Jérôme GRIVEL 

 
Intitulée De l’exercice et des (dé)mesures, cette exposition s’annonce déjà comme une énigme aux accents dadaïstes, dont la polysémie nous interroge sur notre rapport au corps, aux systèmes et aux pouvoirs. Une ambivalence que l’artiste aime manipuler afin d’analyser ce qui se joue, à la fois intellectuellement et physiquement, entre son œuvre et le regardeur.
Au cœur de cette exposition réside une interrogation sur les rapports de domination dans nos sociétés contemporaines. Ses créations portent en elles une révolte implicite, dépeignant non pas un parti pris, mais une mise à nu froide et parfois brutale des angles morts de notre époque. Ce sont des propositions plastiques cryptiques, mais surtout mentales, oscillant entre construction critique et absurdité drôlatique. Elles jouent sur la frustration, l'aliénation et l’épuisement qui gouvernent nos vies. Il en résulte une exposition protéiforme où le dessin, la sculpture, l’installation sonore ou encore la vidéo deviennent tour à tour les médiums les plus aptes à traduire cette recherche.
Dans ses propositions plastiques, Jérôme Grivel s'inscrit dans une recherche sur le paysage, l'architecture et le corps, dans la continuité de celle d'un Absalon ou encore d'un Bruce Nauman. Chaque œuvre est une stratégie d'évasion que l'artiste nous présente, mais dont la finalité n'est pas une solution, plutôt une constatation inquiétante. En cela, elles sont les images mentales d'une tension entre l'homme et son environnement, entre le besoin de liberté et la réalité contraignante, voire répressive.
Fondamentalement, l'œuvre de Jérôme Grivel est issue d’une interrogation sur la condition humaine. Elle pointe la faculté qu'ont les individus à ignorer les situations qui les dérangent, voire les oppriment.
C'est cette violence sourde qui irradie dans son travail et qu’il s’emploie à nous remettre sous les yeux, sans fard, mais avec une certaine malice et une volonté de résistance face à la bêtise et aux discours simplistes.
Damien Levy
 
 
Une installation sonore, prenant la forme d’une table ronde où les souffles de sept personnes sont diffusés par des enceintes/sculptures en suspension dans l’espace de la galerie, donne le ton de cette exploration. Ce qui commence comme une succession d’exercices de respiration imposés se transforme en dialogue, puis en jeu, pour finir par revêtir un caractère dérangeant, voire tragique. Ainsi, celle ou celui qui a de plus grandes capacités respiratoires et qui tient les exercices le plus longtemps peut littéralement coloniser l’espace sonore (elle ou il ne manque pas d’air !).
 
 
C’est le même phénomène qui se joue dans la série des Pièces innocentes, où, sur des fonds colorés représentant un ciel nuageux, se découpe une phrase en réserve : "Car l’air est gratuit". Si, à première vue, cela peut évoquer les enjeux climatiques, ce bout de phrase parle aussi d’une liberté fondamentale : le droit de respirer. Elle cache cependant un sens plus cynique, voire mercantile : si l’air est gratuit, peut-on en abuser ? En réalité, cette phrase, qui se répète sur ces dessins, est extraite d’une blague raciste, que ceux qui la connaissent se remémorent sans doute avec culpabilité.
 
 
 
Dans sa série des Paysages-clôture, il réalise des dessins au fusain, des paysages entre étrangeté et banalité quotidienne, sur lesquels des grillages métalliques sont juxtaposés. Ces grilles, à la fois décoratives et obstructrices, créent une distance avec le spectateur. Le dessin et la virtuosité sont visibles, mais à travers les barreaux de cette prison imaginée par l’artiste.
 
 
Vues de l'exposition De l'exercice et des (dé)mesures, Galerie Idéale, Paris, 2025
Photographies Adrien Thibault
 
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