Ahram LEE 

Le conte d’emploi

 

 

sois la bienvenue.
j’arrive, il y a une musique, animante. je ne l’ai jamais entendue. je vois des gens qui bougent, assez lentement. je vois que ces personnes sont équipées, ou déguisées. avec des bouées un peu petites, des frites, des lunettes de soleil roses immenses, des colliers hawaïens en fleurs artificielles, des chapeaux de magicien à paillettes, des masques de plongée, des jupes hawaïennes en papiers découpés. dans la cour où sont posés des bancs et des tables pliables en bois aux pieds verts métalliques, cinq personnes flottent. j’avais l’impression d’arriver à un mauvais moment, que je dérangeais, que j’ai coupé l’élan d’un repos intriguant dans un mode que j’ignorais.
je n’ai compris qu’au moment de l’arrivée des enfants, donc le lendemain, qu’elles.ils l’ont fait pour m’accueillir, pour me souhaiter la bienvenue. les enfants avaient l’air d’être habitués à ce code, contrairement à moi qui ne savais pas où me mettre. je ne me suis pas encore rendue compte qu’ici il fallait arriver enfant. ou, tout ce qui arrive est un enfant.
j’ai murmuré merci, toute seule, pour cet accueil que j’ai apprécié avec une journée de décalage.
alors, soyons bienvenues !

 

on fait l’inventaire, dès l’arrivée des enfants.
s’ils ont tout, s’il ne manque pas quelque chose, s’il faut aller acheter quelque chose, s’ils ont rien oublié. de l’argent, les téléphones portables, les objets de valeur, les bonbons sont confisqués, on leur rendra lors du départ.

 

le commerciale
est un métier. préparer ses marchandises, ouvrir sa boutique, soigner l’étalage, cibler la clientèle, imaginer les stratèges, simuler les premières visites des client.es.s, préparer les phrases attirantes, attendre les visites, attendre des imprévus, préserver la patience et le sourire, savoir dissimuler la déception, arriver à convaincre sans (donner l’impression) de forcer, ne pas soupirer derrière les client.es qui migrent dans une autre boutique, les suivre carrément, fermer la boutique étant toujours en stand-by pour la rouvrir, porter attention pour ne pas rater le bon moment,
et surtout ne pas vouloir à tout prix vendre au déprimant du plaisir des client.es.s
évident que c’est tout un art, hélas ce n’est pas cet art que je maitrise.
je suis néanmoins pas mal pour certains points, notamment la dernière qualité citée.

 

une fois par jour, souvent en fin d’après-midi, le forum se tient. pour faire un bilan de la journée passée, et aussi pour dessiner la journée du lendemain. vous avez passé une bonne journée ? qu’est-ce qui était bien ? ou qu’est-ce que vous n’avez pas aimé ? qu’est-ce qu’on va faire demain ? qui est d’accord ? et qui n’est pas d’accord ? alors qu’est-ce que tu proposes ? qui seraient intéressés par ça ? on se lève à quelle heure demain ? 8h ? midi ? si vous voulez, tout est possible. dans ce cas il faut se coucher à quelle heure ? qui peut expliquer comment calculer cela ?
au début, ils ne sont pas habitué.es à tout discuter et tout décider. petit-à-petit, au fil des jours, ils sont à l’aise avec ce principe, ils construisent leur journée ensemble, en fonction des envies de chacun. je ne peux que l’applaudir, même si ça ne m’arrange pas du tout.
il y a trois activités qui sont plus ou moins réservées. kayak, optimiste et paddle. ceux qui ne veulent pas ne sont pas obligés, mais en général la plupart des enfants souhaitent le faire. il y a piscine, jeux, plage, boom, tour de l’île et atelier d’art plastique, comme d’autres options pour remplir l’emploi du temps. ils discutent, ils évaluent leur journée, ils s’expliquent pourquoi c’était bien ou l’inverse, ils acceptent ou proposent des activités pour le lendemain. alors, comment rendre plus sexy ma proposition que la mer, le vent, le loup-garou, la piscine, la plage, le ping-pong ? telle est l’improbable mission de ces deux semaines.
les interventions s’infiltrent, s’intègrent, observent, attendent le moment pour attaquer, comme des guerrières.

