« Dessine moi un dessein », par Ami Barak, catalogue Perles et noirs, éditions Villa St clair, 2011
Chourouk Hriech est une obstinée et une artiste passionnée. Elle comprend le monde à travers toutes les formes du dessin, du papier au mural sans faire l'impasse sur l'objet conçu et pensé selon les mêmes éléments de vocabulaire. Des lignes de force, des aplats puissants, une profusion de détails, des traits qui n'ont pas qu'un rapport mimétique au réel, comme s'il fallait tout saisir et ne rien laisser échapper, comme si un oiseau et google maps pacsaient afin d'aligner l'image sur un itinéraire de choix. C'est la cité qui est constamment visée, s'ensuit la végétation souvent foisonnante, des animaux ont aussi droit de présence et s'y rajoutent non pas en compléments mais en repères. Elle ne dessine pas d'après nature, car il ne s'agit pas de donner dans le paysage mais c'est un panoptique façon nouvel âge, d'où elle observe le monde sans que celui ci se sente observé. Je dirais que chez Chourouk Hriech le monde est rêvé mais ses dessins ne traitent pas de chimères. Car nous apprenons des choses sur nous mêmes quitte à réaliser que ses fantasmes ne copient pas l'existant indiscutable. Depuis quand nous servons-nous du dessin et le dessin se sert-il de nous en même temps? Depuis le big bang probablement. Voici l'outil exclusivement manuel, la main reçoit des ordres de la tête et de l'au-delà mais n’en fait qu'à sa guise. Mais ceci demande un savoir faire affiné, ajusté, dynamique et joyeux. Et tout le monde sait qu'on peut lire un dessin, qu’il soit fait ou regardé par un gaucher ou un droitier. D'ailleurs les chiromanciens font raconter un tas d'histoires aux lignes de la main. C'est l'un des genres d'art les plus populaires mais qui restent cryptiques néanmoins parce qu'on lit entre les lignes. Il y a même eu des aveugles qui ont pratiqué le dessin et des artistes qui ont mis à contribution les malvoyants afin de faire de l'art un dessein. Robert Morris fut l'un d'eux et non des moindres. Qui à part les thérapeutes seraient les premiers à mettre les méandres de l'inconscient en lignes et tâches, comme si la fonction de témoin du dessin était incontestable ? Nul doute qu'il s'agit avant toute chose d'une vision du monde. Pour paraphraser Roland Barthes et le frelater de suite : le dessin dérive du dessein. Il est signes et fait signe, source de dialogue mais avec intermédiaire. D'abord monologue, une fois révélé sur la place publique, il engage autant l'auteur que le regardeur. Plus que tout autre le dessin parle d'engagement, de vision du monde. Il révèle vite les préoccupations de l'artiste, l'époque dans laquelle il s'inscrit et surtout sa personnalité par la répétition de thèmes, par l'insistance du détail. Et puis la ligne, le trait sont la trame du réel. Et cela va bien au-delà car le dessin très vite implique des valeurs morales et des codes culturels. Quand Erwin Panofsky dans La Perspective comme forme symbolique a refusé de la réduire à une simple question de rapport à l'espace et l'a pensée en tant que philosophie de la relation entre le sujet et le monde, il aurait pu tout aussi bien commencer par le dessin. Car celui-ci n'a pas attendu la Renaissance pour se placer dans une histoire sociale des catégories de perception et de pensée. L'époque étant celle de la civilisation de l'image, tout en restant peut être plus que jamais une civilisation de l'écriture, le dessin est probablement le genre le plus rassurant, celui qui nous réconforte au mieux en pratiquant l'archéologie du futur et en conciliant le regard en lui faisant élucider des énigmes et en en créant de nouvelles à la place.
Ami Barak, juillet 2011. |