Jérémy LAFFON 

Visite guidée # 1
Visite guidée # 2
Visite guidée # 3
 
Précisément bricolés, par Nicolas Fourgeaud
édition Astérides, 2010 (extrait)

Le point de vue subjectif au cinéma consiste en la représentation du point de vue d’un personnage : la caméra est installée « littéralement » à la place du personnage. Des effets de distorsion dus à la focale adoptée ou des filtres peuvent parfois venir accentuer la représentation de la subjectivité du point de vue. Plutôt que de travailler sur cette subjectivité dramatique, plusieurs des vidéos de Jérémy Laffon sont le résultat d’un dispositif dans lequel la caméra n’est plus que le vecteur d’un point de vue approximatif - une sorte de radicalisation du point de vue subjectif. Ici, pas de personnage à l’écran, ou de manière très accidentelle. Dans Visite Guidée #1, (Alea), l’artiste emballe soigneusement une caméra dans laquelle il va shooter pendant une demi-heure, tout en déambulant dans les ruines d’une abbaye. Les choses et événements qui apparaissent dans le champ sont enregistrés, le point de vue au ras du sol et les mouvements assez indéterminés de la caméra ne laissant voir l’environnement que de manière limitée. Dans une visite guidée, le plus souvent, un guide indexe des objets publiquement accessibles ou partageables en vue de les rendre intelligibles par un discours à une audience. Avec quelques adaptations, un film peut parfaitement remplir ce rôle. Simplement, pour cela, il faut que certains impératifs de la représentation filmique standard soient respectés : stabilité du cadre, focalisation sur des objets spécifiques, montage didactique, etc. Les « visites guidées » de Jérémy Laffon transgressent tous ces impératifs d’accessibilité, d’informativité ou d’intelligibilité.
  On pourrait décrire ces visites comme des actions de performance destinées à l’enregistrement [1], celui-ci étant réalisé avec une « caméra embarquée » [2]. Selon les versions, l’artiste décide ou non de valoriser le dispositif technique qui permet à la caméra d’être déplacée. Ainsi dans Visite Guidée # 2.0 (ilinx), 2009, des plans en inserts dévoilent la canne à pêche et le moulinet qui permettent à la caméra de grimper le long des murailles de la cathédrale d’Albi. Douglas Huebler, dans une Duration piece fameuse, s’impose de prendre dix photographies dans Central Park en tournant à chaque fois l’appareil dans la direction d’où surviendraient des chants d’oiseaux. L’œuvre finale est composée des photographies réalisées et de l’énoncé des contraintes qui ont guidé leur réalisation. Dans les vidéos de Jérémy Laffon, les contraintes sont parfois données à comprendre par la pièce elle-même. Mais lorsque c’est le simple produit de la captation qui est favorisé (Visite Guidée # 2.1 (ilinx), 2009), on frôle des résultats dignes d’un certain cinéma expérimental historique. Loin de vouloir atteindre à une très hypothétique abstraction cinématographique ou vidéographique, le travail effectué ici n’est compréhensible que si l’on mobilise le cadre exploité par l’artiste, soit la visite guidée. Il serait sans doute assez hilarant de comparer ces oeuvres bricolées avec certains films de Stan Brakhage par exemple, tant les intentions artistiques divergent malgré quelques ressemblances formelles. [...]
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