Stéphane Guglielmet m’a invité après avoir vu l’installation Mon Amour au Château de Servières en 2015. Il m’a notamment parlé de la dimension politique qu’il percevait dans ce travail qui utilise d’anciennes photographies des années 20 de Palmyre. De mon point de vue, mon travail est plus affectif que politique, mais je trouvais intéressant que l’on puisse avoir cette approche et j’ai voulu répondre à son invitation en réagissant à cette remarque.
J’ai découvert grâce à Paul-Emmanuel Odin, à l’occasion d’une exposition de groupe à La Compagnie (La carte postale revisitée, 2013) un film de Godard dont il projetait un extrait, Les carabiniers. J’aime travailler à partir d’œuvres qui me touchent et je projetais de revenir un jour sur ce film.
Le film (assez méconnu car réalisé la même année que Le mépris), faussement brouillon, est un portrait génial de la guerre – non pas d’une guerre spécifique, mais au contraire, de l’idée de la guerre. Au début du film, un carabinier vient recruter deux jeunes naïfs en leur faisant miroiter tout ce que peut leur apporter la guerre en terme de possessions matérielles. Vers la fin du film, ils rentrent chez leurs compagnes avec ces « merveilles du mondes », à cette différence près qu’il ne s’agit que d’images. S’en suit une longue énumération qui fait écho à l’énumération du début du film. C’est à partir de cette énumération qu’est né le projet pour Territoires partagés.
Les Merveilles du monde, c’est le nom donné aux sortes d’encyclopédies d’images à collectionner dans les boîtes de chocolat à partir des années 50. Sorte de réservoir iconographique totalisant, désormais désuet à l’époque de google image. La cité de Palmyre représentait déjà pour moi La merveille du monde par excellence, sujette, comme tout, à la disparition. La guerre est un accélérateur d’entropie (de disparition). C’est un des points de départ de l’installation à la galerie Territoires partagés.
Le dispositif que j’ai choisi consiste à réaliser une image monochrome que le temps – c’est-à-dire la lumière naturelle – va progressivement révéler – ce que j’appelle dessin néguentropique. Mais cette révélation se fait avant la présentation en galerie : le dessin principal a été entreposé sans protection face à la lumière solaire pendant plusieurs mois dans mon atelier. Il s’est donc révélé. Mais d’autres dessins ont été entreposés par-dessus, de telle sorte que certaines parties n’ont pas été altérées. Ces autres dessins sont eux aussi soumis aux effets de la lumière naturelle. S’en suit des effets d’expositions et de caches, c’est-à-dire d’apparition et de disparitions partielles des images.
L’image de grande taille est extraite du film Les carabiniers. Il s’agit d’un peloton d’exécution qui rappelle un motif traité notamment par Goya et Manet. Les dessins plus petits entreposés devant représentent des « merveilles du monde (série monuments) », citées dans le film ou non.
L’exposition en atelier a été « désolidarisée » pour être accrochée de manière traditionnelle dans la galerie, mais la mémoire en est conservée par les différentes altérations des dessins.
Pascal Navarro, 26/04/17 |
Vue de l'exposition Les merveilles du monde, Galerie Territoires partagés, Marseille, 2017 |
Baalbek 2017
Dessin au feutre, 46 x 35 cm |
Cologne - la cathédrale 2017
Dessin au feutre, 60 x 60 cm |
Ulysse et Michel-Ange 2017
Dessin néguentropique, 210 x 170 cm |
Les ocres du Roussillon 2017
Cartes postales encadrées sous verre anti-uv, 45 x 35 cm |