Isa Barbier propose des installations en suspens esquissées par un ensemble des traces élémentaires. Les linéaments de son œuvre sont faits de plumes glanées en bord de mer, de feuilles et de branches ramassées dans la montagne, de traits tracés sur le papier, de balsa et de corde à piano réunis en compositions géométriques minimales. Tous relèvent du dessin, qu’ils se développent dans une architecture ou sur papier. Ainsi, se déploie, dans l’espace et dans le temps, une ponctuation silencieuse et musicale dédiée à la vie sensible.
Les dessins sur papier sont composés de traits fébriles et fragiles qui apparaissent en haut de la feuille pour s’évanouir plus bas. Ces lignes verticales rendent palpable le mouvement qui les a fait naitre. La trajectoire de la main engage l’ensemble du corps dans une chorégraphie de chute. Le geste, toujours identique et différent, est répété dans une forme d’ascèse. La trace vit et meurt comme un souffle. Elle marque un passage, retranscrit le flux d’une énergie vitale. Certaines lignes de vie se croisent parfois. Les outils varient : encre, mine de plomb, craie, crayon, aquarelle. Les papiers sont choisis pour leur transparence, légèreté et grain. Il s’agit le plus souvent de papier de conservation. Les feuilles, parfois doublées, demeurent libres, simplement épinglées au mur, de façon à interagir avec l’espace environnant. Les dessins apparaissent comme des cartographies élémentaires du temps. Leur observation se doit d’être lente et silencieuse. Ainsi, ils peuvent évoquer les sillons de la peau où se frotte les années ou celui d’un ruisseau où l’eau vive aux milles reflets file inlassablement. Une sonorité vibrante, ondulatoire et fluctuante se dégage de ces dessins apaisants, curatifs presque.
Ces traces filantes entrent en résonance avec les fils presque imperceptibles qui sous-tendent les installations de plumes. Disposées telles des notes sur une partition de musique jusqu’à créer une forme minimale, elles déploient un dessin dans l’espace. Chaque installation est pensée et réalisée précisément en fonction du lieu qui l’accueille, de son architecture et de son histoire. Chacune s’y inscrit de manière fusionnelle.
L’œuvre, réceptive à son environnement, aux moindres fluctuations extérieures, prend vie. Ce spectacle ténu invite à un voyage immobile. Il propose une connexion avec l’air et la lumière, l’espace, la matière, le mouvement et le vide.
Ainsi, les plumes peuvent devenir, présence en suspens, flocons de neige ou gouttes de pluie d’une apaisante accalmie, nuées volatiles et paisibles, grains de poussière dans l’immensité de l’univers. Les ombres semblent contenir une épaisseur de silence ; elles offrent aux plumes une pesanteur particulière faisant perdre la notion du temps et nous laissant croire qu’elles rendent compte du bruissement de l’univers.
Les formes qu’Isa Barbier dessine dans l’espace participent d’une symbolique en lien avec le passé. Des figures géométriques élémentaires –carré, cercle, triangle, losange,- ou des motifs ancestraux comme la barque ou la fente, évoquent l’idée de passage. La plume renvoie à cette fonction de passeur, d’intercesseur. Présente dans le rite de la pesée des âmes dans l’Égypte ancienne, elle habille Hermès, messager des Dieux, et plus généralement, les anges. La pointe de cire par laquelle fils et plumes sont reliés rappelle à nos mémoires le mythe d’Icare. Les fils, enfin, qui s’entremêlent parfois délicatement, font songer à ceux de la destinée humaine que les Moires tissent, déroulent et coupent. Lors du décrochage, ils seront réunis en grappe jusqu’à former une œuvre nouvelle, autonome gardant en mémoire l’installation passée. La Chevelure de Bérénice fait écho, dans la mythologie grecque, à la naissance de la constellation éponyme ; preuve qu’un résidu puisse vivre plusieurs vies, résister au temps et devenir une galaxie tenant dans une main.
Tout comme les installations de fils et de plumes interagissent avec l’espace et l’architecture, les compositions géométriques et minimales faites de balsa ou de corde à piano à même les murs, soulignent en lignes et en musicalités les lieux où elles se nichent, créant des contre-points et des respirations à la frontière entre le dessin et l’installation. Le végétal est aussi matière à dessin dans l’espace. Collectés au gré des ballades, feuilles, branches, aiguilles de pin, pétales sont peu retravaillés et mettent en avant les gestes qui ont permis leur réalisation. Tout un vocabulaire propre à la cueillette et au prélèvement se développe, bien plus que celui du faire ; pas de bricolage, peu d’outils même rudimentaires mais des gestes et actions élémentaires qui se répètent. Certains éléments subissent des traitements de conservation et de fixation (épingle, résine, colle). Les formes engendrées demeurent primordiales et subliment la beauté irrégulière, imparfaite des brindilles et des « presque rien » qui sont à portée de main. Les carnets de cueillette de l’artiste qui se lisent avec plaisir et restituent son goût pour les haïkus, dessinent en creux son rapport au monde, furtif et discret.
L’œuvre d’Isa Barbier est simple et épurée, en termes de technique, de matériau, de mise en œuvre et de concept. Les actions de l’artiste sur le monde s’inscrivent dans une forme de contemplation et non de production ou d’exploitation. C’est dans cette forme de dépouillement qu’elle prend toute sa richesse et portée. Isa Barbier instille un rapport direct et intime à l’œuvre, qui se passe du filtre du langage pour atteindre l’expérience sensible sans jamais flirter avec le sentimentalisme ou le décoratif. Elle n’interroge pas une idée ou un concept, elle ne communique pas une position sur le monde, elle propose d’en faire l’expérience dans une sobriété heureuse. Cette œuvre méditative, qui appelle au dépouillement, à l’équilibre, à la lenteur, restitue une écosophie à mi-chemin entre le zen et le less is more. À l’ère où l’être humain a un tel impact sur l’écosystème, Isa Barbier met en perspective les pratiques du dessin et de l’in situ dans un autre devenir possible intégrant des manières pacifiées et respectueuses d’habiter la terre.
Arrête-toi un instant
Rebecca François, Attachée de conservation au MAMAC |