Sandra LECOQ 

Écologies Intimes
Julie Crenn
Galerie Irène Laub, Bruxelles
Tatiana Wolska, Dorota Buczkowska, Sandra Lecocq

 
Tout effort vers la connaissance est vain. Tout n'est qu'expérience et qu'aventure. Sans cesse, nous formons de nouveaux mélanges avec des éléments inconnus.
 
Virginia Woolf - Les Vagues (1931)
 

Une bouteille en plastique, un drap jauni par le temps, une feuille de papier, une chute de carton, de bois, un vêtement déchiré, les matériaux qui fondent les pratiques artistiques de Tatiana Wolska (1977), Dorota Buczkowska (1971) et Sandra Lecoq (1972) appartiennent au quotidien. Les trois artistes s’emploient à transformer et à sublimer le presque rien, la matière invisible, voire indésirable. Une économie de moyen est mise au service de réflexions plastiques, poétiques et politiques où le territoire de l’intime est exploré couche par couche, point par point, motif par motif. L’intime est traduit visuellement au moyen de formes sensuelles et organiques, des corps enlacés, de superpositions, de profondeurs, de matières textiles imbibées d’histoires anonymes, de mystères et de secrets. Ainsi, les sculptures organiques en bois récupéré de Tatiana Wolska génèrent des présences étranges, des corps organiques organisés en couches superposées. Les œuvres molles de Sandra Lecoq présentent avec humour, mélancolie et poésie des corps fusionnant dans l’entrelacement, ou encore un tapis-pénis multicolore formé de bandes de vêtements patiemment tressées. Les tableaux-sculptures de Dorota Buczkowska sont des assemblages intuitifs et spontanés de matériaux, de couleurs et de motifs. Ils peuvent être compris comme un journal intime -  sibyllin et polysémique - à travers lequel l’artiste rend visible les rythmes et les états de sa vie intérieure.
 
Les œuvres apparaissent comme les extensions de leurs corps, de leurs histoires respectives. Puisqu’elles ne sont pas frontales, il n’y a ni spectacle ni démonstration. Pas de cris, plutôt des présences muettes aussi rassurantes qu’inconfortables.

Elles proviennent d’un territoire traditionnellement invisibilisé et silencié : celui des modes d’existence des femmes. Par-là, à l’intime s’ajoute un silence assourdissant. Les trois artistes œuvrent à partir de leur quotidien. Les gestes répétés liés à la réparation, au recyclage, à la recomposition, au soin et à la métamorphose sont (in)directement issus du travail invisibilisé des femmes et du silence qui l’entoure. Tatiana Wolska, Dorota Buczkowska et Sandra Lecoq reproduisent et transcendent ces gestes et ces assignations faites aux femmes pour en élargir la portée. Chacune à leur manière, elles nous invitent à la rencontre de corps énigmatiques emplis de leurs expériences personnelles, de leurs résistances et de leurs récits. Il nous faut être attentifs et attentives aux matériaux, aux couleurs, aux formes, aux traces, aux indices et à tout ce qu’il se cache dans chacune des œuvres. Notre relation aux œuvres est inévitablement physique et sensible. Il nous faut aussi être à l’écoute d’une force proliférante inhérente à leurs pratiques où l’assemblage engendre une mutation constante des matériaux, des formes et plus globalement de l’espace de représentation. Une force que les trois artistes mutualisent d’une manière inédite en créant une œuvre à six mains. Conscientes d’appartenir à un écosystème où chacun.e est interdépendant.es, elles présentent un cadavre exquis motivé par une pensée de la symbiose, de la prolifération, de la modestie, de la sororité et d’une écologie de l’intime qu’elles partagent et transmettent avec une infinie générosité.

 
Fermer la fenêtre