À l’automne 2006, Olivier Grossetête exposait aux Beaux-Arts de Saint Etienne.
Au centre de l’espace une mongolfière se balance discrètement. Elle flotte dans un mouvement cotonneux, ample légère. L’espace prend corps. À l’approche, on se rend compte qu’elle est faite de multiples lettres de refus : « Madame, Monsieur, nous apprécions beaucoup votre travail mais nous sommes au regret de… ». On se met à lire un à un ces courriers, mi-amusés, mi-jaunis. L’objet continue son mouvement d’habitation de l’air, un processus de transformation est en route. Transformation des objets de notre quotidien, de notre regard, de notre ressenti.
Je suis restée longtemps dans les lieux. Je me dis qu’il y a peu de couleurs. J’aime la couleur. Je me demande s’il y a de l’émotion. Et je ne sais pas répondre. Je suis restée dans les lieux. Devant Vol libre : une large feuille de dessin sur laquelle sont collés des pliages de procès verbaux transformés en avion. Le jeu sur les dimensions créée une profondeur de ciel. Un ciel d’avions. C’est vaste, l’œil se fixe… et entend. Dans le silence de l’espace de papier, le bourdonnement d’un ciel de guerre affleure. Quelque chose se passe, quelque chose de ténu et d’infiniment grand. À propos de l’humanité du silence. Du silence humain. Face aux grands bruits des hommes.
À partir de ces mêmes pliages de procès-verbaux, l’artiste joue sur les mots et donne vie à deux poulets et une série de papillons sous verre. Il y a beaucoup de précision, une patience de l’acte. Le plaisir est dans l’œil qui goutte une inattendue finesse, dans l’esprit qui se réapproprie des espaces en se donnant le droit de jouer. Le jeu est un mot clé.
Je reste. Le temps devient une épaisseur, la perception un cheminement, un voyage (en mongolfière ?). Un dessin, le seul de l’exposition, des couleurs, qui m’avaient échappé au premier regard. C’est une vue de Naples, Napoli, des maisons, colorées à l’aquarelle, les tons sont vifs, mais pas agressifs. Le dessin a été découpé par endroits. A certains contours, je comprends que ce sont les jardins qui ont été enlevés. Puis finalement toute trace de végétation, jusqu’aux plantes en pots des balcons. Tous ces espaces privés, gardés, inaccessibles, ces territoires réservés. Il s’en dégage une sensation de flottement (ici encore), une ondulation. Entre les mains de l’artiste les éléments s’allègent, il trouve l’ascendant pour se réapproprier le monde, sans aigreur. Ce dessin fait écho à une pièce surprenante : Portone, ce sont des gardiens de Naples devant un porche aux allures antiques. La surprise vient du support, du procédé. Il s’agit d’un pan de carton qui a été découpé selon les ombres et les lumières. On retrouve ce jeu des peintures du 17e, dont on ne voyait le sujet qu’en s’éloignant, ce jeu du regard qui peu à peu prend du recul et voit naître la scène. Plaisir de l’œil créateur. Et ces deux hommes aux allures inquiétantes basculent dans un univers où le vide est nécessaire. La violence du thème passe dans le déchirement de la matière et quelque chose nous est rendu…
Et puis je suis partie, des mots flottaient : jeu plaisir matière air vide
Ils me sont tous revenus à l’esprit, en juin 2007, à Trets. Olivier Grossetête présentait une pièce en volume : Le Pont suspendu ou le Pas-sage. Un pont en balsa - bois tendre et léger - suspendu à des ballons gonflés d’hélium vogue. Répondant aux mouvements d’air du lieu, il se déplace avec une évidence mystérieuse. Une magie douce opère, le calme se fait à l’intérieur. De la même manière que pour la mongolfière, le corps est ici interpellé dans un rapport direct à l’œuvre. Une personne dira : moi ce que j’aime c’est que l’on peut toucher. Je me souviens que les premiers travaux de l’artiste consistaient en des constructions architecturales gigantesques en carton. Construites et détruites en une même journée, les lieux étaient interrogés, les hommes rappelés au plaisir d’habiter l’espace, de construire leur univers, de jouer. Un prodige avait lieu.
Je retrouve aussi cette particularité déjà perçue du travail : l’écho entre le plan et l’espace, entre la feuille et le volume, intimement liés. Ainsi, en parallèle du pont, Olivier Grossetête proposait une vidéo intitulée L’une des librations. Libration : mouvement auquel est soumis la lune. Un personnage féminin apparaît dans un paysage de nature sous le soleil finissant. Elle vient chercher la lune, la soulève et lentement la projette dans un ciel de nuit. Le mouvement est restitué en temps réel, un temps distendu, épaissi par l’acte : l’astre de l’enfance et de la création accompagné entre terre et ciel. Regarder devient une contemplation. Et je réalise que depuis le début, face aux œuvres de l’artiste, je n’ai cessé d’être invité à contempler : « regarder en s’absorbant dans la vue de l’objet ». Par les yeux et la pensée…méditer.
Je finis ce voyage avec une photo : L’Esprit du temps. Une femme en bleu assise dans le vide, les pieds profondément appuyés sur la terre, le corps soutenu par rien, si l’air n’est rien. Elle trouve sa place dans les lignes d’un flanc de montagne. Sa tête est un centre, elle a les yeux fermés, intimement. On sent qu’il y a un jeu avec l’espace, avec la gravité. Je ne cherche pas à comprendre. Je ressens le temps, un temps suspendu, un temps infini. Et l’espace, redéfini : on ne sait pas qu’est-ce qui bouge, qu’est-ce qui est fixe…
Depuis, j’ai repensé au travail d’Olivier Grossetête… en lisant Bataille, le jeu et le prodige…en croisant les surréalistes…en lisant Gracq parlant de Breton et des mongolfières qui brûlent le papier…en regardant Tati, Mon Oncle…en suivant le défilement des nuages…en fixant le bleu mer par vagues métalliques…
Jeu Plaisir
Plaisir Matière
Matière Espace
Espace Corps
Espace Temps
Temps Contemplation
Valérie Rosato |