 

c’est pas très covid, mais
dans une colonie de vacance qui dure la moitié du temps d’une quarantaine de quatorze jours, tout est compliqué. plus de cuisine collective, il faut aller manger à la cantine tout le temps. plus de self-service pour le petit déjeuner, il faut attendre qu’un adulte te serve. les livres lus se mettent dans la « poubelle » pour être laissés pendant 24h. tous les jouets, pareils. port du masque obligatoire, en dehors du dehors. plus de câlin, plus de jeux nécessitant des contacts, plus de contacts, plus de toucher, plus de geste collectif. il ne faut plus se coller.
on se masque entre la porte et la chaise de la cantine, juste quelques mètres, en se frottant les mains pour bien étaler le produit hydro-alcoolique, en reniflant l’odeur maintenant bien familière, à la fois angoissante et rassurante.
mais, petit à petit, mais on arrive à vivre, heureusement, il y a, mais.

 

chirurgie sans anesthésie.
une dizaine d’épines d’oursin sur le pouce du pied. apparemment, les épines restent vivantes, après implantation, avec leurs bras pointants qui s’ouvrent comme des chevilles. l’entrée libre, mais pas la sortie. il se retient, mais il finit par craquer, on lui a mis un bâillon dans la bouche pour qu’il morde, il souffles comme des femmes en accouchement, on claque des doigts autour de ses oreilles. et ça des dizaines de fois. le pied est dans l’eau de javel, qui désactiverait les épines vénères.
ce qui tient la pince ne s’ébranle pas, à travers les gémissements, les larmes, les râles, il doit se concentrer sur sa cible. sans bouger d’un sourcil, il est trempé de sueur.
deux resteront tout de même dans le corps.

 

le phare. reste au fond, assis, dans le noir. il s’allume ponctuellement. mais il ne peut pas se déplacer. normal, c’est un phare. les autres, oui. ils rentrent dans la pénombre, non dans la presque-pénombre, à quatre pattes. le phare ne doit rien voir, s’il voit, il cris le prénom.

 

il est le chouchou de tous le monde, il ne parle pas beaucoup, il est petit, il ne te répond presque qu’avec la tête, ou avec un seul mot, il est sage, il est calme, il est timide, il ne se met jamais en avant, il ne parle jamais fort, il ne parle presque jamais, il sourit rarement mais il sourit, même si ça ne dure pas très longtemps.
évident donc qu’on ne l’ai pas trouvé en loup-garou jusqu’à la fin. même avec son t-shirt de tête de mort.

 

il a vu quatre étoiles filantes rien que cette soirée, alors que je n’en ai vu que deux pendant toute ma vie.
alors que, j’ai presque quatre fois son âge.
il a conçu, avec son colon associé, l’extension du loup-garou en inventant et dessinant des personnages et leurs rôles.
le village s’endort.
cupidon, réveille-toi, tu désignes deux personnes que tu aimerais voir tomber amoureuses, et qui mourront ensemble lorsque l’une des deux meurt.
et ça continue, ça continue.
la nuit est longue dans cette nouvelle version. très très longue. presque à s’endormir, bien que tu es en train de dormir, en écoutant le maitre du jeu qui réveille un par un ses créatures pendant que les autres dorment.
réveille-toi, réveillez-vous.
et le village se réveille.
alors, tu as survécu cette nuit ?

