Homebox
La série photographique Homebox comprend un tirage 82,29 x 121 cm, Édition 1 à 5, tirage Lambda sur papier Kodak, et de 18 photographies format 18,1 x 25 cm Édition de 1 à 9, tirage Lambda sur papier Kodak, encadrées
De tous, André Mérian est sans doute le plus objectif, celui qui se confronte le plus directement avec l’épaisseur du réel. C’est d’ailleurs une de ses images qui ouvre l’exposition. Une femme, de dos, scrute un paysage faussement bucolique. Le champ semble en jachère. Les taillis cachent sans aucun doute une faune riche. Mais rien n’est ouvertement montré si ce n’est ce rapport étrange, presque sur réaliste entre une figure très théâtralisée et un décor abandonné, visible dans ces hautes herbes et l’absence de tout chemin. Nous sommes à la fois dans l’image (notamment par ses dimensions, son échelle) et mis à distance. Il y a quelque chose d’indiscernable qui nous capture, ni perceptible dans la pose du modèle ni dans l’organisation des motifs. L’art photographique d’André Mérian joue de cela. Chacune de ses photographies nous contraint à une exigence du regard. Nous percevons un motif, souvent saisi dans une frontalité rigoureuse. Dans un second temps, l’image s’anime, semble nous échapper et il faut bien alors s’abandonner à son pouvoir, la regarder longuement pour que surgisse son évidence. Equilibre instable qu’un simple détail tend à magnifier. Cet artiste, comme quelques autres(1), tente de nous faire comprendre ce qu’est une image dans un temps malheureusement colonisé par des myriades de visuels, des pléthores de représentations qui cherchent avant tout à nous vendre quelque chose (un produit, une idée) au lieu de nous ouvrir à l’hétérogénéité du monde.
Pour cela, il a choisi une voie : la neutralité. André Mérian aime à documenter des situations. L’humain n’étant pas son sujet immédiat, ses images se situent à la croisée du lieu et de l’espace. La distinction est essentielle. Il revient à Michel de Certeau de l’avoir formulé avec soin. « Est un lieu, l’ordre selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence. (….) Les éléments considérés sont les uns à côté des autres, chacun situé en un endroit propre et distinct qu’il définit. (….) Il y a espace dès qu’on prend en considération des vecteurs de direction, des quantités de vitesse et la variable du temps. L’espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des mouvements qui s’y déploient. L’espace est un lieu pratiqué. Ainsi la rue géométriquement définie par un urbaniste est transformée en espace pour les marcheurs. »
Les photographies d’André Mérian figent le rapport entre espace et lieu. La tension est particulièrement exemplaire dans la série ici présentée. Le protocole de ce travail reste d’une extrême simplicité : attester d’un territoire restreint en se focalisant sur l’habitat pavillonnaire. L’exploration se mue ici en apprentissage puisqu’André Mérian pense le territoire comme un champ d’expression et de culture.
Il se comporte volontiers en ethnologue, mais un ethnologue fasciné par le vernaculaire et la façon dont chacun se réapproprie ou non un langage architectural d’une normalité absolue. Refusant l’instantané, délaissant la fascination pour l’événement, le sujet de ses images est double, voir triple.. En premier lieu, il isole un objet : ici une architecture. Dans un second temps, la banalité du sujet libère tout un répertoire de formes abstraites. Ces formes, véritables sculptures minimales, redoublent l’architecture, lui échappent, la contraignent. Elles l’oblitèrent en somme. Un portique inachevé à force d’être observé devient une structure sans dimension, sans échelle, presque un programme pour artistes en mal d’inspiration. Ici, aucune prise de position, aucune dénonciation virulent. André Mérian n’appartient pas à cette génération d’artistes cyniques, conspuant avec arrogance la bêtise humaine, le kitsch ou la pauvreté esthétique de l’habitat contemporain.
La critique de notre temps se trouve ailleurs, elle est implicite, surgissant non de chaque image mais de la série et de la manière dont s’organisent les séquences sur le mur. Ces photographies valent évidemment pour elles-mêmes, chacune exposant sa singularité. Mais une fois assemblées en ligne, elles établissent une tension entre lieux réels et lieux imaginaires, à la fois présents et en devenir. Là se cache l’affection d’André Mérian pour ses condisciples, et pour l’humain en général. Car ce qui étonne dans cet inventaire architectural, ce sont ces réinventions, ces aménagements, ces fantasmes de propriétaire terrien.
L’hétérogénéité des attitudes éclate dans des images qui finalement ouvrent sur des rites, des pratiques et même l’imaginaire de ces habitants singulièrement absents. Le rapport au corps se fait par la négative. D’infimes détails en attestent (une couleur, une série d’objets sur le perron, dans le jardin). L’idée de hors-champs est donc étrangère à ce photographe. Tout est dans le cadre et bien que l’image photographique soit ici un fragment du monde, elle s’affirme tout autant en tant que totalité autonome. C’est d’ailleurs pour cette raison que ses travaux exigent habituellement des formats assez imposants. Par ce biais, André Mérian y affirme la relation étroite que sa photographie entretient avec le tableau en tant que forme de pensée et objet nécessitant une confrontation avec le spectateur.
Damien Sausset
(1) . Il serait vain d’en faire ici la liste mais néanmoins citons Jean-Luc Moulène, Jeff Wall, Thomas Struth…
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