Le voyage en Quadrige de Mastorna
Comment transformer un simple chat noir en une Panthéra Nébulosa ?
Comme ils n’arrivaient jamais, eux, à se coucher de bonne heure, ils avaient pris l’habitude d’accompagner ces soirées de liquide moussant, pas de l’Obao, si vous voyez ce que je veux dire…
De cette grande oisiveté d’artiste, qui en fait toute la qualité, mais à la limite de la bien séance, les contacts entre semblables se fabriquaient et les projets tombaient comme des mouches ( c’est un peu exagéré). L’intelligence n’était pas étrangère à ces considérations, deux de leurs illustres prédécesseurs, Federico Fellini et Dino Buzzati, d’ailleurs n’avaient ils pas été, eux aussi, disposés à façonner un scénario fantastique, qui allait s’avérer être le chat noir de Fellini. De nombreuses années après la mésaventure de ce film laissé en jachère, nos quatre amis n’ont ils pas eu ce désir un peu fou de transformer un chat en panthère. Vous méritez quelques explications car la métaphore est un peu exagérée, mais colle pas trop mal au sujet.
Alors, le chat noir c’est pour le scénario « Le voyage de Mastorna » écrit par Fellini et Buzzati, à la suite duquel Fellini apprend qu’il a un cancer, mais en fait c’est pas vrai etc etc… Et la panthère c’est l’extrapolation du mot panthire en peinture, citation en soit disant yiddish, d’un film de Gérard Oury, « Rabbi Jacob »…
Bref, il faut parfois un imaginaire très fort pour échapper à la commande.
Revenons donc à cette fameuse commande, les images qui peuplent le scénario d’origine sont un vivier pour des artistes plein de joie de vivre, véritable manifeste à la vanité, celle de l’histoire de l’art, la mort n’est elle pas la chose qui nous inspire tous, et si après patin, et si après couffin…
Nos quatre complices sont des experts en démontage et remontage des systèmes, ils sont chacun dans leur territoire et en même temps dans le projet qui les réunit. Leur proposition nous emmène dans cet espace rêvé, à mi chemin entre la fiction et la friction de neurones.
Les visions se développent dans cette exposition à travers les fantasmes de Buzzati et de Fellini, désirs de mots jamais devenus réalité, si tant est qu’une réalité existe au cinéma. Céline, Maxime, Antoine et Arnaud sont des fabricants de désirs, les leurs, ceux qu’ils se sont appropriés à la lecture du scénario abandonné. L’espace envahi des œuvres de ce quadrige nous fait revivre ce que le monde a raté. Superstitieux Fellini avait renoncé à réaliser ce film, pourtant très prometteur, cependant toute son œuvre allait en être imprégnée. Chaque image sera distribuée dans un autre film ou parfois nous aurons l’impression de l’avoir vu, à tord.
Nous pouvons ressentir comme une forme d’anthropologie - archéologie contemporaine dans le dispositif utilisé par notre quadrige, capable d’exhumer non seulement des signes, mais des rêves du fantastique duo Fellini - Buzzati.
Les mediums sont, dans ce projet, le terme le plus approprié à ce sixième sens. La sculpture, la peinture et le dessin expriment toute leur force et leur détachement, ici rien n’est autre que construction et volonté, là tout est assumé, fragile et puissant, les si(n)gnes sont généreux et beaux.
Gilbert Della Noce, 2016 |
Vue de l’exposition collective Cortèges & Colosses, Aldébaran, 2018 |
Vues de l’exposition Inventeurs d’aventures, Friche de la Belle de Mai, Marseille, 2017
Photographies Leslie Moquin |
Vue de l’exposition Le cortège et Palanquin, Chantier des collections, Musée des beaux arts Palais Carnolès, Menton, 2016 |
Vue de l’exposition Manifestement sans fin, Espace Larith, Chambéry, 2016 |
Le cortège 2015
Vues d’exposition, Villa Cameline (Maison abandonnée), Nice, 2015 |
“Tu vois la mer ? ce n’est pas à ça qu’elle doit ressembler !”
F. Fellini, Je suis un grand menteur, essai documentaire, 2003
Que ce soit par des situations absurdes, de nouveaux espaces vierges à parcourir, la réécriture de scènes mythiques ou encore la création d’un monde en décrépitude, le rapport au réel et à la réalité de la création elle-même est devenu l’un des points essentiels de nos discussions à l’origine de ce projet.
Face à la prolifération de moyens permettant de reproduire ce qui nous entoure, encouragée entre autre par les avancées numériques, défendre l’importance d’une pratique plastique permettant de fabriquer et penser une réalité plutôt que de produire un trompe l’oeil nous apparait cruciale.
Fellini, qui a fait du cinéma un Théâtre, se retrouve dans l’idée foucaldienne “la volonté de vérité contre celle-là même”. Le fait qu’il ne soit pas question de fabriquer quelque chose qui ressemblerait à une autre le place comme personnage central et inévitable de cette réflexion. Le projet abandonné de Fellini, Le voyage de G. Mastorna nous semble être le parfait point de départ de la mise en place d’un espace de réflexion et de création à la fois collectif et individuel.
C’est juste après avoir terminé un de ses chefs-d’oeuvre, Huit 1/2, que Federico Fellini se lance dans le plus ambitieux de ses projets : Le Voyage de G. Mastorna. “Génial, mais démesuré et coûteux, le film ne verra jamais le jour et restera le grand regret de Fellini. De rares traces subsistent néanmoins : des essais de Mastroianni pour le rôle-titre, quelques photos de tournage et un synopsis magnifique, écrit en collaboration avec Dino Buzzati et Brunello Rondi.” Ed. Sonatine, Post-face, Le voyage de G.Mastorna, traduit de l’italien par Françoise Pieri, 2013.
Ce champ inexploité et quasi vierge de toute iconographie laisse libre court à chacun d’entre nous d’y apporter son interprétation, son univers. Tout est à y réinventer. Chacun de nous a le loisir de donner sa vision des scènes relatées dans le matériau source ou encore d’y apporter sa subjectivité, ses propres bagages dont émerge une réécriture, un nouveau scénario, un nouveau voyage, celui de l’exposition.
Céline Marin
Antoine Loudot
Maxime Parodi
Arnaud Rolland |