Sandra Lecoq appartient à une génération d’artistes qui relève le défi de la peinture du côté de l’objet. S’il n’emploie pas les outils, les supports et les médiums traditionnels de la peinture, le travail de Sandra Lecoq procède bien simultanément du dessin et de la couleur. Dans le souvenir des gestes analytiques de destructuration du tableau initiés par Supports-Surfaces, l’artiste tresse et coud des tissus multicolores, en lieu et place du châssis et de la toile, qui donnent à ses pièces l’allure de tapis mormons qui auraient pris la tangente. Les dites pièces dessinant de surprenantes figures surdimensionnées de pénis. Nous sommes donc dans une histoire de désir, de désir masculin pourrait-on dire. Historiquement parlant, la peinture ne se donne-t-elle pas comme une succession de désirs d’hommes ? La jeune femme tisse donc ce fil qui la rattache à ces belles fileuses et tisseuses anonymes à la fibre maternelle qui, depuis les origines, enveloppent les corps de leurs enfants et de leurs amants. Mais ce fil la relie aussi à d’autres araignées du beau sexe plus célèbres, l’industrieuse Pénélope (la salope ?), la belle et ingénieuse Ariane, mais aussi la grande Louise Bourgeois, mère de toutes les suffragettes de l’art, maîtresse femme de l’aiguille et des ciseaux, Mesdames Lygia Clark, Annette Messager, Mesdemoiselles Polly Apfelbaum, Marie-Ange Guilleminot, Ghada Amer, Christelle Familiari, etc. Elles seront encore nombreuses, c’est sûr. Mais Sandra Lecoq part aussi et surtout sur les traces des “Ninis” de Kiga l’Indienne, le double désordonné et primitif de Gérard Gasiorowski, issu lui-même d’une autre fiction androgyne et duchampienne, celle de Rrose Sélavy. Ces “ninis”, donc, qui formaient autant de doudous ou d’objets transitionnels nécessaires à Gasiorowski pour envisager sa séparation d’avec Mère Peinture, avec laquelle il entretint, toute sa vie durant, des relations passionnelles à la limite de la raison. Aux chiffons d’atelier, sales et imprégnés d’essence de térébenthine, Sandra Lecoq susbtitue des étoffes multicolores et chatoyantes auxquelles elle donne une nouvelle dimension, à la fois monumentale et décorative, à la mesure de son désir de la peinture mais aussi de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve d’y accéder. On se souvient de cet autre geste de deuil de la peinture qui amena Marcel Duchamp à ouvrir une teinturerie avec Léon Hartl, à New York en 1922, afin de pouvoir se déclarer “teintre”... Il se pourrait que Sandra Lecoq soit elle aussi un peu “teintre” bien qu’elle n’utilise que des tissus ready made, il se pourrait aussi qu’elle soit un peu sculpteur. Les formes immenses et molles de la Fourreuse heureuse et autres Penis Carpet n’apparaissent-elles pas comme des relectures jouissives de certaines pièces du process art des années 70, comme celles d’Eva Hesse, dans lesquelles elle rejouerait l’idée la somptuosité de la peinture ? Patiemment, Sandra Lecoq tresse ses tissus et au fur et à mesure de la réalisation de sa natte, elle la coud en l’enroulant sur elle-même. Naissent ainsi des formes rondes, maternelles pourrait-on dire. Mais l’amour du sein ne dure qu’un temps on le sait. Viennent ensuite les formes oblongues et sexuelles péniennes qui se répandent au sol, sur les murs parfois, comme autant de taches de peinture, pollutions diurnes de la pensée amusée. Splash. Encore un acte manqué, quelle impudence. Soutendue par l’idée du lien, du noeud oserait-on dire, cette pratique émane bel et bien de l’inconscient, de “l’âme de la femelle sauvage” pour reprendre le titre d’une peinture sur couverture The Female Wild Soul. Processuel, le travail se construit au fur et à mesure de cet ouvrage de dame sans souffrir de repentirs, à la manière de la grande peinture, celle initiée par le sexe fort. Le geste, familier aux petites filles qui, ont le sait, apprennent très tôt le métier de coiffeuse aux dépens de la tignasse de leurs rivales de mère et de celle de leurs souffre-douleur de poupées, est automatique et répétitif. Dans cette pratique finalement assez monomaniaque que l’artiste effectuerait sans y penser, tout en gardant un oeil sur l’enfant qui joue, les amis qui passent, la vie simplement, Sandra Lecoq rejoue de manière faussement résignée le principe duchampien de désoeuvrement. “Qu’est-ce que je peux faire ?, je sais pas quoi faire...” disait l’héroïne de Pierrot le fou en fouettant l’eau du rivage de ses longues jambes ennuyées pour essayer d’extirper son bien-aimé à ses ambitions littéraires. Hey Man, méfie-toi des femmes qui s’ennuient, elles finissent par ravir tes désirs. |