Texte de Robert Fleck, 2000
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Natacha Lesueur s'est imposée ces dernières années en France comme l'une des jeunes artistes les plus prometteuses, par une oeuvre particulièrement cohérente et personnelle. Depuis maintenant cinq ans, trois thèmes forment les axes déterminants de ce travail.
Natacha Lesueur travaille dans un premier temps sur le corps, avec une idée du corps meurtri, fragmenté et parcellisé, accentué par le cadrage photographique, adouci par une esthétique positive, neutre, voire conviviale, inspirée de l'esthétique publicitaire contemporaine dont le dispositif tout entier constitue également une critique ironique. Avec l'idée du corps comme une surface d'inscription des différents effets de pouvoir, l'artiste reprend à son compte, en quelque sorte, l'un des paradigmes artistiques du début des années quatre vingt-dix. Mais la manière précise, froide et anti-expressionniste avec laquelle elle aborde cette problématique, constitue également une critique du caractère moralisateur ou idéologique du «retour» de l'art corporel au début de la dernière décennie.
Le deuxième thème de l'artiste est la nourriture, plus précisément l'idée de la sculpture éphémère, biologique, «voire naturelle», associée au corps humain. Avec cette description, on pourrait penser à un art anecdotique, voir naïf. Des sujets comme «la nourriture dans l'art» ou la sculpture éphémère/biodégradable» donnent généralement lieu à des travaux peu réfléchis, restant souvent au premier degré d'une relation romantique à l'être et à la nature. Chez Natacha Lesueur, on se trouve à l'opposé de ce phénomène. Son utilisation d'aliments et de diverses substances issus du domaine culinaire est hautement réfléchie. Elle agit comme contre-point envers la thématique du corps humain. Les sculptures portatives composées de nourriture agissent chez Natacha Lesueur comme une série de propositions légères sur des possibles sculptures «à degré zéro», libérées du poids historique et tradidionnaliste de la sculpture. Il s'agit à la fois d'une réflexion sur les modes de vie contemporains et d'un jeu d'humour particulièrement cruel et dévastateur envers les poncifs de la culture contemporaine, post moderne ou appropriationiste. La nourriture apparaît, chez l'artiste, comme un élément inattendu destructeur d'illusions.
Le troisième élément traite de la photographie, ou plus précisément de plusieurs changements récents dans le statut de l'image photographique. Comme chez Rudolf Schwarzkogler ou Cindy Sherman, la photographie opère ici en mise à distance de la transformation corporelle qu'elle représente, par rapport au danger expressionniste de l'art corporel. Les images de Natachaa Lesueur sont particulièrement précises, fabriquées par l'artiste même dans son atelier, mais avec des conditions techniques quasi professionnelles (chambre, négatif à grand format, impression à haute qualité). D'une manière délibérée, Natacha Lesueur supprime de ses images tout ce qui pourrait rappeler l'histoire de la photographie et son esthétique bien codée, au profit d'une image neutre, presque a-culturelle, qui est celle des médias et de la publicité contemporaine. En associant un corps humain à la fois parcellisé, cosmétique et séduisant, aux substances alimentaires et à l'idée d'une sculpture expressive, ainsi qu'à une médiation anti-personnelle véhiculée par la publicité, Natacha Lesueur crée un dispositif multiple, contradictoire, bourré de pièges, qui tente vers la mise en abîme des illusions corporelles et psychologique du monde contemporain. |
Over the last few years, Natacha Lesueur has proven to be one of the most promising artists in France, owing to a particularly coherent and personal body of work.
Natacha Lesueur works first with the body, with an idea of the battered, fragmented, divided body, accentuated by photographic framing, and softened by a positive, neutral, even convivial esthetic inspired by contemporary advertising's, whose mechanismas a whole also constitutes an ironic critique. With the idea of the body as a surface of inscription for power's various effects, the artist makes one of the artistic paradigms of the 1990's her own. But the precise, cold and anti-expressionistic manner in which she treats this problematic also constitutes a critique of the moralizing and ideological character of body art's "return" at the beginning of the last decade.
The artist's second theme is food, more precisely the idea of ephemeral, biological - that is "natural" - sculpture associated with the human body. Such a description might lead one to think of an anecdotal, even naive art. Subjects such as "food in art" or "ephemeral bio-degradable sculpture" generally provide for works which are poorly thought out, and take the romantic relation between the human being and nature literally. Natacha Lesueur is at the very oppositie of such a phenomenon. Her use of food and diverse substances is given much thought It serves as a counterpoint to the theme of the human body. The portable sculptures composed of food in Natacha Lesueur's work act as a series of light proposals for "degree zero" sculptures, freed of of sculpture's historical and traditionalist weight. It is both a reflection on contemporary lifestyles and a particularly cruel and devastating game towards the clichés of contemporary, postmodern or appropriationist culture. Food appears in her work as un unexpected element to destroy illusions.
The third element deals with photography, or more precisely with several recent changes in the status of the photographic image.
As in Rudolf Schwarzkogler's or Cindy Sherman's work, photography here operates at a distance from the bodily transformation it represents, in relation to the expressionist danger of body art. Natacha Lesueur's images are particularly precise, fabricated by the artist herself in her studio, but with quasi-professional technical conditions (darkroom, large-format negatives, high-quality print). In a deliberate manner, Natacha Lesueur eliminates everything in her images which might recall the history of photography and its well-codified esthetic, in favor of a neutral, almost a-cultural image, conveyed by mass media and contemporary advertising. By associating a human body which is simultaneously divided, cosmetic, and seductive, to food substances and the idea of an expressive sculpture, as well as to an anti-personal mediation promoted by advertising, Natacha Lesueur creates a multiple device, contradictory and full of traps, tending towards the abyss of bodily and psychological illusions of the contemporary world.
Robert Fleck, 2000 |
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