Tirée a quatre épingles
Dans sa dernière série de clichés, Natacha Lesueur expose des têtes coiffées.Elles n’ont pourtant rien des images de mode.Ces crânes travaillées, mis à nu dans leur moindre détails, stimulent notre voyeurisme.
Natacha Lesueur choisit ses modèles avec attention et travaille toujours sur le motif.
Dans sa dernière série de coiffures, des visages de femmes font figure de socles sur lesquelles reposent d’extravagantes sculptures éphémères. Fruits secs ou bouquet de crevettes sont montés en pièces uniques, architecturées, élancées et festives. Communion chromatique et mariage de saveurs relèvent d’une cuisine complexe où la virtuosité culinaire sert à fabriquer des images.
Natacha Lesueur est en effet photographe. Elle travaille l’image et le corps, emprunte aux métiers de la bouche mais s’adresse à notre œil. Elle développe son projet depuis plus de 10 ans, conserve les mêmes ingrédients et évite les recettes en remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier. Elle produit des séries, qui se suivent sans se ressembler, se déploient en une infinie variété, résonnent entre elles et font unité même du travail.
Des écailles bleutées posées sur les paupières closes d’une jeune fille font écho aux différents yeux de Barbie, qu’elles peint parfois à même les murs de l’exposition et qui regardent le spectateur. Cette image renvoie à une autre série où lunettes et arcades sourcilières sont couvertes de caramel et de dentelle de sucre filé. Voilé, occulté, vide ou fuyant, le regard du modèle et celui du spectateur sont au centre du travail.
Les coiffures en haut-relief prolongent les casques ou bonnets de bain.
Alors que les crânes pris dans de la gelée offraient une surface lisse et brillante, les nouvelles coiffures, véritables postiches, laissent apparaître les cheveux en mèche ou en touffe. Les modèles sans véritablement nous faire face, présentent leur visage et non plus leurs nuques.
Une autre série de torses d’hommes, tables humaines marquées de ronds de verre, rappellent les signes écrits à la moutarde sur le dos des femmes des femmes. Si le tanin remplace la rougeur de l’irritation, la peau reste la surface ou s’inscrit la trace, le corps en est toujours le support.
Monumentales par leurs formats et leurs compositions, ces photographies, à l’inverse des images de mode, montrent dans les détails toutes les marques de fabrication. Les clous et épingles qui fixent les aliments aux cheveux, la poudre, les blushs, qui recouvrent la peau et en transforment le grain autant que la couleur, les imperfections même des visages, les textures de fonds, tout concourt à des images des images plus crues qu’il n’y paraît.
Il ne suffit pas de balayer de l’œil la surface brillante de l’image. Il faut prendre le temps d’en saisir la profondeur, pour comprendre combien ces photographies, faites à la chambre, ont une saveur qui se développe en bouche bien au delà de la sensation première.
Claude-hubert-Tatot
Tirée à quatres épingles, 360°, Novembre 2003 |