 

une heure du matin, on ouvre une petite bière ou desperado ou cubanisto. les 9-11 dorment. les 15-17, eux, font un peu leur vie. on n’est pas censé consommer, et eux non plus. donc à une heure du matin, on est autour de la table de la cour du centre, à prendre un verre, c’est le moment de debrief de la journée, c’est là qu’on a un petit moment pour se poser pour discuter de ce qui s’est passé, raconter, commenter, conseiller, encourager, et s’organiser pour le lendemain. il arrive que, à ce moment-là, un 15-17 nous rende visite, descende la pente du centre, direction vers nous, là, on dit merde, et on dit vite vite, et on cache nos bouteilles comme on peut, et souvent sous la table, et la 15-17, elle a l’air d’avoir bu aussi, mais elle ne le montre pas, comme nous, elle est venue nous demander un truc, nous on répond avec une main en dessous de la table pour tenir la bouteille, elle ne s’approche pas trop de nous pour ne pas faire sentir l’alcool, nous savons tous les deux que l’autre côtés a bu, mais les bouteilles ne doivent pas faire surface, jamais, pourtant les bouteilles ça flotte, ça peut flotter, mais on les plonge, absolument, elles restent lourdes, elles ne remonteront qu’une fois les deux camps séparés, hop elle part, sans voir officiellement ce qui se passe sous la table, hop les bouteilles émergeront, avec des petits soupirs de soulagement.
quelle que soit l’heure où tu te couches, tu te lèveras avant les enfants qui se sont endormis il y a fort longtemps.

 

bien dormi ?
ouais, mais pas assez.

 

le vent se calme. je me dis que, peut-être. peut-être que ça va marcher. je ressens soudain une obligation de me précipiter d’activer tirer. il s’agit de faire une falaise bleu d’une phalange, avec de la poudre de maçon, sur une corde, sur un cordeau tendu.
le vent soufflait pendant trois jours, et là, il s’en est allé, c’est peut-être mon tour, mais peut-être pas pendant longtemps, peut-être il va revenir, alors je dois me dépêcher, pour profiter du moment sans souffle, avant qu’il revienne pour faire tout s’envoler. je tire la corde, entre deux poteaux du jardin, et je commence à saupoudrer. pratique le masque pour une fois. les enfants passent, restent sans respirer, se demandent ce qui se passe, observent. la respiration de l’air est calme mais existante, la falaise ne monte pas si haut, mais ça monte. le vent, ou la vibration du sol, ou la brisure d’un fil composant la corde, fera s’envoler la falaise, tant mieux, comme ça les enfants recommenceront à respirer, enfin.

 

gamelle
contacte
fureur
drapeaux
la nuit du musée
lucky luck
brancardiers
loup-garou
optimiste
ni oui ni non
phare

des mots qui deviennent excitants dans certaines circonstances.

 

il a donné une vie à son copain.
à quatre, on joue au pingpong en tournant. ce qui loupe la balle, s’élimine. les deux derniers qui restent font un duel, il faut faire trois, avec deux points d’écart. il est fort, il remporte souvent. quand tu gagnes le duel, tu gagnes une vie. elle te protège de l’élimination du début.
il donnait souvent sa vie à ses camarades, qui n’arrivaient pas trop à être qualifiés.
je te donne une vie, entre les souffles, drôlement touchant à entendre.

 

j’ai commencé à dessiner une piscine. vu d’un bord, à la hauteur des yeux. qui forme un trapèze. top. le trapèze. je passe ce dessin à mon voisin.
on commence à dessiner, et à chaque top, on s’arrête et on passe le dessin à son voisin. le voisin dessine, top, il passe son dessin.
Elle était une piscine, mais elle devient une télé, une série, un personnage, un ovni, un animal, un fou, un extraterrestre.
bien que la consigne soit de ne rien dire, l’atelier devenait vite assez bavard, évidemment.
pendant que la feuille se ballade sous les coups de crayon de chacun.e, quand c’est pas son tour, on dessine sur une autre feuille ce que l’on voit, pour que les autres devinent ce que c’est.

 

lors de la veillée cluédo, surexcité de son enquête pour trouver qui a volé le gâteau d’anniversaire, il a couru, il a sauté par deux les escaliers, et il a mal atterri. urgence, attelle, béquille, banc.
troisième soir qui a mal tourné. l’autre moitié du séjour sera beaucoup moins drôle, voire pénible. mais à la fin, quand on lui a demandé s’il a passé un bon moment, il a hoché la tête un grand coup, sans hésitation.

