Le stock et le flux
Maison Salvan, Labège, 2019
Pascal Navarro est principalement un artiste de l’image, ce qui le fait se diriger vers la photographie, vers le dessin, vers l’archive. Pour cette exposition, différents processus ont précisément fait « devenir » des images, et ce, dans le temps long de leur présence dans le lieu. L’une – une diapositive montrant une scène de vacances familiales à la montagne – était lentement brûlée, en raison de sa trop grande exposition à la lumière qui la projetait, alors que sa jumelle demeurait intacte. Plus loin, un souvenir, en forme de grand dessin mural, disparaissait dans le mur au travers d’un lent recouvrement tout au long de l’exposition. Ailleurs, la trace d’un enfant était enfouie derrière des couches de blanc alors que dans la salle précédente, une rampe de projecteurs, au contraire, permettait à un dessin d’apparaître. Ainsi, des images se manifestaient imperceptiblement, d’autres s’enfouissaient. Ces dynamiques temporelles étaient déjà évoquées au travers de la série des Eden Lake, entreprise plus ancienne de l’artiste installée dans la première salle de l’exposition : des oeuvres graphiques qui, à l’instar d’une exacte écriture du temps, proviennent de la lente répétition d’une ligne sur une autre permettant in fine l’existence d’une image. Pour que celle-ci demeure, peut-être fallait-il lui octroyer un temps long de gestation…
Néanmoins, « Le stock et le flux » donnait aussi l’occasion à l’artiste d’initier des projets plus sculpturaux et installatifs, qui engageaient une circulation entre la maison d’enfance de l’artiste, son atelier et la Maison Salvan – un centre d’art, bien entendu, mais aussi un espace qui comporte encore les traces de son caractère domestique antérieur. Une sculpture, en particulier, constitua l’une des recherches importantes de la résidence de l’artiste. Elle découla de la récupération préalable d’un objet chargé de symbole : le lit de la chambre parentale. Celui-ci connut ensuite une transformation, à son atelier marseillais, puis la pièce retrouva une nouvelle autonomie, une part de silence, en s’adressant aux regards des spectateurs sous la forme d’un cube. La dernière salle de l’exposition, quant à elle, accueillit plusieurs parties emballées d’une oeuvre produite en 2014 et qui s’apprêtait à être détruite car trop volumineuse pour « l’économie » de l’artiste. Tu n’es plus comme avant, réalisée à partir d’une 404 Peugeot, se retrouva ainsi pour quelques semaines dans une sorte d’antichambre, dans un temps et un espace intermédiaire. Il ne s’agissait plus de la regarder comme l’oeuvre initiale, mais comme une installation qui parlait de l’artiste et de son fonctionnement, comme le fantôme d’une pièce déjà fantomatique. Aujourd’hui, les différents éléments de la pièce ont disparu. Elle n’existe plus matériellement ; elle perdure, cependant, dans les mémoires de spectateurs et demeure dans la dernière étape infinie d’un processus de disparition.
L’exposition nouait principalement un dialogue entre deux sujets, deux aspects de l’intimité de l’artiste. Elle convoquait d’abord des fragments de récits familiaux et interrogeait les mécanismes de la mémoire : ce qui s’oublie, se perd, demeure. Elle abordait, aussi, ce qui se déroule dans la vie d’un artiste au quotidien et qui engage un va-et-vient permanent de matières et d’oeuvres entre l’atelier, les endroits de collecte de matières et d’objets, les lieux de résidence et d’exposition, le domicile des collectionneurs, etc.
Ainsi, « Le stock et le flux », dont l’intitulé mobilisait volontairement un langage neutre et ouvert, croisait des mouvements, des dynamiques que rencontre l’artiste dans le temps et dans l’espace. Dans l’exposition, l’origine personnelle des projets de Pascal Navarro, toujours, venait se dissoudre dans le processus de réalisation des pièces qui les rendait autonomes et leur permettait de s’adresser à tout un chacun. Le spectateur pouvait les penser objectivement mais aussi se les approprier, en y intégrant ses propres souvenirs. Les oeuvres de Pascal Navarro s’apparentent à des matrices au sein desquelles il est possible de venir hanter les images ou les objets impliqués par les processus de transformation. Les deux carrousels de l’exposition, par exemple, accueillaient tout autant une paire d’images de l’artiste que, en creux, toutes celles qu’elles venaient puiser dans l’intimité de celui qui regardait la pièce. Et puis, qui n’a pas identifié un objet, dans l’environnement d’un parent, comme le réceptacle d’une grande part de la charge émotionnelle de notre rapport à lui ? Qui, parmi mille photos familiales, semble-t-il pareillement anodines – ou pourquoi pas intenses et fortes –, n’a pas jeté son dévolu sur l’une d’entre-elles, comme si cette image nous regardait plutôt que l’inverse ? Tout individu est habité de souvenirs de riens, de détails, de bribes et d’ambiances. C’est peut-être cet ensemble composite qui fonde le plus précisément sa nature intime – un espace indistinct et singulier avec lequel dialogue le travail de Pascal Navarro.
Un livret, au contenu écrit de manière sensible par l’artiste, était à la disposition du public. Il donne des clés sur les oeuvres de l’exposition « Le stock et le flux », sur leurs origines dans le récit personnel de l’artiste mais aussi sur la manière dont il les aborde dans son présent d’acteur de l’art, de personne qui, à son tour, transmet et fabrique de la matière à mémoire pour les autres. « Ne rien faire des choses ne les préserve pas », écrit-il dans ce livret. Dans cette exposition, c’était exactement cela, il « faisait » pour que quelque chose demeure, quelque part… Autant chez lui que chez les visiteurs.
Paul de Sorbier - 2020 |
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Vue de l'exposition Le stock et le flux, Maison Salvan, Labège, 2019 |
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Série Eden Lake, 2016-2019
8 dessins, feutre pigmentaire sur papier Arches |
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Le lit, 2019
Lit en noyer transformé, 36 x 36 x 36 cm
Travail réalisé en collaboration avec Julien Sueur, ébéniste |
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Vue de l'exposition Le stock et le flux, Maison Salvan, Labège, 2019 |
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Double carrousel, 2019
Installation, deux projecteurs de diapositives, deux diapositives identiques, deux boîtes de rangement des projecteurs réalisées par l’artiste.
Prise de vue : 14 octobre 2019 |
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Prise de vue: 23 novembre 2019 |
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Mur peint #01, 2019
Détail
Œuvre évolutive, encre noire, peinture acrylique blanche, 390 x 265 cm
Prises de vue : 14 octobre 2019 |
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23 novembre 2019 |
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La Maison, 2019
Dessin néguentropique
Tirages pigmentaires et encre sur dos-bleu, rampe de lampe UV, 400 x 265 cm
Prises de vue : 14 octobre 2019 |
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Main de Daphné, 2019
Empreinte de main d’enfant recouverte de peinture |
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Dans l’atelier / le jardin 1975, 2019
Tirage Backlight, caisson lumineux, 40 x 60 cm |
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Faire de l’espace, 2019
Sculpture stockée à l’atelier, déplacée
Dimensions variables |
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Le stock et le flux 2019
Livret édité à 200 exemplaires numérotés, à l’occasion de l’exposition Le stock et le flux, à la Maison Salvan à Labège, 2019 Merci à Paul de Sorbier.
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