
PA : C’est trop peu dire. Je précise : la contradiction entre les termes que vous employez pour vous qualifier ne me dérange pas décrété libre mais mangé, digne d’expérience mais évacué pourtant. Non, tout ça me paraît normal, la représentation que l’on forme de soi-même peut être chaotique, elle n’est que rarement stable de surcroît. La conscience de soi autant dire l’exercice de la mutation de soi. Vous avez ressenti ça, n’est-ce pas ? Plus, SVP. Dans votre rapport à l’art, si possible, et si tant est que votre art ne soit pas vous-même, exactement.
HP : Désolé de vous insatisfaire par une réponse hâtive. Je pense le "je" définitivement insuffisant et mon rapport à l'art est peut-être l'opportunité d'un rapport aux autres. Dire un corps libre dans la bouche des autres c'est ce que nous faisons là, non ? Digne d'expérience sans craindre d'être mangé, digéré et "chié" (si vous ne voulez pas du terme "évacué"), c'est ne pas craindre cette relation au monde, prendre place tout en laissant de la place. Ouvrir des espaces et les laisser libres. Y pratiquer une mutation, une métamorphose si ce monde ne suffit pas. Me charger des signifiants plutôt que des apparences, me laisser déborder. Faire preuve d'un savoir démuni avec pour ambition d'embrasser le monde et le sentiment, passer outre les constats, les tautologies, regarder du côté du matin. Penser que ce que l'on construit fragilise notre propre corps jusqu'à la plus extrême réceptivité. L'art comme instigateur des dégâts devant lesquels il s'affaire.
PA : La question de l’artiste et, au point où nous en sommes de notre discussion, la question connexe, dans la foulée, des conditionnements de l’artiste en termes de représentation de soi. Le régime de l’identification, la tentation de l’autofiction, ces choses-là tout le monde en passe par là, et les artistes comme quiconque, plus que quiconque peut-être. Rien de négligeable : on est aussi (on est surtout ?) ce que l’on configure de soi fantasmatiquement.
Je songe à votre projet Stolen Island, présenté sous forme de poster. Sur celui-ci, la figuration d’une veste, l’indications de distances… Comme un objet au milieu d’un territoire voué à contenir tout ce que vous pouvez voler. Votre patrie, en quelque sorte. Quel est l’origine de ce projet, exactement ? Quelle place y occupez-vous ? Comment vous représentez-vous, en tant qu’ordonnateur de ce curieux territoire, un territoire n’existant en somme que pour être razzié ?
HP : Stolen Island présente une veste conçue pour le vol. Une veste de la marque Stone Island, elle-même volée et customisée avec de larges poches intérieures. Son aspect doudoune et les plumes d'oie qui la composent rendent invisibles les objets qu'elle dissimule. Ces objets et les diagrammes présentés au côté de la veste, sur le poster que vous citez, rendent compte de la distance entre les lieux du vol et mon domicile. Cette veste serait donc cette île ou inversement car elle est réversible (Guy l'Éclair, L'Île à double face). Cette île, cette patrie comme vous dites, serait donc celle que je revêts, celle que je porte, celle que je déplace. La place que j'y occupe : Robinson ? Vendredi ? Vendredi pour sûr. Elle est mienne. Le vol serait ici une extrapolation. Laquelle ? Celle du design, tiens : un design minimal, une opération d'apparition-disparition infligée à des objets qui auraient troqué leur fonction, leur forme pour reformuler une attitude ? Tenir son corps quand on ne tient plus à son âme ? En vain.
PA : En creux, l’idéal d’un art portatif. Que l’on peut porter avec soi, mouvoir avec soi. Tout se referme, se replie, se structure selon le modèle de la boucle : je porte une veste qui me permet de subtiliser divers objets qui deviennent le matériau même de ma création. Ces objets, je les garde dans ma veste, qui est comme une seconde peau, une armure peut-être, un manteau de lumière paradoxal rien de visible depuis le dehors mais, en dedans, la caverne d’Ali Baba. Un vêtement qui est à la fois un objet tactique (il permet aisément de voler) et une casemate (il dissimule et vous protège). Bien des artistes ont utilisé le vêtement comme œuvre d’art, mais, s’agissant d’eux, dans une perspective différente. Robert Filliou avait installé sa Galerie légitime dans son chapeau et se promenait avec le vêtement comme structure d’exposition ambulante. Robert Gligorov, des semaines durant, reste vêtu d’une veste de viande qui pourrit sur lui (Jacket Waiting). Marie-Ange Guilleminot, la nuit venue, déambule dans les rues de Bilbao pendant des heures, drapée dans une longue robe… Le vêtement comme vêtement : cet objet qui vous habille ou qui vous permet classiquement de déplacer quelque chose en même temps que votre corps, de même qu’on transporte ses clés d’appartement dans une poche de son pantalon. Pour vous, un vêtement "interface", plutôt....
HP : Une veste d'invisibilité. Un passe-partout. Une surface de séparation entre deux phases de la matière, comme dit le dictionnaire. Une galerie illégitime alors, des objets qui ne m'appartiennent pas, qui ont été dérobés, retirés de la vue, sortis du marché. Des objets de peu certes, mais des objets qui demandent des protocoles "sérieux", difficiles, dans l'instant. Un gilet pare-feu, équipé de la somme de ces actes. Les clés dans la poche de nos pantalons nous protègent, nous confortent, nous savons où nous réfugier, où nous retrouver. J'ai longtemps vécu sans domicile, plus précisément dans mon véhicule que je déplaçais au gré des envies et de la météo. J'avais, pour seule clef, la clef de contact. Un drôle d'emploi du temps aussi. Sortir de la ville le soir tombé, trouver où me garer, sortir pisser, marcher un peu, s'assurer que tout était calme, profiter de la lune. Ce n'étaient pas les vacances et au matin, je me retrouvais dans la longue file de voitures conduites par des gens effrayés d'arriver en retard au boulot. Trois ans passèrent avant que je trouve un atelier, qui n'était autre qu'un garage. Je dormais toujours dans mon carrosse, le carrosse dans le garage. D'ailleurs, les clefs sont les seuls objets de la collection à avoir été dérobés, copiés puis restitués à son propriétaire, en l'occurrence les clefs dérobées au gardien de la tour du Roi René à Marseille. Précision peut-être inutile, je suis né rue René d'Anjou, même roi, autre lieu.
