Texte de Catherine Macchi, 2012 (publié dans Slicker 3)
L'espace est au coeur des travaux sur papier de Marine Pagès et il est significatif que l'artiste en expérimente physiquement les possibles par le biais de la sculpture, tout en considérant cette dernière comme une extension du dessin. Il faut dire que dans la pratique de la jeune femme, le dessin fait oeuvre et qu'il n'est pas réduit au seul projet.
D'essence imaginaire, cet espace est synthétisé sous la forme d'un répertoire de fragments architecturaux incorporant des éléments de paysage dans une série de gouaches intitulées Archipaysages (2006-2008). Ici des constructions industrielles multicolores sont envahies par une végétation luxuriante paradoxalement teintée de noir. Si l'inversion des valeurs laisse entrevoir ces hybridations comme les images inquiétantes d'un désastre écologique, elle confère toutefois une dimension ludique à ces architectures anthropomorphisées par le débordement vital des plantes. On retrouve le soin particulier que Marine Pagès apporte, avec des moyens rudimentaires, à ces planches qui parodient la 3D, dans les collages qu'elle exécute depuis 2009. Réalisés avec du papier adhésif imitant le bois, les collages donnent forme à d'étonnantes modélisations architecturales déclinées selon différentes perspectives dans l'espace anonyme de la feuille de papier. Les sculptures en bois recouvertes de placages (2007-2009) sont intimement liées à cette série. Bien qu'elles évoquent parfois des structures cubistes, ces maquettes ne matérialisent pas une utopie oubliée, elles ne font que spatialiser les architectures de papier tout en restant parfaitement impraticables et mystérieuses.
Dans ses dessins au crayon (2011-2012), Marine Pagès explore le paysage en faisant table rase de l'architecture. Partant de plans de villes fantômes tracées dans le désert américain, elle fait naître dans la réserve du papier, entre deux plans arides, des routes qui se déploient à perte de vue. De ces villes invisibles, dont on ne sait si elles ont été construites un jour ou si elles ont été abandonnées, il ne reste qu'un impalpable réseau routier dont la virginité contraste avec la végétation rase et nerveuse qui parcourt le sol.
Cette géométrie pure appliquée au paysage n'est pas sans convoquer certaines oeuvres du land art depuis A mile long drawing de Walter de Maria dessiné à la craie dans le désert Mojave de Californie en 1968, jusqu'aux Time Lines tracées dans la neige de Dennis Oppenheim. Ici le désert se dissout dans sa propre représentation, ses contours s'évanouissent tantôt vers les bords du support, tantôt vers la ligne d'horizon, à la manière d'un mirage.
"Il se mit à marcher à grands pas sur le goudron sans quitter des yeux le soleil qui bientôt fut coupé en deux, puis peu à peu s'effondra. Quand la dernière étincelle eut disparu, la route et les champs alentour apparurent avec une netteté remarquable."
Lumineux rentre chez lui, André Dhôtel |