Depuis plusieurs années, la question du déplacement est au cœur du travail de Lina Jabbour. Les premiers travaux renvoyaient à un discours identitaire fortement politisé, notamment avec La diplomatic, une représentation de la Peugeot 305 en sac Tati (bleu-blanc-rouge) qui convoquait les thèmes de l’étranger, de l’exil, de l’errance et de l’identité. Peu à peu, sa pratique a évolué vers une esthétique davantage marquée par un vocabulaire onirique, comme si la question du statut de l’étranger s’était lentement substituée à celle de l’étrange.
Avec Still life with a skull, Lina Jabbour prolonge un travail commencé notamment avec Desolation land et qui met en place un univers habité par un bestiaire inquiétant dans lequel se confronte sa pratique du dessin à celle de la sculpture. Si le titre de l’œuvre fait référence à un genre pictural très marqué - la vanité - la pièce emprunte cependant à des registres qui dépassent la question de la peinture.
L’installation est composée de plusieurs éléments : une sculpture, des peintures murales, une composition musicale originale de Julien Hô Kim. Une pieuvre en skaï noir est placée au centre d’une saynète dont elle est à la fois l’actrice et la spectatrice. La rencontre de ces différents éléments n’offre aucune lecture univoque, mais propose au spectateur différentes pistes de réflexion et d’interprétation.
Le choix du motif de la pieuvre, présentée ici dans des dimensions quasi monstrueuses, est habituellement associé au registre du récit fantastique, mais il apparaît accompagné par une bande sonore légère, mélodieuse, presque bucolique, qui donne à l’animal une certaine fragilité et accentue l’impression de décalage.
Le décor dans lequel évolue la sculpture rappelle les décors éphémères des plateaux de cinéma. La peinture murale joue avec la notion de trompe-l’œil et évoque une hybridation énigmatique entre une fourrure et une vague qui semble avoir été sécrétée par la pieuvre elle-même, comme si elle tentait ainsi un camouflage désespéré.
En vis-à-vis, une autre peinture offre le même brouillage des signes, on peut y voir aussi bien un ciel de nuages qu’une cartographie. Seul élément parfaitement identifiable de l’ensemble, un crâne se dessine à l’extrémité de l’ensemble, faisant ainsi écho explicite au titre de la pièce.
Le spectateur se retrouve au cœur d’un univers complexe dans lequel les échelles se heurtent et s’inversent, les territoires de la sculpture et de la peinture se contaminent, les genres se mélangent. Les éléments cohabitent les uns avec les autres, sans prédominance, ni hiérarchie, pour former une sorte de haïku démesuré et absurde qui évoque, plus qu’il ne décrit, une situation incongrue.
Claire Guezengar |