La photographie contemporaine de paysage, dans l’héritage de Walker Evans puis des conceptuels, se passionne pour des zones périphériques ceinturant les grandes métropoles et devenant le théâtre es urbanisations contemporaines.
Centres commerciaux, parkings, quartiers dortoirs, infrastructures routières s’entremêlent et constituent finalement des espaces limites où se superposent, se perdent et se dissolvent toutes tentatives différenciées d’architecture ou d’urbanisme.
Ces territoires, ces « non lieux » comme on les nomme parfois injustement, sont souvent identiques, ou du moins s’élaborent dans un vocabulaire architectural et une trame urbaine déclinée à l’infini, sans variations perceptibles, dans toutes les régions, tous les pays, autour des villes d’un monde définitivement globalisé. Phénomènes plus que modèles de développement, ces espace urbains aux terminologies indéfinies « villes actives », « zones commerciales », « zones d’activité », « villes nouvelles », fascinent les photographes qui s’affranchissent de toutes formes d’allégories en convoquant avec une lucidité froide le matériau indiscutable de révélation du « lieu sans qualité » pour paraphraser Robert Musil.
Au fond, ces images de paysages urbains n’ont pas de sujet ; pas de motifs particuliers sur lesquels s’appuieraient des éléments complémentaires constitutifs d’une représentation. Elles sont par la suspension du sens, le constat lucide du désenchantement comme forme aboutie de la critique.
Cette photographie des périphéries, des lieux délaissés, s’est considérablement développée depuis la fin des années 70 ; archéologies industrielles chez les Becher, puis dérives urbaines chez leurs élèves de la nouvelle objectivité allemande, maisons préfabriquées et habitats standardisées chez Lewis Baltz ou Dan Graham, paysages décalés chez Robert Adams, déshumanisés chez Gabriele Basilico ou plus récemment encore chez Xavier Ribas ou Jordi Bernado qui tentent dans leurs expériences du paysage un renouvellement de la tradition du reportage. Cette photographie incarne par ses préoccupations sociales et psychologiques, une sorte de réinvention où se mêlent le désir de document objectif et le sentiment d’une mélancolie longtemps masquée par l’anti-esthétisme.
Le travail d’André Mérian se situe indiscutablement dans cette mouvance. Catalogue de lieux qui ne sont jamais motifs ou prétextes, mais qui existent quand même dans la seule tension mise à jour par la pratique de l’artiste ; tension entre ces lieux de nature et leur irrémédiable transformation, tension aussi entre l’espace construit devant d’improbables espaces d’usages. De cette dialectique ne surgit aucun discours, aucune critique, aucune dénonciation, parce que les images dans l’évidence du fait plastique imposent le neutre à la surface en renvoyant à d’autres la construction du discours. Cette neutralité n’est plus seulement celle des lieux inconnus présentés de manières indifférenciés, elles devient surtout celle du photographe qui dans la répétition des images disloque même l’idée du document.
Bernard Millet |