André MÉRIAN 

Banlieue maritime - Barcelone - Espagne 1999
Couverture du livre
Aux bords de la fin, Images En Manoeuvres Éditions
Photographies André Mérian, texte François Seigneur

Entre ciel et mer, bordures, bouts, fins, je ne sais pas lequel de ces titres pourrait correspondre. Flottements. Entre bordures et flottements. Aux bords de la fin. À la fin. Misères et fins. Grisailles. Grisailles me plaît assez. Même tes soleils sont gris. L'eau, le sable, les ciels, les lumières et les choses, les personnages sont gris. Peut-être as-tu mis un filtre? Il y a aussi monotonies, monochromies, monochromes gris. Électroencéphalogramme gris. C'est un peu long mais c'est pas mal. Électroencéphalogrammeflou en un seul mot. Tu me dis que c'est un voyage autour de la Méditerranée. L'état des bords de mer. Enfin, de ce que nous en avons fait. De temps en temps quelqu'un bouge. C'est bien que tu l'aies mis assez loin de nous, pour qu'il ne dérange pas. Pour que l'air ne bouge plus. L'eau est comme du polyester. Dans quelques siècles, avant peut-être, elle va s'effilocher. Un corps en passant au travers ou en marchant dessus aura fait un trou ou une déchirure comme dans une coque de bateau ou l'aile de ma voiture. Quelques filaments blancs essayent de se rejoindre au bord du vide. Et pourtant les baigneurs nagent. Et pourtant les dormeurs rêvent encore. Avec ton appareil à images, as-tu pris des sons? Es-tu sûr que notre mer n'est pas devenue creuse? qu'il n'y a rien sous la tôle bleue et jaune de ses plages cabossées? En regardant ton livre à nouveau ce matin j'entends presque le bruit des pas et des jeux comme sur un tambour. Aurions-nous fait du creux? Du plein creux? Raisonnons un peu ! Imagine. En-dessous il y a du gaz. Comme la peau est poreuse pour que les poissons respirent, une légère brume envahit le paysage. Une émanation gazeuse plutôt. À la limite de la nocivité supportable. Aux bords de la nocivité supportable, ce pourrait être un titre aussi. C'est probablement pour ça que tes personnages se regroupent autour des marigots comme les hippopotames s'avachissent aux bords des mares boueuses quand il n'y a plus assez d'eau pour nager. On survit mieux en groupe à l'ombre de quelques piquets qui poussent encore entre les tuyaux percés d'une citerne éventrée. On est tellement mieux dans des bassins endormis avec au loin la mer. Je me suis demandé si les quelques jambes ou bras qui apparaissent souvent dans tes premiers plans appartiennent réellement à quelqu'un ou si comme au cinéma c'est un morceau, une maquette, un leurre posé là pour nous faire croire que notre terre est encore habitable avant que nos HLM des bords de mer se noient dans les flaques de l'eau qui monte. Je pensais, comme tout le monde, que le bonheur autour de la Méditerranée c'était le bleu rutilant et liquide coulant sur des corps de bronze musclés rouges et or, perlés de gouttelettes de sel argenté et alanguis sur les matelas pneumatiques en mohair et Tergal qui poussent sauvagement au bord des plages de sable blond de préférence à l'ombre ciselée par les silhouettes dansantes de yachts immaculés, mais puissants, flottants légèrement à quelques brasses de l'écume des rochers au-dessus d'une eau cristalline traversée de jeunes éphèbes presque nus à la sexualité débordante et irrésistible... c'était le bain... après la sieste... avant les douches parfumées prises sur les pelouses émeraude piquées de palmiers et de rhododendrons quatre saisons en bouquets roses et jaunes et bleus vaporisés jours et nuits de bruines d'eau fraîche mentholée sponsorisée par Vivendi... les chambres climatisées jamais en-dessous du troisième étage... face à la mer... ascenseurs pneumatiques et sonorisés... finir ses journées amoureuses on regardant se noyer le soleil... En bas, la Jaguar vert foncé décapotable avec sièges en pécari beurre frais... foncer sur la route parfumée qui sillonne entre les villas somptueuses vers les restaurants/night-clubs 4 étoiles...
Excuse-moi André, je m'étais laissé aller Tes images sont belles. Douces et dures. Elles disent en négatif l'absurde de ce que nous faisons. Elles disent en gris le rose de nos bonheurs délavés. J'aime bien ce ballon de plomb suspendu par miracle et pour quelques instants encore au-dessus du cercle de jeu. J'aime bien tes yachts, sans ombre, amarrés aux barbelés. J'aime bien tes corps détendus, étendus sur le béton fissuré, j'aime bien tes réverbères flottants qui n'éclairent plus que leurs reflets, nos rivages d'architectures faméliques, nos terrains de sport préfabriqués pour poupées Barbie. J'aime bien tes Mondrian de plage et les Calder épuisés que tu déniches à coup sûr. Sur quelle route as-tu vu ces fleurs désespérées ? Je ne sais pas combien de temps encore ton palmier solitaire pourra survivre. A-t-il assez à boire? Pourra-t-il s'échapper? Voyager? Changer d'air? J'aime bien tes images d'un monde infiniment gris, infiniment flou. Elles me sont familières. Je suis surpris d'y voir encore quelques sourires. Aux bords de la fin.
François Seigneur - Arles - 21/01/2002


Pointe de Jarre - Marseille - France1994
Photographie noir et blanc, tirage argentique, 7 exemplaires, 50 x 50 cm

Banlieue de Barcelonne 1999
Photographie noir et blanc, tirage argentique, 7 exemplaires, 50 x 50 cm

Piscine - Varna - Bulgarie 1995
Photographie noir et blanc, tirage argentique, 7 exemplaires, 50 x 50 cm

Banlieue maritime - Costa Brava - Espagne 1999
Photographie noir et blanc, tirage argentique, 7 exemplaires, 50 x 50 cm

Thermes - Mer Noire - Bulgarie 1995
Photographie noir et blanc, tirage argentique, 7 exemplaires, 50 x 50 cm

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