« Ecrire l’espace comme un livre d’histoires » par Lamia Berrada-Berca.
Ecrivaine et professeure de Lettres Modernes et journaliste. Septembre 2013
Chourouk a le cheveu en bataille, un tempérament de feu, un enthousiasme et une énergie communicative. De son travail ressort, brut, l’élan vital d’un monde traversé de flux et de résonances qui dessinent un univers imaginaire, mais parfaitement structuré. Quelles frontières trouver entre elles puisque les éléments, poreux, se lient pour se démultiplier ensuite en combinaisons nouvelles ? Le dessin esquisse un monde en perpétuel mouvement qui décide de ses propres limites et les franchit à nouveau avec une formidable jouissance…Si le dessin est « trace et métaphore du passage », (…) il s’organise volontairement autour de lignes de fuite pour dispenser la promesse de nouveaux horizons. Travaillant debout sur des échafaudages à plusieurs mètres du sol, elle écrit l’espace en même temps qu’il se découvre à lui, comme si chaque mur devenait la page blanche d’un nouveau livre d’histoires légendaires et merveilleuses à ouvrir. Parfois, c’est également à l’horizontale du bitume qu’elle travaille, comme l’indique l’inscription de « vagues magiques » dans la cour de récréation de l’école élémentaire Pierre Budin de La Goutte d’Or, qu’elle a définitivement amarrées à la terre. Quand mer et terre se confondent, pas besoin de multiplier les symboles pour expliquer de manière poétique le caractère infondé des frontières! Et peu importe si ces mondes sont flottants, ou s’ils sont ancrés, l’important est qu’ils voyagent en même temps qu’ils nous font voyager, dans les strates spatio-temporelles de notre propre imaginaire. Dessins corsetés de noir et de blanc. Définis par la grâce d’un graphisme imparfait. Et destinés à raconter les mondes engloutis comme de possibles projections lunaires. C’est toujours de la terre dont on parle, pourtant. Mais celle dont rêve Chourouk englobe ce qu’elle recèle autant que ce qui nous habite. Et c’est à la jonction des deux, sans frontières, que du dessin naît l’émotion qui en restitue le sens… Espace et temps sont également indissociables : c’est bien ce qui rend l’œuvre de Chourouk ouverte à une lecture foisonnante de micro-récits, librement dessinés à l’horizontale et à la verticale du réel … Entre le Maroc, pays d’origine, et Marseille, la ville-monde, où elle réside, mais également parce que d’un voyage à l’autre, l’art l’emmène toujours à la recherche de sensations plastiques variées telle sa sculpture « L’horizon est un cercle ». A la recherche de nouveaux cadrages, d’angles d’appréhension différents de la géométrie variable des villes et des paysages qu’elle traverse. Créer est sa façon d’habiter le monde en le verticalisant dans des visions labyrinthiques, dans des organisations spatiales oniriques, dans des explorations permanentes de formes où les lignes épousent les multiples couches du réel pour les rendre visibles. Où profondeurs et perspectives reconstituent les rêves endormis d’Italo Calvino, le célèbre auteur italien des « Villes invisibles »… |