PA : Je suis né et j’ai grandi pour ma part dans l’ancrage. Dans le lieu. La terre, le monde paysan, la ferme. J’ai été paysan moi-même, tout en menant mes études, le temps du lycée, le temps de l’université, tout en étant aussi pion pour gagner ma vie. Compliqué, là encore la survie, pas la même survie que la vôtre mais la survie tout de même. Comment s’assurer le minimum vital en ne dépendant de personne. Ce que je veux dire, à la lumière de votre propos biographique et en enchaînant : c’est là un milieu où il est terriblement difficile de se déraciner. Le monde agricole, dans l’Aunis où j’ai grandi, près de La Rochelle (une autre côte : vous la Méditerranée, moi l’Atlantique, ce qui n’a rien à voir en effet, comme le dit Godard à propos de son film Prénom Carmen, dans lequel il transplante l’action de la nouvelle de Mérimée, au départ méditerranéenne, sur la côte Atlantique), c’est de la glue. Vous vous levez le matin dans la terre, toute la journée vous la passez à travailler la terre et le soir, quand vous rentrez, vous avez beau vous laver, vous conservez sur vous l’odeur de la terre, pire qu’un parfum de femme sur votre peau d’amant parce que la terre est entrée en vous sous la forme de poussière, elle ne vous a pas seulement marqué l’épiderme mais elle a pris place au cœur de vos poumons, dans votre trachée, dans vos boyaux. Vous ingérez la terre, vous la digérez et vous la chiez. Obsédant. Une sorte de prison à ciel ouvert, la tyrannie de l’openfield. On se suicide beaucoup, en Aunis. Pas pour les raisons souvent invoquées, la solitude paysanne, l’ennui, le vide des paysages. Non, on se tue parce que l’on veut dire à la terre que cette fois, c’est fini, qu’on va définitivement se libérer de son entrave et que plus jamais le corps n’aura le goût de la terre. Un conseil, si ce n’est fait : mangez de la terre. Vous me comprendrez. Pour échapper à la terre, pour me désancrer, je me suis vite imposé le nomadisme. Très tôt j’ai commencé à voyager et ça n’a pas cessé. De manière ouvertement maladive. Plusieurs changements de continents par an, jusqu’à une douzaine. Mes premiers passeports (on les tamponne moins, à présent) étaient pleins à ras bord, on ne pouvait plus rien y inscrire. Trouver un territoire, dans ce cas, c’est fuir son territoire. Faire de la dérive permanente votre point d’ancrage paradoxal vous votre voiture puis votre garage, moi des dizaines de points disséminés sur le globe terrestre.
Je voudrais parler, puisque vous m’y invitez, du rapport entre l’art et le domicile. Poser cette question, aussi : l’art est-il un territoire où l’on peut vivre ? Plus largement : peut-on vivre dans l’espace du symbolique, y vivre, j’insiste sur ce terme, physiquement y impliquer sa propre vie matérielle jusqu’au point où celle-ci se confonde bientôt réellement à l’art et inversement, comme l’avaient souhaité bien des artistes de la modernité, à commencer par les dadaïstes. Tenez, Filliou encore, cette "création" : Düsseldorf est un meilleur endroit pour dormir. S’allonger sur un trottoir de la cité rhénane, au soleil, et se lancer dans une sieste qui fait envie. Dormir là, juste là, n’importe où, à l’aplomb du ciel, dès que l’envie vous saisit. Filliou, dans le titre de cette œuvre, parle d’un endroit « meilleur » pour dormir. Mais « meilleur » que quoi ? On n’en a pas la moindre idée. Je présume que Filliou s’en fiche, dans ce cas, il ne distribue pas des étoiles, comme on le ferait pour un hôtel, en fonction de son confort, son accessibilité, ses services, son décor. C’est plus simple : il élit un territoire momentané de vie et en fait dans le même mouvement un territoire de l’art. Robert Filliou m’intéresse pour cette raison pas pour son pacifisme, son idéalisme, son bouddhisme, non. Plutôt, parce qu’il génère des territoires de la vie concrète qui sont en même temps des territoires de l’art. Le magasin-atelier La Cédille qui sourit, à Villefranche-sur-Mer, les différents micro-territoires (une salle d’exposition à Amsterdam, une valise…) qui constituent sa République géniale…
HP : Je vous rejoins dans ce territoire, cet espace du symbolique dans lequel, oui, il est possible de vivre physiquement. J'ai souvent pensé l'art comme une ambassade, une ambassade d'un état, nation, territoire avec toute la contradiction du propos. À la fois lieu protégé, hors champ, ou plutôt hors sol et lieu terriblement difficile à intégrer, assaillir. Mieux qu'une église. Une ambassade sans ambassadeur, une représentation permanente d'un non état ou plutôt de l'état du monde dans un état étranger, justement ce monde. Oui, générer des territoires et générer leur politique et leur République géniale. Oui sans hésitation.
Vous parlez de minimum vital. De ne pas dépendre sans se pendre. Votre terre, c'est mon sel. Cette odeur ou plutôt, ce goût sur la peau, les cheveux, que dis-je cette tignasse, ce qu'il nous reste de rébellion. J'ai pu en goûter, en manger des terres pour me rendre compte de ce que vous annoncez là. J'ai pu boire la tasse aussi. J'ai été pêcheur comme vous, paysan, et je l'ai dévoré à pleines dents, ce temps béni sur une coque de noix en quête du poisson soluble. Mon exotisme à moi, c'est vous, c'est chez vous. J'en crève de ce soleil que l'on nous ressasse dès que les choses vont mal. Ici on se suicide sous le soleil car nous avons perdu le sens des choses. Nous marchons sur la tête. On se tue pour dire au soleil de nous lâcher un peu, d'arrêter de nous faire croire que tout est beau alors qu'il n'y a plus rien, que tout est sec, buriné, cramé, vendu.
PA : La question est : le territoire de l’art est-il un espace du salut ? Peut-on, en s’y cantonnant, échapper à la liquéfaction ou à la lobotomisation socio-culturelle dans laquelle les sociétés globales se sont engagées ? Y a-t-il pour nous un destin autre que celui du consommateur, y compris du consommateur culturel, aux dilections alignées sur les recommandations de Télérama en matière de lecture de romans, de visionnage de films ou de visite d’expositions, en tête, à cette dernière entrée, la prose pontifiante et abrutie d’Olivier Céna (tout serait pourri dans le monde de l’art, il n’y aurait d’artistiquement vrai que les pommiers peints par Michel Potage, les trognes expressionnistes de Georg Baselitz ou les figures torturées de Paul Rebeyrolle, etc. : la scie insupportable des aigris qui savent où est la vérité de l’art et qui vont vous la dire, pitoyables imitateurs tardifs du Cézanne qui assurait « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai » quoiqu’ils réduisent à trois fois rien, par rapport à son étendue réelle, le territoire artistique) ?