 

zaia est artiste voleuse. elle a volé un gâteau d’anniversaire parce qu’elle avait trop faim à cause de la quatorzaine durant laquelle elle n’a pas été très bien nourrie. mais elle ne le dit pas, et elle reçoit les groupes d’enquêteurs enquêtrices qui cherchent des indices. elle leur donne si elles, ils gagnent le bras de fer chinois. elle est très forte, donc elle a fini par jouer les deux bras en même temps, pour que les indices puissent leur être données. on lui demande si elle sait quelque chose sur le crime, si elle a vu quelqu’un de louche, d’étranger, elle leur dit qu’elle vient d’arriver, qu’elle ne connais personne ici. elle joue, mais elle a drôlement l’impression de mentir. lorsqu’on découvre que c’est elle la coupable, elle avoue qu’en fait c’était elle, qu’elle ne savait pas que c’était un gâteau pour une fête, qu’elle est sincèrement désolée de l’avoir gâché. mais elle a d’autant plus envie de dire qu’en fait ce n’est pas elle, pas pour de vrai, que c’est juste son rôle, qu’elle n’est pas zaia, qu’elle est artiste mais pas voleuse, qu’elle ne voulait pas les tromper, mais qu’elle était obligée de le faire car c’était son rôle.
le lendemain matin, quand un enfant dit, c’est toi la voleuse, elle répond que c’est zaia, pas elle, et elle se dit qu’elle comprend l’infime sentiment d’angoisse de la veille.

 

un verre d’eau par jour.

 

ils vont me mettre dehors aussi. on me l’a dit.
qui ? les fns ?
oui le pen et tout ça, s’ils gagnent, je ne serais pas tranquille.
mais, toi, t’es français ? tu es né ici ?
oui, mais, je suis algérien aussi, comme mes parents.
moi aussi, on va m’expulser, parce que je suis gitan.
nannn les gars, ils ne peuvent rien vous faire, ne vous inquiétez pas.
ah bon ? mes parents me disaient qu’ils nous chasseront s’ils gagent.
peut-être, s’ils gagnent, mais déjà s’ils arrivent à gagner ! c’est vrai que ça a l’air de monter, mais pour gagner vraiment, y a encore beaucoup à faire ! ils en sont pas là… et même, ils ne peuvent pas faire grand-choses pour les français.
ah bon ?
ben non, ben à moi, oui, ils n’ont qu’à annuler ma carte de séjour, et ça va m’embêter, mais toi, je ne sais pas comment qu’ils peuvent te faire quelques choses !
ok… mais ça fait peur quand même…
ça, c’est sûr… ben, c’est pour ça, il faut pas qu’ils gagnent, tout simplement…

 

ben il est habillé en clodo, dis donc !
euh… ben en fait…
non ? sérieux ! regarde comment c’est trop grand pour lui ! pfffff…
en fait… il est du secours pop…
oh mince…! je suis désolé, oh là là, je savais pas… c’était une blague hein…!
hé oui, je sais,
qu’est-ce que j’ai dit, oh là là…

 

les prénoms sont beaucoup plus facile à retenir si on a la liste avant, et si on a du temps pour jeter un coup d’oeil avant l’arrivée des enfants.
après, un petit lucky-luck peut carrément aider.

 

il ne faut jamais réveiller un enfant qui dort. jamais jamais jamais. s’il dort, c’est qu’il en a besoin.
chaque matin, il y a l’heure de réveille officielle, c’est-à-dire l’heure à partir de laquelle ils se sont mis d’accord la veille pour sortir de leur tente le lendemain. sauf qu’ils n’ont pas l’heure, comme leur portable est confisqué.
mais on ne peut pas leur dire à haute voix genre, allez, c’est le matin !, car il ne faut jamais les réveiller. alors, que faire ?
alors solution, quand c’est le moment du matin, le soleil dessiné sur un papier se glisse dans la tente.
quand le jour se lève sous la porte, tu peux sortir doucement dehors, pour rejoindre le monde un peu plus bruyant.

