Florent MATTEI 

OSER l’autoportrait « à la chambre », c’est multiplier les charges et les risques en devenant à la fois « opérateur et modèle », avec la contrainte de devoir assumer chacun de ces rôles en l’absence du regard de l’autre : « l’opérateur » ne peut voir que le vide sur le dépoli tandis que « le modèle » prend le risque - sauf à s’astreindre à de longues répétitions - de sortir du cadre et de franchir les limites du temps qui lui est imparti pour prendre la pose. C’est ainsi qu’il faut de la rigueur et une double dose d’imagination pour se projeter des deux côtés de l’objectif.
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OSER l’autoportrait « à la chambre », c’est multiplier les charges et les risques en devenant à la fois « opérateur et modèle », avec la contrainte de devoir assumer chacun de ces rôles en l’absence du regard de l’autre : « l’opérateur » ne peut voir que le vide sur le dépoli tandis que « le modèle » prend le risque - sauf à s’astreindre à de longues répétitions - de sortir du cadre et de franchir les limites du temps qui lui est imparti pour prendre la pose. C’est ainsi qu’il faut de la rigueur et une double dose d’imagination pour se projeter des deux côtés de l’objectif.

Malgré tout, les contraintes imposées par le processus de prise de vue (qu’il s’agisse du chargement du film, du procédé lui-même, qui impose une prise de vue unique, loin des images en rafale des appareils de prise de vue actuels) sont également - par la part de hasard qu’elles engendrent - source d’accidents souvent heureux, qui viennent construire à leur manière le récit de l’œuvre finale. Ces imprévus seront parfois même sciemment recherchés - provoqués presque - en introduisant une part d’improvisation dans les poses, comme dans la série Fade to gray, qui comprend 23 autoportraits devant un arrière-plan constitué d’un tirage photographique en taille réelle qui reproduit… une vue du mur de l’atelier, en négatif. Figer ainsi le cadre lui donne une intemporalité, une pérennité qui vient compenser les difficultés à préserver l’existence du lieu, à lutter contre la fragilité de l’environnement de travail de l’artiste.

Dans la série Totem, les objets meublant l’atelier qui sont en réalité dissimulés derrière le décor occupent le devant de la scène, mis en valeur par un classement, un référencement permettant de dresser un inventaire du lieu et de faire « sortir de l’ombre » les accessoires et outils du photographe. Ces « empilements » méritent bien de prendre la pose à leur tour, héros discrets, humbles figurants d’ordinaire, recrutés selon les besoins des fictions construites devant l’objectif.

Le fond photographique lui-même, traditionnellement source de fiction « valorisante » (on posait autrefois devant des fonds représentants de beaux paysages : on pensera à cette image connue de Michael Nash d’une femme posant devant un fond peint champêtre au milieu d’un champ de ruines) sert aussi à dissimuler ou à faire apparaître ces objets indispensables mais encombrants comme dans la série Baisser Lever. On pense également au déclenchement de l’obturateur, « clin d’œil mécanique » qui offre à voir, c’est selon, le réel et l’envers du décor, représentés côte à côte.

Cette déclinaison de l’usage du fond photographique permet aussi à Florent Mattei d’assurer à la fois la pérennité de l’espace de travail puisque transposable en tous lieux et en tout temps. Le cadre devient ainsi intemporel, lieu de réflexion, de méditation, reflet des processus magiques intervenant au sein de la chambre photographique.

Or, on le sait, la magie s’accompagne de rituels. On imaginera donc que dans le secret de l’atelier s’accomplissent de complexes chorégraphies, destinées à faire apparaître l’image finale, « révélée » : mise en place du « monde » en arrière-plan, calcul des distances et des temps de pose, insertion du film dans son châssis, premiers gestes esquissés devant l’objectif, allers et venues des deux côtés de la lentille, pose et prise de vue, enfin.
Petit à petit, étape par étape, le rituel se transforme en image.

Alain Ramette
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Fade to Grey 2024
 
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