Une réponse sur ce point ? Je reste réservé, faute d’avoir une opinion suffisamment informée, et sans doute par manque d’arrogance, aussi. Comme vous peut-être, les experts m’exaspèrent, j’espère au moins qu’ils jouissent de leur défaite quand la réalité fait tourner en eau de boudin leurs expertises, ce qui ne manque jamais d’arriver, comme vous le savez (le déclenchement de la récente crise financière, par exemple : rappelez-vous comment les Guy Sorman ou autres Alain Minc ont pu exalter il y a encore peu les vertus prétendument pérennes du capitalisme financier et comparez avec l’actuelle situation économique des crétins en termes d’expertise, assurément). Ce que je note, cependant : jamais l’art, au 20ème siècle, n’a créé autant de zones de repli ou de retrait, des zones de repli où pouvoir fuir l’autorité étouffante de la convention ou de l’oppression symbolique. Tout avait commencé un peu avant, avec le romantisme. La thèse de l’artiste démiurge développée par Schelling, la mythification d’Hölderlin, poète, selon ses propres termes, du « temps de manque » qui ne pouvait vivre parmi les hommes, le désespoir social de Büchner le héros fou qu’incarne Woyzeck, l’homme trompé par l’histoire que représente Danton... Ovide en exil chez les Scythes que peint Eugène Delacroix ou, du même Delacroix, en l’église Saint-Sulpice, La Lutte de Jacob avec l’ange… Le suicide de Nerval. Le dandysme. Comme à dire : la lutte ne vaut plus la peine, les forces de la régulation et de la normalisation (qu’elles s’appellent consommation, pouvoirs totalitaires ou mass média) ont pris le dessus, le combat est devenu vain. Alors la fuite, la construction de "TAZ", de « Zones Autonomes Temporaires », en guise de réponse artistique, et par substitution. Faute que nous puissions tous nous émanciper par l’exercice de la subversion politique, de la révolution radicale et de la revendication infinie, du moins restera-t-il à quelques-uns la possibilité, une fois installés dans leur bulle artistique, de ne pas se soumettre en tout aux forces de contrainte. Le mécanisme est enclenché, c’est celui de la schize, de la séparation entre art et société. Régime de la séparation assumée dont les artistes s’emparent comme d’un argument pour ne plus forcément marcher "avec". Jusqu’à affirmer l’irréconciliation des avant-gardes, pour lesquelles la poétique tient lieu de politique servant à renverser les trônes, poétique visionnaire souvent quoique peu "impactante" sur son époque, pour solde de tout compte soit dissoute dans les impasses (le Cubisme, le Futurisme), soit bientôt récupérée, devenue alors une contestation purement formelle, salonarde (l’art conceptuel).
Je devrais dire un mot, à propos de la création de ces multiples TAZ poétiques, qu’elles consistent à créer des territoires poétiques de nature géographique (Le Territoire du mètre artistique de Fred Forest, dans les années 1970), des territoires symboliques mais structurés comme s’il s’agissait de vrais territoires politiques (Myniarch en Tchécoslovaquie, le Free State of Carolina de Gregory Green…) ou qu’elles consistent plus simplement, pour l’artiste, à mettre les voiles et je songe là, en particulier, à ce courant de la création plastique qu’on a appelé "l’art expéditionnaire", voyant l’artiste opérer en se déplaçant géographiquement, en fuyant les épicentres présumés de la création artistique glorieuse. Pendant que Damien Hirst ou Jeff Koons, à grands renforts d’effets de manche médiatiques, n’en finissent pas d’épater les gogos (à commencer par les journalistes toujours en quête de quelque chose à développer, "scoopique" si possible, la plupart désinformés), Philippe Parreno est dans l’Antarctique, Poincheval et Tixador dans un tunnel qu’ils creusent sous terre et Laurent Mulot sur le point géographique central de la Chine, un coin perdu du Yunnan… Une histoire que j’ai déjà écrite par ailleurs, çà et là, pour le moins fournie, dont l’évocation dépasse les limites qui sont celles de cet entretien... Ce qu’on y trouve signale du moins ceci, 1°, la possibilité pour l’art de se constituer comme territoire en soi, 2°, la possibilité pour l’artiste de vivre une expérience sans devoir subir l’évaluation du monde de l’art officialisé. À tort ou à raison, il me semble que la création la plus intéressante se situe à cette dernière entrée. Certes pas la plus intéressante pour les spectateurs, dont la plupart, servilement, n’attendent que d’être flattés, servis par l’artiste comme par un laquais au service de leur plaisir esthétique. Mais pour les artistes, assurément : ici, c’est l’expérience même de la vie qui prévaut, pas la répétition des codes.
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Potluck
An interview
Hervé Paraponaris: Could you tell me what is meant exactly by the expression “political art”?
Paul Ardenne: I don't know exactly. Any type of art is political. Drawing cows in a field, for example, there is nothing more political: the expression of a program isolation, withdrawal, implicit non socialization, the attention given to the non-human, the emphasis on both a natural space and a system of animal exploitation by humans, the biologist, ecological, and environmental impulses, etc... After all, nothing can be more political. To wish that there is a political art and one that would not be, is also a political disposition.
HP: At the same time, Dominique Baqué talks about a « new political art » that she presents as a kind of its own, as there could exist a type of social art...
PA: Yes. In this case, this is about an art of direct intervention, where the artist works at a social level, with people and not withdrawn in his studio. An art “in real context”, sometimes qualified as such to be more clear: the artist is active on the street, in the suburbs, he favors the direct relationship with the public, without the intermediary of the symbolic barrier represented by art galleries or exhibition structures. However, I don't see in this case, what could separate this type of art, the so-called “political art” from the so-called “social art”. Everything that is social is political and vice-versa.
HP: In Micropolitiques (“micro-politics”, term launched by Deleuze and Guattari), you talk about a “micro-political” type of conception, which would turn its back to abstractions and favor the beings. Do you think that abstractions and beings could be associated? In other words, do you think that the improvement of (social) life is not also achieved through abstraction?
PA: Abstractions and beings are anyhow associated. For me, there is no possible discussion about this. As far as “micro-politic” is concerned... The whole question is rather about the large or small social scale. About maximization or miniaturization. This question concerns everyone, and the artist as anyone else, whoever he is. The artist, being like anyone else, cannot avoid this constant balancing between the fact of being nobody, an almost social res nullius or somebody but in a small cenacle, with the ones he trusts and the desire of a universal speech, which could reproduce and create a forum effect. Miniature in the facts, most of the time, but maximalist in terms of social aspiration. It is never easy to accept one's social non existence, being an artist or no. In this regard, “micro-politic” owes to the defeat of the political subject. We turn towards punctual actions, actions on the field, associative life, suburb involvement, etc because we cannot grasp macro-politic, the general, grand, human design. A lot of militants accept this type of involvement with necessarily limited consequences. For them, the micro-politic praxis is not lived like a strategy by default but like the only one they can afford. They accept it and, as we say, they are “at their place in the place”. For many artists who have decided to get involved at a local level, micro-politic is experienced as a praxis like a practice because there is nothing better: because we cannot afford to give a larger dimension to its action. However, an evolution of the micro-politic towards the macro-politic can be found within the same artistic career when the artist, in particular, knows how to use the channels of global communication. Look at the example of Daniel Buren. Starting with a clandestine work on walls and palisades, he has managed to impose his “visual tool” to the entire world, manipulating the cultural industry in an extremely patient, stubborn and tenuous way, denouncing, through his work, the speculative practices in the domain of exhibitions.