 

tu pourrais passer le bafa là, dis donc,
mais non il me manque pleins de trucs, je le sais,
mais si, ah quoi que juste un truc,
c’est quoi,
il faut que tu parles plus fort, on ne t’entend pas trop quand tu parles aux enfants,
ah ça, c’est mon problème de longue date, ça va être difficile de changer, ha ha, je ne l’aurai jamais ce bafa en fait !

 

les enfants du s.p.
sont plutôt ingérables, sont presque hyper-actifs, ont besoin de plus de cadre, sont plus distraits, sont plus bruyants, sont plus fatigants, demandent beaucoup d’énergie et d’attention, sont très énergiques, sont dynamiques, sont plus directes, sont plus francs, sont plus attachants, sont plus marrants, sont plus palpitants.

 

pourquoi il faut ranger sa chambre ou pourquoi il ne le faut pas
excite tout le monde. mais tout le monde s’excite pour déranger, pas pour ranger.

 

on a trouvé pleins de trésors. le long de la côte, on a trouvé, oui, des trésors, façonnés par les vagues, ou par le vent, ils ne luisent qu’au toucher. on les a lavés pour les retrouver délavés mais propres.
on les a disposés sur le rempart en marbre de la terrasse du restaurant du centre, vue sur mer. le retour ou la renaissance des choses.
on a aussi mené une expertise collective, et voici notre nouvelle collection pour le musée archécologique.

grille métallique du four de ratatouille
marmite de mini moïse
chapeau du mini moïse de Sahara
vitro de notre dame de paris de mini moïse
bambou du moyen âge
ticket de parking de ferrari
chaussette-soulier du premier noël
torchons de la pâtissière de marie-antoinette
baguette magique d’harry potter
euro million gagné de 2 milliard d’euros mais on l’a perdu
sens au diner de louis quatorze
mouchoir anticovid
première génération du gobelet transparent
et la deuxième avec rayures
tong de maui de vaïana
iceberg jaune
cendrier du moyen âge
gobelet préféré de di caprio qu’il a bu en regardant le titanic
carte de visite qui a conçu le jardin du centre brusc
ski du moyen âge
2ème version du crochet du capitaine crochet
ballon de christiano ronaldo
cuillère ayant servi pour manger la première glace
fossil en métal de serpent
emballage du premier fromage de paris
boucles d’oreilles de cléopâtre
le ruban qui séparait le guillotinage de louis XVI et le public
cheveux d’Elsa la reine des neiges
chouchou d’Elsa
cheveux de la méchante de la petite sirène
bouteille de champagne de 2 mille ans
bar
ballet de cendrillon


jacques est le gardien du musée archécologique. il garde la porte d’entrée. mais aussi, il ronfle. il ne dort pas en revanche. mais il ronfle, il parle en disant qu’il n’arrive pas à dormir à cause des rats, qu’il y a trop de rats dans ce musée. les voleurs rentrent à quatre pattes par la porte, se glissent sous les tables endrapées, passant par un parasol ouvert. jacques dort mais ne dort pas, il entend mais il n’entend pas. il ronfle et parle. il dit que ce ne sont pas des rats mais des éléphants. qu’il y a des éléphants la nuit dans ce musée. que les éléphants rentrent, comme s’ils étaient des rats, puis se cachent sous les table-présentoirs, et sortent de temps en temps leur nez pour attraper des trésors exposés. le fond musical ronflant continue.

 

il a bravement gagné le trésor le plus précieux. les boucles d’oreille de cléopâtre. il était si fier, si content. d’un coup, il fait une tête étrange, il dit, alors c’est parce que j’ai pris ça que c’est fini ? qu’il a compris que c’était lui qui a mis fin au jeu, un sincère regret inonde son visage, il n’en revenait pas. oui, mais le jeu était comme ça, ce n’est pas vraiment de sa faute, si ce n’était pas lui, ça aurait été quelqu’un d’autre. au bout de quelques douloureuses secondes, un rayon d’espoir se glisse dans son expression. il voudrait rendre son trophée pour refaire partir le jeu. les grands secouent la tête, non c’est fini, on ne peut pas reprendre. qu’est-ce qu’il était prêt à tout rendre, si la nuit du musée pouvait continuer !

