Séparation(s), 2021
Vidéo hd, 16’02’’ (extrait)
Un film de Jérôme Grivel & Cédric Févotte
Musique originale de Romain Poirier & Jérôme Grivel |
Séparation(s) est un projet de film expérimental mené conjointement par l’artiste plasticien Jérôme Grivel et le chercheur en science des données Cédric Févotte, directeur de recherche CNRS à l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT). Ils ont bénéficié de la collaboration de Romain Poirier, musicien et ingénieur du son, pour l’écriture de la musique originale.
Dans la continuité de la démarche artistique de Jérôme Grivel, ce projet prend appui sur les recherches scientifiques de Cédric Févotte pour mener une réflexion sur les liens et les confrontations entre systèmes cognitifs humains et artificiels, leurs différentes façons de convoquer une mémoire, leurs réactions à la synesthésie et aux états de conscience modifiés comme l’hypnose, la transe ou encore les rêves. Ils ont ensemble construit un film musical abstrait et contemplatif, à la narration ouverte et personnelle.
Le film est le résultat d’un procédé original de synthèse automatique d’un flux visuel (vidéo) guidé par un flux audio (en l’occurrence, musical). Il est généré par un programme informatique construit sur le principe d’apprentissage machine, l’une des branches de l’intelligence artificielle. Dans une première phase, un jeu de données dites d’apprentissage a été constitué à partir de séquences cinématographiques. Les flux audio et visuel de ces séquences (sons et images) ont alors fait l’objet d’une analyse conjointe permettant d’en extraire un ensemble de motifs audiovisuels représentatifs. Dans une seconde phase, la structure de ces motifs est utilisée pour générer des images originales à partir d’une nouvelle bande sonore. En d’autres termes, la musique fait resurgir des images correspondant aux motifs audiovisuels préalablement appris. Ces images dé lent et se mélangent à l’écran, au gré du contenu spectral de la musique.
Le jeu de données rassemblé par Jérôme Grivel est constitué de « scènes de séparations », par exemple représentant des personnages qui se quittent, ou dans lesquelles se jouent une perte sentimentale ou émotionnelle, ou encore l’expression d’un deuil. Elles sont prélevées dans des films muets, sans parole mais dotés d’un accompagnement musical. Le choix de ce type de scènes est une allusion à la « séparation de sources », la méthode de traitement utilisée pour les phases d’apprentissage et de synthèse, dont Cédric Févotte est un spécialiste reconnu.
Le vocabulaire visuel du film est ainsi constitué d’un échantillonnage cinématographique construit autour de sentiments liés à la séparation et à la perte affective, sentiments à la fois complexes et universellement vécus par la psyché humaine. Cet échantillonnage produit une forme de mémoire sélective et affective des premiers instants du cinéma. Les images que convoque la musique originale composée par Jérôme Grivel en collaboration avec Romain Poirier font resurgir cette mémoire encapsulée dans l’ensemble d’extraits choisis.
C’est donc une tout autre manière d’envisager l’écriture musicale et cinématographique puisqu’ici la bande son va non seulement générer les images du film, mais elle va le faire en fonction des réminiscences visuelles et musicales contenues dans les séquences d’apprentissage. Cette méthode leur a permis, en composant une partition de modulation temporelle des différents paramètres régissant l’algorithme de synthèse, de composer un film musical, abstrait et contemplatif, où chacun pourra créer sa propre narration, se laissant porter par la musique et s’attachant aux images reconnaissables (ici un visage, là un couple qui s’embrasse) dans ce flux en mouvement constant et synchronisé à la musique. On y retrouve une double évocation spectrale, tout autant par le caractère fantomatique des images invoquées (qui peut rappeler les « photographies spirites » ou encore les pratiques de photographie post-mortem précédant de peu la production cinématographique utilisée pour le projet) que par le procédé d’analyse du contenu audio. Il se joue ici deux rapports à la narration et à la mémoire. Le système cognitif humain s’appuie sur les images qu’il reconnaît et les associe librement en fonction des effets musicaux pour créer une forme d’histoire. Le « système cognitif » artificiel a quant à lui sa propre narration et sa propre manière de convoquer les images : analyse spectrale du contenu musical et appel à un ensemble de “primitives” (les motifs audiovisuels extraits à partir des séquences d’apprentissage).
Séparation(s) confronte ces deux systèmes cognitifs (humain et artificiel) dans une rêverie contemplative, douce et mélancolique à la fois. |