Sooner or later everyone wishes to play a role in the social space. I mean: in the social and physical space, the one where real bodies move around the space with flesh, humors, smells, spoken words. We need to differentiate this space from this other space, also social, but disembodied, represented by the cyberspace where one can indeed communicate, flirt, play on the web but not necessarily knowing who with and, consequently, without fleshy contacts. The exponential development of the blogosphere, as well as of Internet business cards type sites MySpace, Facebook, Copains d'avant, etc. seems to me an interesting indicator, in terms of political socialization. The extimity expressed in this manner shows that the tension for the contemporary individual to be “social” does not fade, on the contrary. One wants to exist, always more, among others. Anyhow, this development does not seem to produce the effects expected, the efficiency of this type of strategy for social intrusion remains limited. Most of the time, blogs are only read by the people who creates them, and who do not even have the time to update them. As far as Internet “business card” type sites are concerned, they mostly get the attention of already-made networks, where the ones who know each other or share the same ideas or the same struggle exchange with the ones they know or show convictions and engagements close to theirs. It indeed allows for more social exchanges, however certainly less than what one imagines or could wish for.
HP: To cite Denis Oppenheim, like you do it in Un art contextuel, « it seems that one of the main functions of the artistic involvement is to push the limits of what can be done and to show that art does not consist only in the making of objects to be shown in galleries; that there can exist an artistic relationship with what is outside galleries which is precious to explore ». Don't you think that there exists an abstraction, an abstraction of the art object to the benefit of a value shift and not only a shift for the artist from inside to outside the galleries but also a shift of outside systems towards the inside of galleries? What you call « shift of the artistic activity itself ».
PA: By definition, there are only shifts. Reality is dynamic. About outside, about the gallery, about everything. The world must be stopped in order for it to be thought about, as far as reality is concerned: it runs away...
HP: In Un art contextuel, the first chapter called « Un art contextuel ou comment annexer la réalité » ends with the mentioning of this quality characteristic of contextual art: an art of the found world. Can you explain?
PA: The expression is explicit. In this case, the artist is not going to “invent” a world, a universe, an aesthetic of his own. He works with what is available. You find three rocks in a desert, and you display them a certain way, exactly where they are: art of the found world. You find yourself in front of a polder, in Holland, and you sign it as if it were a real picture and as if you were its author the way Marinus Boezem did it. You decide to walk from Manhattan to JFK airport taking photographs like Laurent Malone and Dennis Adams, etc. We leave the regime of the demiurge for the one of usage. The techno-culture, through the sampling, emphasizes the usage up to a point never yet achieved in terms of artistic creation: we simply recycle what we find, for other purposes. Camille Henrot, King Kong Addiction: this artist shows simultaneously the three movies dedicated to King Kong in the movie history. Found world! In this matter, it all started like a joke, with the readymade. Before becoming a prodigious success, up to a point of debate, the assertion of an art of systematic re-appropriation has become a legal problem, especially in view of copyright, a problem that the sampled poetics pose in an acute manner. It actually does not fundamentally change the very principle of art, which is the metamorphosis: to initiate the transformation of the form in time whatever the way, whatever the medium.
HP: Francis Berthelot, in La Métamorphose généralisée, divides the metamorphosis into four parameters: « the subject which undergoes the metamorphosis, the agent who applies it, the process by which it is accomplished and the resulting product ». Would that be the very principle of art?
PA: This is the principle of all, in this case. The specific quality of art is to attach, to instill imaginary and symbolic in the operation. The difference is there. The world is a permanent creation in its entirety. The creation that art can represent is only worth differentiating, while increasing the general creation and contributing to it.
HP: You talk about « monumentalization of the presence ». Could we also talk about monumentalization of the disappearance?
PA: It seems to me that the contemporary world rather shapes the individual according to a miniaturization of the presence. Who still exists? Except for a handful of individuals people of power, media celebrities, crowned morons of the people society I personally only see miniaturization, the “subject” reduced to the status of object, leveled humanity, referred to its common denominator, the normalized individual. The failure of individualism is then obvious. Since the age of Enlightments and the French revolution, we had given ourselves an ideal opportunity for individuation and personal affirmation. What is left barely three centuries later? The most extraordinary anti-individualist regulation ever found has ended this dream of individualized “difference”. Where do we live, if not in a “global” society a hell so consensual, where everyone loves the same things at the same time, hates the same things in the instant, slips into pretty much the same anesthetic molds, all with a heightened sense of self, of course. Everyone feels necessarily unique, even though, in this world, we all receive communion from the same altars. The most interesting syndrome in this regard is the FEM, Fantasm of Maximized Existence, which has become overwhelming. Let's look at blogs, MySpace or Facebook mentioned above... In these places of suffering extimity, what is there to show if not our alienation to the tyranny of the fated existence, if not our imaginary of the necessity to be ourselves, if not our alienated aspiration for the project to have a life other than the ordinary life of the mass we belong to? Me, my tastes and my colors, my (obviously many) friends, my extraordinary life... Complete miniaturization of the social subject, nobody or almost no one exists with the exception of the ones similar to me the word “similar” well chosen in this instance. The disappearance you are talking about here has become monumental: the king subject, independent, emphasizing a being and not an obedience...
HP: You mention this term in the context of the notion of duration, a duration which would allow contextual art to enter a category of time going beyond the context. You write that « Perpetuated, [contextual art] would no longer be passage of art in time, but monumentalization, sustaining presence, a contradiction of terms we will admit ». I therefore remained on this contradiction in terms, referring to a monumentalization of the disappearance which specifically evokes to me contextual art a quantum, soluble, art...