 

chacun.e note sur un morceau de papier jaune, ce qu’on a perdu en un seul mot. sans explication. ensuite on commence à écrire, sur les papiers verts, ceux qui viennent dans la tête à partir des premiers mots des autres. on les pose à ses côtés.
après, chacun.e écrit concernant son mot, sur ce qu’il.elle a perdu. sur les papiers oranges.

doudou
douceur
coussin
odeur
doudou de naissance
perdu
remplacé
protection
meilleur ami
doudou pilou - pila
6-7 ans
colonie
infirmerie
attachement
attirance
triste
doux
marionette
blanc - gris
lui parler
signe
naissance
précieuse
dormir avec
l’avoir tout le temps

roxy
prénom
surnom
t-shirt
chien animal
peinture perdue
chien noir et blanc au ventre il s’est enfuit
i love roxy

dessin
dessins
armoire
important
ahram couleurs
banque
tout ce que je n’arrivais pas à jeter
piqué

rex
triste
film policiers
chien
chien animal
chien chocolat
chien de garde
problème piqure
berger allemand
rouge
tchoutchou
chien policier
je t’aime mon grand
adieu
;( i love you :)
pourquoi…
mon meilleur ami !!

bracelet
accessoire
multicolors
meilleure amie
sous l’eau
poignet
précieuse
important
meilleure amie
tête de mort
élastique
coloré, jaune violet rose vert bleu orange
sanary
mer
perdu non remplaçable
meilleure amie
fluo

 

ça changeait à chaque fois, comme toutes les légendes, mais en gros, il a vu quelqu’un la nuit dans la tente, au pied de son lit.
il a réveillé ses camarades, ils ont essayé de dire aux animateurs, sans réussir à les réveiller.
les habitants de la chambre ne se sont plus rendormis. pas très clair si les autres l’ont vu.

 

quand tu n’aimes pas gêner, quand tu ne veux pas déranger, quand tu as horreur d’ennuyer,
quand tu as peur de gâcher leurs vacances,
tu finis par préférer ne pas.

 

tu rames, tu rames, tu rames de toutes tes forces, mais tu n’y arrives pas, tu ne comprends pas, tu t’éloignes des autres, tu t’angoisses un peu, tu essaies de tourner, mais tu tournes dans un autre sens, tu t’éloignes, tu ne comprends pas, tu aimerais comprendre, mais tu ne comprends pas.
tu comprends au bout d’un moment que c’est le vent, le vent te repousse, te fait pivoter, te faire deux pas en avant et trois pas en arrière, te ramènes où tu ne veux pas, te roule, t’envoute.
tu te sens seule, tu te sens abandonnée, tu ne sais pas si tu es en danger ou pas, tu ne sais pas si c’est normal ou pas, mais tu n’as personne pour demander, tu as juste deux gamins dans ton kayak, et tu dois ramer. tu dois y aller, surtout. mais où, tu ne sais pas où tu es, tu n’as aucune idée où il faut aller, mais où. ça va ? tu te rends compte qu’il y a quelqu’un qui te parle. tu n’étais pas si seule, en fait. tu étais surveillée, en fait, quand même. tu as envie de crier alléluia, mais tu te retiens, et tu lui dis oui, tu dis, que tu acceptes de le suivre.

