André MÉRIAN 

Doutes, 2024
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Doutes 2024
 
 
Une configuration de signes magnifiques, tel serait sans doute la leçon des images d’André Mérian. Au premier abord, ces photographies donnent le sentiment de capturer les éléments d’un morne réel comme s’il était ausculté avec une attention qui nous fait défaut, nous entraînant à percevoir ce qui se dérobe à notre regard du fait même d’une sorte d’une sorte de surprésence…
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Une configuration de signes magnifiques, tel serait sans doute la leçon des images d’André Mérian. Au premier abord, ces photographies donnent le sentiment de capturer les éléments d’un morne réel comme s’il était ausculté avec une attention qui nous fait défaut, nous entraînant à percevoir ce qui se dérobe à notre regard du fait même d’une sorte d’une sorte de surprésence. Ce qui est le plus proche, le plus visible, le plus évident, devient le plus lointain. André Merian n’est pas dupe de cette cécité volontaire. Lors de ces déambulations de Marseille à Avignon avant et après la période du confinement, il prélève tel un ethnologue de l’ordinaire, des surgissements incongrus d’objets ou d’êtres. Ils s’offrent à nous mais leur état de solitude les rend transparents à notre attention. Il y a ici une posture héroïque : montrer combien notre monde est un monde de la mise à l’écart de l’oubli. Les choses gisent là, abandonnées, et dans leur abandon même se trouve une beauté singulière qu’il convient de révéler : une série de cartes à jouer sur une plaque d’égout, quelques calandres de voitures sur un sol, deux câbles électriques dans le bleu du ciel. Nulle célébration d’un misérabilisme de bon aloi mais bien une ode à la vie, même à travers ce qui pourrait sembler le plus contraire : la ruine de notre univers. Si la ruine est bien dans nos imaginaires occidentaux une cosa mentale qui permet de penser le passage du temps, elle reste aussi une forme de résistance à un monde où toute chose matérielle tend à disparaître et cela de plus en plus rapidement. L’obsolescence accélérée des produits et des êtres nous place dans la posture singulière de ne plus parvenir à aimer l’ordinaire. Règne de l’égo et du tout consommable à peine contrebalancé par une crise écologique qui ne cesse de pointer ce manque en nous contraignant à regarder à nouveau les choses pas si périmées que cela. Les photographies d’André Mérian ne cherchent donc pas à nous prouver que le réel est plus riche, plus beau, plus complexe que nous le pensions mais bien à affirmer que notre rapport à l’univers passe désormais par l’image et que la photographie, en ruine elle aussi, reste le territoire où se joue notre devenir humain. Étrange paradoxe que celui d’un médium lui-même en crise, lui-même devenu, à force d’être usé et érodé par le règne du visuel, une sorte de contre-pouvoir à une réalité devenue liquide, volatile et passagère. L’adolescent sous sa couette assujetti à son écran, l’affiche d’une revendication politique sur l’identité, une barquette de fraises abandonnées sur le trottoir sont autant d’images qui affirment que nous vivons dans un temps et un monde où toute chose et tout être sont déjà ruine d’eux-mêmes. Et que seule la photographie est à même de le démontrer pleinement. D’où le style particulier d’André Mérian : ce qui est saisi par l’objectif occupe toute la photographie à la fois comme sujet central et motif symbolique de notre cécité contemporaine devant toute représentation. L’horizontalité y règne en maître et l’environnement semble subalterne, presque un décor destiné à renforcer le trait. Malgré son titre, DOUTES doit être appréhendé en tant que prise de position politique. Les doutes dont il est question ici seraient donc métaphoriques, dénonçant au passage la mise sous tutelle du réel et donc de nos vies par des forces qui nous dépassent. Comme l’affirmait le poète Benjamin Perret : « Les ruines sont reniées par ceux dont la vie n’est déjà plus qu’une ruine dont rien ne subsistera sinon le souvenir d’un crachat. » Ces quelques images en ruine en attestent avec force.

Damien Sausset
Pour le livre « DOUTES » André Merian

 
 
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