PA: Let's set aside the question of social contemporary identity and let's concentrate on the artistic creation itself. The so-called “contextual art” in its original form, with the artist working in real context hic et nunc, in a non-intentional manner is a creation that we will qualify as appearance-disappearance. A creative snapshot. The artist comes, creates here and there then moves on to something else, nothing remains of the work of art. It is the equivalent of a “passing-work”, it volatilizes over time. In the 1960s, Stanley Brouwn asked passers-by from this or that city to prescribe an itinerary, scribbling on a piece of paper. Then, Brouwn applies himself to follow these itineraries, period. End of the work of art. Nothing to see, nothing to collect nor to venerate. It is the anti-Koons. The anti-object. The anti-art piece displayed for decoration on top of the fire place to impress friends and to look special. François Pinault may still get his credit card out, there is nothing to buy, nothing to keep, nothing on which to speculate. Appearance-disappearance. There is actually nothing “monumentalized” except maybe the essential, as you have understood: life itself, instantaneous experience, self projection, artist, in the course of time. A time made denser by the art work, which inserts a punctual event, but that the artist apprehends without attempts to stop it, fix it, signifying what would be the symbolic triumph of art over death, this event through which time proves that we are submitted to it.
HP: We can investigate going backwards. Tout ce que je vous ai volé (Everything I stole from you) could find meaning in your words. For example, through the theme of instantaneous experience. Or through the idea of an anti-piece of art. Or through the principle of appearance-disappearance. Or, finally, through this idea to make a monument out of nothing, except for the instant and the act within the instant. Does this interpretation seem correct?
PA: All I know about Tout ce que je vous volé is its version for the exhibition at the MAC in Marseilles. You, as an artist are showing everything that you stole. You are showing an act, the theft, a seditious act, a gesture, the fact of stealing someone's belongings, as well as an ideology, the radical appropriation. Indeed, an art of the “sample”, of the selection, except on that point: you do not use again what you stole as the material for a personal work of art for example, stealing Leonard's Mona Lisa in the Louvres Museum and paint on top of its face Gaston Deferre's. More simply you leave it there, within the museum exhibition space. Only the act of stealing counts when it comes to value creation for its being instantaneous, in your case, a gesture adorned with an artistic aura. You know the video by Pierre Huygue called Dévoler (to unsteal) (a neologism that calls what it means, as we shall see): we can see the artist entering a store, walking towards a display, putting down something on it and walking out. Tout ce que je vous ai donné (Everything I gave you) in some way, but only the gesture, the action. In the same vain, the American Zoe Sheddan-Saldana is known for her shopdropping. She buys a pair of pants in a supermarket, goes home, makes another one, as similar as possible to the pants she just bought, goes back to the store, leaves the copy that she made on the shelf exactly where she found the original piece. “Everything I know how to imitate”. “Steal”, “unsteal”, “shopdrop”: it all translates in concrete achievements, through objects, but also through the gesture. Yes, something defined by the principle of appearance-disappearance mentioned just now. However, not a monumentalization of nothing. Nothingness does not exist, anyway.
HP: In this case, this will be more about cutting than sampling... My practice of appropriation is more radical, like a readymade used to convene different instances in a mode of appropriation - not found, not bought, not exchanged, stolen. Tout ce que je vous ai volé being the first phase of the trilogy « appropriation, metamorphosis, redistribution ». Sorry for the Mona Lisa and for Gaston Deferre but the metamorphosis phase has taken a little longer. The time for the first “stolen things” to be in public domain, for the collection to be suspended by court action, ceased again, not returned, repeated. Here we are. It will not be a question of imitation but of transformation. Diverted from its distribution course, the stolen object finds another path, another life, another aspect. It nourishes fictions, as you say an “activation”, without jokes nor curators. In this case, is theft the best plea for the idea of work of art?
PA: No I don't think so. The concept of “work of art” has been reclassified in many directions for a long time up to a conceptual elasticity as you know, which, evidently, bothers a lot the ones who are hopelessly attached to the idea that a work of art is necessarily an “object”, something material (they are the same ones who generally find a material interest, in all logic: an object can be shown and sold, one can make a profit out of it which is not only symbolic). Such artist in Switzerland decides to add three hundred meters to the length of a marathon: work of art. Another one walks in the snow, deep in the forest or on top of a deserted plateau in the middle of nowhere: work of art. Another one finalizes a rain cannon that Wilhelm Reich had designed without making it and tests it in different locations: work of art. Another one gets married using the Internet to draft the contract with the future bride. Another one, last but not least, draws on a piece of paper: work of art. Since Dada (almost a century, after all...), the elasticity of the concept of work of art, has been pushed to its maximum, up to this fascinating point: the undecidability. Since everything can be “art” by the artist's decision, it is consequently impossible to precisely define what a “work of art” is. The artists' victory, since Futurism, Dada and Duchamp, is that the conceptions and consequently the representations we could have of their work have always been in crisis. Doing so in emphasizing the symbolic aspect of it, the only one that actually counts: the work of art as a sign. For the occasion, they inform us, viewers-consumers that peace and satisfaction will not pass through them, at least not automatically.
We evaluate culture, as I often say, according to its “IDS”, Indicator of Symbolic Development: there is no IDS in blocked societies, where nothing moves nor develops, but on the contrary it is high in societies in movement. The (courageous) choice in modern Western countries has been to promote a culture of the continuous symbolic divergence, and to highlight the perpetual shifting and mutation of its creations' symbolic value and content. With these potential assumed risks: the dead end, the delirium, the absurdity, the incomprehensible, the increase of the idiosyncratic repertoire... The Western culture is not hated for anything else: it is daring, it tortures values, it makes it a permanent necessity to relearn how to perceive. Of course, the Western world also has its big symbolic machinery with its weaknesses, already dead in the quest for meaning for example, the cinema, the theater, which entered the era of endless repetition, and self satisfied pseudo innovative rehash long ago. But it also has its warriors of the sign, its phalanxes of creators in conflict with anything normative and above all, it is doubtless, with themselves. On this point at least, West is the Best.
You have understood: For me, Tout ce que je vous volé belongs, in symbolic terms, to the second category: the irreconcilability with the established values, which, here, is not of pure form. For the essential, the Western world disgusts me this arrogant part of the world which prevents the rest of the planet from breathing and living and to live “noccident”. But it also fascinates me for this reason: the dangerous situation, in symbolic terms, where it places itself up to the assumed risk of cultural self destruction. In this part, the role of artists is essential: they are the last ones to experiment the possibility to enjoy the present, without enjoying the sole anemic repetition of the present. They are not heroes. Not an avant-garde either. More or less conspirators, often ridiculous, most of the time non operational but sometimes so activists, in the strong sense of this word revolutionaries of the sign. To be seen or to die in total indifference what would you choose as an artist?
HP: Me? Without any hesitation, I have chosen to die in total indifference. It leaves a lot of time to take care of one's life and of others'. It also leaves a tremendous amount of space, fantastic, unexplored areas. The Pastor Mailloux, with the support of the CIQ of the Bonneveine area (the MAC area, the museum of contemporary art of Marseilles, CIQ being the very one who had sculptures by Daniel Buren and Di Suvero removed because they were considered as unaesthetic for the area) wrote in a newspaper, ten days before the police intervention (Chief Navarro to remain in the big show):
« An implicit encouragement to theft.