 

il se tient comme un homme. souvent il envoie son bras sur son dos pour enlever son t-shirt manches longues, un peu chaud pour la saison, et se met torse nue. de loin on aurait dit un mécano du texas. une clef dans la poche arrière de son pantalon, presque. on lui dit de remettre le haut, mais il faut insister. il marche comme un homme aussi, en secouant légèrement ses épaules qui balancent ses bras avec un contretemps bien comme il faut. il ne sait pas nager, mais il saute dans la piscine sans arrêt. enfin au bout d’une semaine il est presque devenu quelqu’un qui sait nager. il a la pensée qui va plus vite que sa langue, alors parfois il répète les syllabes ou les mots pour se ralentir. il dessine des bonhommes ressemblant à des trolls, mais il n’aime pas qu’on dise que c’est des trolls. il fabrique une chose avec de la pâte à modeler, puis il me demande si je vois ce que c’est. je lui dit que oui, un pistolet, mais que ça fait aussi un cerf. il me demande si j’ai des enfants, je dis non. il me dit, alors comment je le sais. je lui demande, pour le pistolet, ou pour le cerf. il me dit, pistolet. il trouve étonnant que je voie ce que c’est un pistolet, alors que je n’ai pas d’enfants. c’est vrai, où j’aurais vu un pistolet, alors que je n’ai pas d’enfants ?

 

il arrête de manger, il regarde. il regarde le bord de la table. au bord de la table, il y a une fourmi. il suit la fourmi avec ses yeux. mais non ! il crie. car son voisin de table vient d’écraser son arrière. il ne sais pas quoi faire. la fourmi a encore sa moitié vivante. elle bouge ses bras dans tous les sens mais elle ne peut plus se déplacer. il me regarde, puis me demande, s’il faut la tuer. je lui dis qu’il vaudrait mieux vu qu’elle a l’air de souffrir. il prend la carafe métallique, d’un air décidé, il l’écrase, le moment est étrangement long, ça fait un bruit indescriptible, ça lui fait souffrir les oreilles, il froisse tout son visage. et c’est fini.
deux jours plus tard, il s’est fait grave engueuler parce qu’il a quitté la table pour sauver une autre fourmi sur son coude. il a pleuré juste, sans se plaindre.

 

le langage des chacals.
bonjour c’est patate. ça va c’est fleur. et toi c’est parasol. merci c’est chaise. salut c’est kiri. quoi c’est ketchup. nul c’est mayo.
donc,
patate, fleur ?
ketchup ?

 

elle a des brins verts tout fins sur son index. ça se voit qu’elle en prend soin. en s’approchant, on comprend que c’est une mante religieuse. elle l’appelle, la chieuse. la chieuse est toute petite. elle approche son doigt pour que je la vois mieux, mais j’en ai un peu peur. elle rigole, me dit que c’est tout gentil, rien à craindre. je sais mais c’est juste plus fort que moi, je me dis. mais j’arrive quand même à la regarder, avec moins d’une distanciation sociale. la chieuse est magnifique mais a l’air si fragile également, ça fait une sensation presque comme une trouille. d’un coup, elle bondit de son siège, effrayée, en criant, la guêpe ! toujours avec sa chieuse sur la main, elle court dans tous les sens pour s’éloigner de son ennemie volante.

 

la valise, c’est hyper important, c’est la vitrine du séjour, c’est ça qui va tout résumer, il faut que ce soit nickel, je suis chiant avec ça, je sais, mais j’insiste, il faut que ce soit nickel.

 

vous perdez déjà du temps.

 

deux semaines d’immersion dans un milieu inconnu, voudrait aussi dire que tu te plonges dans des musiques que tu n’écoutes jamais. ou plutôt, ainsi tu te rends compte d’être une pièce rapportée, lorsque tout le monde chante ensemble à haute voix la chanson que tu n’as jamais entendue. tu t’en imprègnes, même malgré toi, tu repars avec, malgré toi, et cela restera un bon moment avec toi. parfois tu les entends par la fenêtre ou dans la rue en choral bien arrosé.

 

quelques aperçus de l’action rouvrir le monde qui s’est déroulé au brusc, du 3 au 18 août 2020 en partenariat avec acm gros pin / ccas territoire côte d’azur. elle consistait à intervenir auprès des groupes d’enfants de 9 à 11 ans et 15 à 17 ans dans la circonstance d’une colonie de vacance spécialisée en activité nautique en leur proposant des ateliers artistiques.

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