» My challenge has three points. I first react as a tax payer. I believe that public money must not be waisted this way. Besides, I do not think that the display of a shoe on top of a table is art. There is no aesthetic interest in that.
» As a pastor, I believe that this artist implicitly encourages kids to steal. Why would a teenager not reach the conclusion to steal and then expose his loot?
» “Thou shall not steal” is stated in The Ten Commandments. I try to be open minded, but I find shocking the encouragement for this type of action. Moreover, even in the most pagan societies, theft is a crime. If Hervé Paraponaris had warned us about a hoax, we could perhaps understand. But I fear he is being serious. »
What do you think about this?
PA: That's good. This reaction is normal and inevitable. An outraged reaction in a legitimate way I prefer that to the one of the well-thinking, consensually outraged such as Jack Lang, who claim the words “censorship”, reject of contemporary art, “intolerance” as soon as any work of the actual repertoire is criticized by whoever from the extreme right wing (Le Pen and the Front National vilified the FRAC collections a few years ago) to the extreme left one (Besancenot, with his cult for the Che, a non recommendable figure in spite of his golden legend Besancenot who, I imagine, must not appreciate the liberty of art and essentially his refusal of any inserts especially in favor of old and shabby Trotskyist banners). The pastor Mailloux expressed in his own way what he believes to be his right as a tax payer, a social responsible and as a moralist. He reacts like any person with common sense attached to the laws that govern our society can react against Tout ce que je vous ai volé. The worst in my opinion, would have been the lack of reaction, the I-don't-care type of reaction. Of course, one could also ask Pastor Mailloux what he thinks about the spiritual abduction that the Christian religion operates on believers with the psychic and moral coercion methods that are their own, and that you are familiar about, far from negligible with the Protestants. Another type of “theft” which does not seem to attract attention, unfortunately!
HP: Yes, we cannot defend Tout ce que je vous ai volé. My desire is not to find any following or support from you, even less to become a Robin Hood or a Che. You do not seem to leave much space for movement between moral of the tax payers and institutional control. To follow what you are saying, I am thinking about Latour who wrote in Une sociologie sans objet ? Remarques sur l'inter-objectivité: « It is sometimes said, to mock, that sociologists' actors are puppets in the hands of “social forces”. The example is excellent and proves the exact opposite of what it says. Simply talk to a puppeteer to know that he is constantly surprised by his puppet. »
PA: Here, Bruno Latour points out this cardinal data which is at the origin of all the (legitimate) criticism against sociology: the improbability of the individual-group matching. How can we perfectly merge the individual in the posture of the group? How can we make sure that we can abut each other? You know as I do that it is impossible and as I do, you probably consider sociology (whatever the trends) as an indicator at best: this discipline which draws the approximate contour of what we are and of the shape taken at a given moment by the being-together in which we evolve. For the rest, you will probably agree, nobody recognizes oneself in the portrait made by the sociologist. There is of course a habitus to use Bourdieu's word, there is of course a behavior of convergence, multiple and obviously efficient conditionings in any societies including in the “republics of me” produced more than anywhere else in postmodern Western countries, a place for « auto monarchy » as Hakim Bey would call it. That said, there is also me, and that 's the problem, this “me” not definitely insoluble in the posture of the group but at one point or the other seized by the desire or the vertigo of divergence, of dissimilarity, of non conciliation. Me and the inter subjectivity, myself and the others and me with me or against me, depending on the mood in short, me invested in a self built corpopoetical representation of myself. In every respect, it is at this point appropriate to read again and meditate L’Unique et sa propriété, by Stirner. We must accept not to expect any genuine solidarity from anyone and especially from an institution, the considerations of which are not intersubjective or if they are it is only punctual, and always in a tactical way (the institution above all works for its own perpetuation following norms which are its own and working with it as an artist implies being instrumented). What I mean by that? The artist is always alone. That is what we need to remember. Like all of us and even a little more, in my opinion: even though while busy living, he needs to keep contemplating the work of art he has placed between himself and the world, which is the reason for him to exist. The only creation of a world allows the artist to exist, the world is not enough for him. Someone who does not create can watch the world and participate in it without the intermediary represented by the passage through the work of art or stopping in it. It is easier for him to invest into reality, to associate with it. For the artist it is different. The solitude of the artist is the work, to summarize: the artist exists in regard of it before existing according to the real.
As a result, I won't surprise you by saying that for me Tout ce que je vous ai volé is above all your self portrait (Lucien Freud, « Toute œuvre d'art est un portrait » (Any work of art is a portrait)). A representation of yourself. An aspect of your corpopoetic. Have you ever thought about talking to a psychologist about this? The desire and the fact of stealing that you publicly acknowledge, like a coming out; the offer under the form of an aesthetic gift of what has been stolen; the flux between predation and restitution; the dissembling and the consent... If I were you I would force myself to consult, only to verify that I really am a “political” artist, which is not so sure, all things considered...
HP: Thank you for the precious advice. I did enjoy it. During the consultations, I talked a lot about my father's death, killed at work when I was 8. He was a steelworker for a naval construction company (the SPAT). He died from serious burns after receiving contradictory orders from the ship's captain. He was managing eight workers. Everyone of them escaped before the ship blew up, rescued one by one by my father. The ship captain supposedly ordered him to open traps to let smoke out although they turned out to be for the steam. He died after three weeks of agony, received a posthumous medal and consequently left behind his wife and his three sons.
PA: A working class hero, one of those endlessly humiliated by capitalism, only interested, as everyone knows, in the ones executing with maximal efficiency, without respect for the “person”, the persona, this figure of humanity, irreducible in spite of everything. Your father died for the reality but not inside you, deep down in your heart, precisely irreducible: he remains a persona through his example, his courage, his devotion, his humanity. As far as I am concerned, I do not think that art talks about anything else: a shaping, through this persona embodied by the artist, some personae he endures to live with for better or worse... The shape of the work echoes the intimate, would it be gigantic and offered as an absolute exteriority. What interests me in this light: to ask you what you are looking for, you, Hervé Paraponaris as an artist. More precisely: How do you situate your body in the mechanism of your work: fighting body, absent, looking for revenge, offered to alterity?
HP: A body sacrificed, offered to the world. Without revenge nor pretension. A free body in the mouth of the others, a body worth experience, eaten, digested, evacuated.
PA: It's not enough to say. Let me precise: the contradiction between the terms that you are using to describe yourself does not bother me declared free but eaten, worth experiencing but evacuated. No, it all seems normal to me, the representation that we make of ourselves can be chaotic, besides it is rarely stable. The self conscience we might as well say the self mutation exercise. You have felt that, haven't you? Tell us more, please. About your relationship with art, if possible, and given that your art is not yourself, exactly.
HP: Sorry to dissatisfy you with a quick answer. I think that the “I” is definitely insufficient and my relationship with art may be the opportunity for a relationship with others. To talk about a free body in other people's mouth is what we are doing now, isn't it? Worth the experience without being afraid of being eaten, digested and “crapped” (if you do not want to use the word “evacuated”), it means not being afraid of this relation to the world, filling up space while leaving space. Opening up spaces and leaving them free. Making a mutation, a metamorphosis if this world is not enough. Taking care of the significant rather than the appearances, being overwhelmed. Showing a deprived knowledge with the ambition to join the world and the feeling, going beyond statements, tautologies, looking at the morning side. Thinking that what we build makes our own body fragile up to a high level of sensibility. Art as the instigator of the damage in front of which it keeps busy.
PA: At this point of our conversation, the question of the artist and the related issue following the conditioning of the artist, in terms of self-representation. The identification regime, the temptation for self-fiction, these things everyone goes through and the artists like anyone, maybe more than anyone. There is nothing negligible: we are also (above all) what we outline for ourselves in a fantasy. I am thinking about your project Stolen Island, presented as a poster. On this one, the representation of a jacket, the indication of distances... Like an object in the middle of a territory devoted to receive everything that you can steal. In a certain way, your homeland. What is exactly the origin of this project? What is your place in it? How do you represent yourself as the organizer of this strange territory, a territory only existing to finally be devastated?
HP: Stolen Island shows a jacket designed for stealing. A jacket with the brand name Stone Island, stolen as well, and customized with large interior pockets. Its look, a down jacket stuffed with goose feathers, makes the hidden objects invisible. These objects and the diagrams represented on the side of the jacket, on the poster that you mentioned, show the distance between the theft location and my home. This jacket could then be this island or vice versa because it is reversible (Guy l’Eclair, L'Ile à double face). This island, this homeland as you say, would be the one that I put on, the one that I wear, the one that I move around. The place where I stand: Robinson? Friday? Friday for sure. It is mine. The theft would there be an extrapolation. Which one? The one of design: a minimal design, an appearance-disappearance operation imposed on objects which would have exchange their function, their shape to reformulate an attitude? Hold our body when we can't hold on to our soul anymore? Unsuccessfully.
PA: Implicitly, the ideal of a portable art. That can be carried with us, moved with us. Everything closes again, folds, structures itself like a loop: I wear a jacket which allows me to steal various objects which become the very material of my creation. These objects are kept in my jacket which is like a second skin, an armor perhaps, a coat of paradoxical light nothing visible from the outside, but inside it is Ali Baba's cave. Clothing which is both a tactical object (it easily helps to steal) and a casemate (it conceals and protects you). Many artists have used clothing as a work of art, but in their cases, in a different perspective. Robert Filliou had installed his Galerie Légitime (Legitimate Gallery) inside his hat and walked around with it clothing as a moving exhibition structure. For several weeks, Robert Gligorov wore a jacket made of meat which rotted on him (Jacket Waiting), at night time, Marie-Ange Guilleminot strolled about Bilbao's streets, draped in a long dress... Clothing for clothing: this object that dresses you up or which allows you to move something in a classical manner at the same time as your body, the same way one carries apartment keys in his pants' pocket. For you, an “interface” clothing, rather...
HP: An invisibility jacket. A passkey. A dividing surface between two phases of the material, as mentioned in the dictionary. An illegitimate gallery then, objects that do not belong to me, which have been stolen, removed from sight, taken out of the market. Objects of little value, indeed, but objects which require “serious”, difficult protocols, in the instant. A fire proof jacket, equipped with the sum of these acts. The keys inside our pants' pocket protect and comfort us, we know where to find refuge, where to find ourselves. For a long time I didn't have a home, more precisely I lived in my car which moved around depending on what I felt like doing or on the weather. My only key was the car's ignition key. A strange schedule, as well. Leaving the city at night fall, finding where to park, getting out to pee, walking a little, making sure everything was quiet, taking advantage of the moon. It was not a vacation, and in the mornings I found myself in the long line of cars driven by people afraid of being late at work. Three years passed before I found a studio which was nothing more than a garage. I would still sleep inside my coach, the coach in the garage. Actually, the keys are the only things from the collection to have been stolen, copied, then given back to their owner, in particular the keys stolen from the guardian of the Roi René Tower in Marseilles. Maybe a useless piece of information, I was born on René d'Anjou street, same king, different place.
PA: For my part, I was born and I grew up anchored. In the place. The land, the world of agriculture, the farm. I was a farmer myself, studying at the same time, during the high school and university periods, making also a living as a prefect. Complicated, here again survival, not the same one as yours, but nevertheless survival. How to ensure the vital minimum without depending on anyone? What I mean, in the light of your background and resuming your words: this is an environment terribly hard to escape. The agricultural world, in the Aunis where I grew up near La Rochelle (another coastline: the Mediterranean sea for you, the Atlantic ocean for me, which has actually nothing to do with it, like Godard says about his movie Prénom Carmen, in which he transfers the action of Mérimée's short story, originally based on the Mediterranean, onto the Atlantic coast), it is glue. You get up in the morning in dirt, all day is spent working the dirt and at night when you go home, no matter how much you wash, you keep the smell of dirt on you, worse than the perfume of a woman on your lover's skin because dirt has penetrated you in the form of dust, it has not only marked your skin but it has settled in your lungs, your throat, your guts. You ingest dirt, you digest it and you crap it. Obsessive. A sort of open-air prison, open field tyranny. There are lots of suicides in Aunis. Not for the reasons often cited, farmers' solitude, boredom, emptiness of the landscapes. No, one commits suicide because one wants to tell the dirt that this time it is over, that one wants to definitely be freed from its shackles and that the body will no longer have the taste of dirt ever. An advice, if it's not done already: eat dirt. You will understand me. To escape the dirt, to leave the anchor, I rapidly imposed nomadism to myself. I started traveling very early and I never stopped. In an openly sick way. Several continents changes each year, up to a dozen. My first passports (they don't get stamped as much anymore) were completely full. There wasn't any room left to write anything. Finding a territory, in this case, means fleeing one's territory. Your drifting becomes your paradoxic anchoring point in your situation, your car, then your garage, for myself, tens of points scattered around the globe.
As you have asked me, I would like to talk about the relation between art and home. To also ask this question: is art a territory where one can live? More broadly, can we live in the space of the symbolic, I insist, live in it physically incorporating our own material life up to the point where it soon really mixes with art and vice versa, as many modernity artists hoped to do, starting with the Dadaists. Let's talk about Filliou again with this “creation”: Dusseldorf est un meilleur endroit pour dormir (Dusseldorf is a better place to sleep). To lay down on the sidewalk of the Rhenish city, in the sun, and start taking a nap. To sleep there, right there, wherever, right underneath the sky when you feel like it. Filliou talks about a « better » place to sleep in the title of this work. But « better » than what? We don't have the slightest clue. I assume that in this case, Filliou can care less. He doesn't award stars, like it would be done for a hotel, based on its comfort, accessibility, services, decoration. It is simpler: he elects a temporary life territory and makes it at the same time a territory for art. I like Robert Filliou for that reason not for his pacifism, his idealism, his Buddhism. Rather because he generates concrete life territories which are at the same time territories for art. The La Cédille qui sourit (The smiling cedilla) store-studio in Villefranche-sur-Mer, the different micro-territories (an exhibition space in Amsterdam, a suitcase...) making his République Géniale (Genial Republic)...
HP: I agree with you about this territory, this space of the symbolic where it is possible to live physically. I have often considered art as an embassy, an embassy for a state, a nation, a territory with all the contradiction of the idea. At the same time a protected place, out of reach or rather above ground and a place terribly difficult to integrate, to assail. Better than a church. An embassy without an ambassador, a permanent representation of a non state or rather of the world's state in a foreign state, actually this world. Yes, generating territories and generating their politic and Genial Republic. Yes, without hesitation.
You are talking about a vital minimum. Not being dependent without giving in. Your dirt is my salt. This smell or rather, this taste on the skin, the hair, the mop of hair I should say, what is left of the rebellion. I have tasted, eaten different kinds of dirt to understand what you are saying. I have also gotten a mouthful of water. I was a fisherman as you were a farmer. I fully enjoyed this blessed time on a hull looking for the soluble fish. I find you and your place exotic. I am fed up with always being reminded about this sun when things are going wrong. Here, we commit suicide under the sun because we have lost the meaning of things. We are walking on our heads. We kill ourselves to tell the sun to leave us alone, to stop making us believe that everything is nice when there is nothing left, when everything is dry, craggy, burned, sold.
PA: The question is the following: is the art territory a space for salvation? Is it possible while remaining within its limits, to escape the socio-cultural liquefaction or lobotomy in which the global societies have committed? Is there for us destiny other than the one of being a consumer, including a cultural consumer, whose passions follow Telerama's recommendations on novels, movies or exhibitions. On top of the list of the latter, Olivier Céna's pontificating and stupid prose (supposedly everything is rotten in the art world, the only true artistic things would be the apple trees painted by Michel Potage, the expressionist boozy faces by Georg Baselitz or the tortured figures by Paul Rebeyrolles, etc.: the unbearable saw of the embittered ones who know where to find the truth in art and who are going to tell you about it, pathetic late imitators of Cézanne who was confident to say: « I owe you the truth in painting and I will tell it to you » although they reduce to almost nothing, compared to its real extent, the artistic territory)?
An answer on this? I remain on the reserve in the absence of a sufficiently informed opinion and perhaps by lack of arrogance. Perhaps like you, experts exasperate me, I hope that they at least enjoy their defeat when reality flushes their opinions down the drain, which will likely occur as you know (for example the outbreak of the financial crisis: remember how Guy Sorman and the other Alain Mincs had praised the so called alleged perennial virtues of financial capitalism and compare with the present economical situation they sure are idiots in terms of expertise). However, here is what I notice: in the 20th century, art has never created so many zones of withdrawals or retreats, zones of withdrawals where to escape the suffocating authority of convention or symbolic oppression. It all started a little earlier with Romanticism. The theory of the demiurge artist developed by Schelling, the myth of Hölderlin, a poet, according to his terms, « of time of missing » who could not live among people, Büchner social despair the mad hero incarnated by Woyzeck, the man betrayed by history and represented by Danton... Ovid among the Scythians painted by Delacroix or also by Delacroix, Jacob wrestling with the Angel in Saint-Sulpice church... Nerval's suicide. Dandy attitude. Same as saying: fighting is worthless, forces of regulation and normalization (that we call consumption, totalitarian powers or mass media) have won, the struggle is vain. Consequently the run away, the construction of “TAZ”, “Temporary Autonomous Zones” as artistic answer and by substitution. Since we cannot all escape through the exercise of political subversion, radical revolution and infinite claiming, there will at least remain for some the possibility, once installed in their artistic bubble, to not totally submit themselves to the forces of constraint. The mechanism is engaged, it is the Schize, the separation between art and society. Accepted separation system that the artists appropriate as an argument not to walk “with” anymore. Up to confirm irreconcilability of the avant-gardes, for which the poetic is a politic aiming at overthrowing the thrones, often visionary poetic although of little impact on its era, in full settlement either dissolved in dead ends (Cubism, Futurism), or soon exploited, becoming then a formal, salon type, protestation (conceptual art).
I would like to say a word about the creation of these multiple poetic TAZ. They are about creating poetic territories of geographic nature (The Artistic Square Meter Territory by Fred Forest in the years 1970s), symbolic territories but structured as if they were real political territories (Myniarch in Czechoslovakia, Free State of Carolina by Gregory Green...) or more simply, they are for the artists about hitting the road and I think in particular about this plastic creation trend called “expeditionary art” which has seen artists working while geographically relocating, fleeing the so called epicenters of artistic creation glory. While Damien Hirst or Jeff Koons, with the help of media blowing hot air, endlessly impress gullible fools (starting with the journalists in a constant quest for something to develop, a scoop if possible, most of the time poorly informed), Philippe Parreno is in Antarctic, Poincheval and Tixador are inside a tunnel they are digging and Laurent Mulot is on the central geographical point of China, a lost area in Yunnan... A story that I have already written, here and there, well documented, but which exceeds the limits of this interview... At least it indicates the following: 1°, the possibility for art to become territory in itself, 2°, the possibility for the artist to live an experience without having to undergo the evaluation of the art world made official. Rightly or wrongly, it seems to me that the most interesting creation is the one just mentioned. Certainly not the most interesting for the viewers, who, for the most part, slavishly expect to be flattered, catered by the artist as a footman in the service of their aesthetic pleasure. But for the artists, obviously, it is here the very experience of life which prevails and not the repetitions of codes.
Web site to locate former classmates
In English in the original text
Ibid.
Museum of Contemporary Art
In English in the original text
Ibid.
Ibid.
Ibid.
A contraction of no-non and occident-Western world
Area Interest Comity, Association acting as intermediary between inhabitants and local institutions
Contemporary Art Centers, government created by Jack Lang, and present in each region of France
In English in the original text
Ibid.
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